26 Février 2001 - le vin ressemble à son vigneron

Par Irislisson

Reçu il y a quelques jours par émail, un message, que j'aurais aimé partager avec le vigneron, à qui Lisson doit son existence, et dont c'était la première cuvée mise en bouteille:

"Hier encore nous avons débouché une cuvée Max Rutz 1996 (c’est un des derniers flacons dont nous disposons) et nous avons été une fois encore été émerveillé par la qualité du produit…

Seulement voilà toute les choses ayant une fin, nous venons aujourd’hui vous demander s’il est possible de passer une commande et dans quelles conditions.

Amateur de vins que nous sommes et toujours à la recherche de produits racés et typique, nous serions enchanté non seulement de pouvoir réitéré quelques achats mais aussi (et seulement si vous êtes disponibles) connaître les vignerons que vous êtes.Généralement le vin ressemble à son vigneron…" Antibes, Février 2011

Oui, le vin ressemble à son vigneron et il lui a survécu... de dix ans déjà. Et Lisson porte toutes les traces de ce vigneron-bâtisseur-défricheur, mort d'un accident ce jour froid et ensoleillé de fin février 2001.

La vieille bâtisse, au pied de sa colline à l'achat en 1975, abandonnée depuis l'entre deux guerres par des propriétaires, qui ne sont jamais venu vivre sur place, tombait en ruine...les terres, peu entretenues par des métayers de fortune, tombées en friche sur le flanc de la colline...

En 1989, la bâtisse a retrouvé depuis dix ans un toit, fait main à l'aide d'un treuil archaïque et de tonnes de lauzes, et son visage, création de Claude, bâtisseur, en souvenir des maison du Larzac, qui surplombait son village natal. Les grands travaux de défrichage pour la création du petit vignoble de Lisson, lieu de vie et de travail de nouveau, commencent... "pour nettoyer le terrain", des pommes de terres et des fèves derrière la maison, là, ou poussent entre temps une partie des vignes pour le Clos des Cèdres...

Au printemps 1990, en revoie les murets des terrasses, se ré-dessiner jusqu'en haut - et le cirque de l'arène des Cèdres au fond à droite... encore quelques mois de travail dure, à éliminer les racines des arbres coupés et de sortir les gros cailloux laissé par le passage du bulldozer à la main... et la plantation du vignoble, sa renaissance, peut débuter.

La cuvée des Échelles de Lisson, dédiée à mon père Max Rutz, fait partie des 3 premiers vins, récolté en 1996 et mis en bouteille après 2 ans en barriques en 1998... la fiche technique, retrouvée dans mes archives, en raconte l'histoire, avec des notes, qui vont revenir bien trop souvent depuis:

Claude et Iris Rutz-Rudel

vignerons - éleveurs

LISSON 1996

Les Echelles de Lisson

Cuvée Max Rutz

Cépages : 75 % Pinot Noir

25 % : Cabernet Sauvignon, Cabernet Franc, Merlot, Cot, Petit Verdot

Conduite : Plantation très dense. Taille en gobelet, palissage sur échalas individuel, en « quenouille » pour le Pinot Noir et le Petit Verdot,  taille en royat et conduite sur fil de fer pour les Cabernets et le Cot. Fumure organique, pas de pesticides ou fongicides de synthèse. Travail du sol

Vinification : Récolte manuelle en caissette avec trie à la vigne. Légèrement écrasée, 3 jours de macération préfermentaire. Levures indigènes. 18 jours de fermentation jusqu’à 21 °C. Pigeage quotidien. Presse légère (pressoir vertical). 2 ans d’élevage en barrique de deux vins. Mise en bouteille fin juin 1998 sans collage ni filtrage. (13,80% vol.)

Terroir : Terrasses étroites en terrains schisteux et calcaires en flanc de colline de Lisson (240 à 300 m), exposition sud-ouest.

Pourquoi cet assemblage – et pourquoi ce nom ? Max Rutz, c’est simple, c’est le père d’Iris, qui est mort en Mai 1992. Il a encore pu voir la plantation, monter avec nous sur la colline, contempler ce paysage grandiose à ses pieds et comprendre là-haut, pourquoi nous nous entêtions tant de vouloir planter là et pas ailleurs, où cela aurait été plus facile. Il n’a plus eu le temps de goûter  notre vin, lui, qui avait mangé ses premiers raisins rouges à 19 ans, couché dans les vignes de la pleine de Narbonne. C’était la guerre, mais on ne tirait pas encore là-bas – et c’était sa jeunesse, la mer, le soleil et ces vignes à perte de vue ... Il a toujours compris pourquoi sa fille unique avait choisi de vivre ici et nulle part ailleurs.

Et l’assemblage ? C’est la faute aux sangliers.  Cette année là, ils avaient encore cassé la clôture et dévoré les raisins, aidés par les blaireaux et les merles. Tout heureux que finalement quelqu’un a de nouveau eu la bonne idée de planter ces fruits juteux, qui sont si délicieusement sucrés et étanchent la soif quand le reste de la végétation souffre de la sécheresse estivale. Pour remplir la deuxième barrique, donc pas de monocepage, mais ce mesclun, qui donne un résultat surprenant." (fiche technique, Cuvée Max Rutz, première des " Échelles de Lisson" millésime 1996).

Claude Rudel était arraché à notre vie et à ses terres, quand les souches avaient 10 ans et le "monde du vin" commençait à prendre notice de ce que nous faisions - j'étais seule au Sénat à Paris, pour représenter les "Vignerons pour demain" le jour de la Saint Vincent, son anniversaire, en 2003, seule l'année suivante, pour parler des nos "vins sauvages" au Salone del Gusto à Turin, chez Slow Food, mais fière, de pourvoir, avec l'aide d'un ami, continuer ce qui était le rêve d'une vie.

J'aurais aimé partager la lecture du Émail, revenue 10 ans après -  comme l'écho de notre premier  message mis en bouteille et parti à la mer...