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Interview du Sénateur Philippe Marini (partie 2)

Publié le 01 mars 2011 par Sia Conseil

Interview du Sénateur Philippe Marini (partie 2) M. Philippe Marini est Sénateur de l’Oise (Picardie) depuis 1992 et Rapporteur Général de la commission des finances au Sénat. Concernant le domaine des services financiers, il s’est investi sur de nombreux sujets, portant notamment sur le crédit à la consommation, la mobilité et les frais bancaires, la crise financière européenne, etc…

Dans un entretien exclusif accordé à Sia Conseil, il nous livre son analyse sur ces sujets d’actualité et sur les difficultés qu’il reste encore à lever.

A plus long terme, et sous l’impulsion du G 20 de Pittsburgh, le Comité de Bâle a décidé de procéder à une réforme en profondeur du cadre prudentiel afin de l’adapter à un environnement bancaire devenu incertain et volatil. L’augmentation des fonds propres réglementaires des établissements de crédit est-elle une solution satisfaisante aux crises de liquidité ? L’impact potentiel sur le niveau de crédit octroyé ne sera-t-il pas in fine contreproductif pour l’économie mondiale ?

L’avènement d’une troisième étape dans le cadre prudentiel des banques était évidemment nécessaire. Bâle II avait certes permis de « raffiner » les exigences de solvabilité et de les adapter à la complexité et la diversité des risques, mais pouvait dans certains cas se révéler moins strict que Bâle I, et sa procyclicité a été maintes fois soulignée.
Bâle III tire les leçons de la crise en intégrant de nouvelles dimensions : une définition resserrée et plus claire des fonds propres, une plus grande attention portée aux fonds propres « durs » (core tier one), le caractère systémique de certains établissements, une meilleure prise en compte du risque inhérent aux activités de marché et aux produits titrisés, un « coussin » de capital contracyclique, de nouvelles exigences de liquidité avec deux ratios à 30 jours et un an. De façon opportune, il a été prévu une mise en œuvre progressive du dispositif, échelonnée jusqu’en 2018 au moins, et plusieurs mesures doivent encore être précisées ou testées par le Comité de Bâle.

Certaines évolutions peuvent être contestées et débattues, notamment le ratio de liquidité à un an ou le périmètre précis des fonds propres de base, mais il n’y avait guère d’alternative à une révision profonde du cadre prudentiel. Celle-ci répond en effet aux principaux critères et objectifs de la réforme qui devait être mise en œuvre : la dimension internationale des travaux et des règles applicables, la restauration du véritable coût du risque, la possibilité de traiter de nombreuses problématiques complexes (le caractère systémique, les rémunérations et incitations individuelles, la titrisation à plusieurs niveaux…) au travers du prisme du capital, ou le maintien d’un pouvoir d’appréciation des régulateurs nationaux pour imposer des exigences supplémentaires. Ce cadre prudentiel peut être réducteur, mais c’est encore le « moins mauvais » des instruments disponibles.
Il est vraisemblable que Bâle III contribuera à renchérir le coût du crédit ou de l’assurance export. Je crois cependant qu’il ne faut pas se laisser trop « intoxiquer » par le lobbying ambiant et craindre un effet très récessif pour l’économie. Ce lobbying – au demeurant légitime – a déjà en partie porté ses fruits puisque les propositions finales du Comité de Bâle ont plutôt suscité un certain soulagement. Le défi économique pour les banques est à présent de mieux « capter » dans leur bilan les dépôts et l’épargne de la clientèle de détail.

J’insiste cependant sur le fait que l’impact de Bâle III sera atténué à la condition que la variable d’ajustement de l’augmentation du coût du capital ne réside pas dans le seul relèvement du coût d’intermédiation et de la tarification des services bancaires, à marge constante. Tous ces changements doivent en effet avoir pour finalité d’inciter les banques à changer de modèle économique comme à simplifier leurs structures et produits, et les investisseurs à réviser à la baisse – à tout le moins sous le dogme des 15 % minimum – leurs attentes de rendement des fonds propres pour le secteur. Le « charge du fardeau » doit donc être partagée, et être si possible davantage assumée par les actionnaires et salariés les mieux rémunérés des banques que par les clients et emprunteurs, et a fortiori que les contribuable et l’Etat.

Le principal enjeu règlementaire aujourd’hui n’est pas tant le niveau futur d’augmentation du coût du crédit que la neutralisation des distorsions de concurrence. Les nouvelles règles prudentielles devront être réellement appliquées à l’échelle mondiale, et donc plus particulièrement aux Etats-Unis et dans les grands pays émergents. Obtenir des garanties rapides d’harmonisation est aujourd’hui une priorité de diplomatie économique. A défaut, les banques européennes seront les plus pénalisées, compte tenu de l’impact de Bâle III sur le modèle de banque universelle, alors qu’elles ont été davantage des relais que des acteurs de premier plan de la crise financière.

Une des pistes retenues pour mieux encadrer le secteur financier en France est la fusion CB-ACAM. Quelle est votre opinion sur la création de l’ACP ? Que pensez-vous de l’idée défendue par ses opposants, qui insistent sur la divergence des objectifs, à savoir la protection des assurés pour l’ACAM, contre la protection du système financier pour la Commission bancaire ?

La fusion de la CB et de l’ACAM début 2010 fut d’autant plus bienvenue que je l’avais appelée de mes vœux depuis plusieurs années. J’avais d’ailleurs négocié avec le Gouvernement un élargissement, portant plus particulièrement sur cette rationalisation, du champ des ordonnances de réforme du droit financier prévues par la loi de modernisation de l’économie en juillet 2008. Sans méconnaître les spécificités du secteur des assurances, il était nécessaire de rompre la segmentation et de mettre en cohérence l’architecture de supervision avec le modèle économique de la bancassurance comme la circulation des risques. La nature des parties prenantes à la crise des subprimes et de la titrisation en a fourni une illustration déterminante.

La refonte de la supervision financière n’est cependant pas allée assez loin puisqu’elle ne traduit pas un modèle « twin peaks » au sens strict, tel que l’avait préconisé Bruno Deletré dans son rapport, soit un pôle prudentiel assuré par l’ACP et un pôle de surveillance des marchés et des pratiques de commercialisation des produits, confié à l’AMF. Le contrôle de la déontologie et des produits demeure ainsi fractionné entre l’ACP et l’AMF, même si un pôle commun a été opportunément mis en place. L’objection portant sur une divergence des objectifs au sein de l’ACP ne me paraît cependant pas fondée car la protection du système financier ne repose pas sur la seule surveillance des banques. Dans le cadre d’une approche globale des risques, elle implique aussi la protection des consommateurs de produits financiers, qu’ils soient assurés, épargnants ou emprunteurs.

Compte tenu de différences marquées de culture et de conception du contrôle des établissements entre les activités de surveillance bancaire et assurantielle, il ne fallait évidemment pas s’attendre à ce que l’intégration de l’ex-ACAM au sein de l’ACP soit un « long fleuve tranquille ». Il faut sans doute une phase de transition et d’aplanissement des susceptibilités pour assurer un fonctionnement fluide et efficace de l’autorité. La structure de l’ACP constitue cependant un compromis pertinent et proche de celle de l’AMF, avec un duo collège/commission des sanctions qui offre de meilleures garanties de conformité à la Convention européenne des droits de l’homme, et deux sous-collèges « banques » et « assurances » appelés à traiter les dossiers individuels et questions spécifiques.

Après bientôt une année d’existence, on peut considérer que l’ACP dispose d’un cadre juridique stable et qui lui fournit les moyens d’être crédible et efficace. Elle doit cependant encore progresser sur certains axes :

  • conforter sa visibilité internationale par une participation active et constructive aux travaux du Comité de Bâle et de la nouvelle Autorité bancaire européenne ;
  • sortir d’une forme de culture « technocratique », confortée par sa proximité institutionnelle et managériale avec la Banque de France, et mieux médiatiser son action auprès du grand public ;
  • mieux gérer la carrière des commissaires-contrôleurs des assurances et faciliter le dialogue entre ces derniers et les collaborateurs de la direction du contrôle des banques ;
  • assurer un contrôle régulier des pratiques de commercialisation des crédits et assurances-vie et conforter le rôle de coordination du pôle commun de contrôle ACP-AMF ;
  • garantir une véritable indépendance et efficacité de la commission des sanctions et de son nouveau rapporteur, tel qu’il a été introduit à mon initiative dans la loi de régulation bancaire et financière, dans un souci de plus grande symétrie entre l’AMF et l’ACP. Cela suppose que les relations entre le collège et la commission des sanctions soient fluidifiées, et en particulier que les enquêtes donnent plus souvent lieu à notification de griefs et transmission à la commission des sanctions que ce n’est le cas aujourd’hui.

Sia Conseil


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