Fusions et acquisitions

Publié le 01 mars 2011 par Copeau @Contrepoints

Un article de Doug French publié sur le Mises Institute soulève un point fort intéressant à l’égard de l’évolution du cycle économique en cours.

Les fusions & acquisitions (F&A) ont totalisé $2.4 billions en 2010, une hausse de +23% par rapport à 2009, et il semble que 2011 sera une année record à cet égard. Danaher, DuPont, Ensco, AOL et Newmont, entre autres, ont déjà annoncé d’importantes acquisitions au cours des dernières semaines. Les compagnies canadiennes ne font pas exception : la Banque TD a acquis Chrysler Financial, la Banque Royale a acheté Blue Bay Asset Management, la Banque de Montréal a acquis Marshall & Isley, la Banque Scotia a acquis DundeeWealth, Onex a acheté Tomkins, AGF a acheté Acuity, BP a tenté d’acquérir Potash, Consolidated Thomson a été achetée par Cliff, Hudbay a acquis Norsemont, Gran Tiera Energy a acquis Petrolifera, TMX Group tente de fusionner avec le London Stock Exchange, Inmet fusionne avec Lundin, Verenex (anciennement Biovail) a réalisé une importante transaction en Europe, Saputo vient d’annoncer une acquisition aux États-Unis… et ça continue sans fin !

Pourquoi une telle frénésie ? Je suis d’avis que les F&A peuvent avoir un impact positif sur l’économie lorsqu’elles sont justifiées ; c’est-à-dire lorsque l’entreprise combinée permet une meilleure allocation des ressources permettant de mieux satisfaire ses consommateurs et de faire plus de profit (et donc de créer plus de richesse).

Une augmentation des acquisitions est d’ailleurs tout à fait prévisible suite à une récession et fait partie du processus de « destruction créatrice » qui permet de réallouer les ressources de manière plus efficiente dans l’économie. Cependant, les F&A se transforment souvent en fiascos qui détruisent de la richesse. Environ 74% des F&A sont des échecs, l’entreprise combinée performant sous la moyenne de son industrie. Qu’est-ce qui explique un si faible taux de réussite ?

La masse monétaire a augmenté de plus de 20% au cours des 3 dernières années. Cette immense création de monnaie visant à financer les déficits du gouvernement, le sauvetage des banques et la relance de l’économie a occasionné une baisse des taux d’intérêt. L’un des moyens les plus utilisés par les entreprises pour évaluer une transaction éventuelle ou un investissement est la valeur actualisée des flux monétaires futurs (VAN). L’élément le plus important de ce calcul est le taux d’actualisation, qui est directement relié au coût du capital de l’entreprise, lequel est directement lié aux taux d’intérêt. Ainsi, il y a beaucoup de F&A qui paraissent bien sur papier étant donné le niveau actuel des taux d’intérêt (i.e. très bas). La politique monétaire expansionniste est donc un moteur important pour les F&A.

En second lieu, les entreprises ont présentement beaucoup de liquidités à leur bilan car durant la crise, elles ont remboursé leurs dettes et se sont bâti un coussin de sécurité sous forme d’encaisse. Cet argent ne rapporte pas grand chose vu les bas taux d’intérêt (encore une fois à cause de la politique monétaire) ; il agit donc comme un boulet sur la rentabilité de ces entreprises. Celles-ci ont donc un fort incitatif à le déployer à tout prix. Cependant, les opportunités internes d’investissement de ces entreprises sont limitées étant donné la faiblesse de l’économie. Le seul moyen de mettre ce capital au travail est donc les F&A. Cette situation peut évidemment mener à de la surenchère et, conséquemment, à de mauvais investissements.

Troisièmement, l’incertitude quant aux politiques du gouvernement et à l’augmentation de la règlementation met les petites entreprises en mauvaise posture, ce qui les transforme en cibles faciles pour les grandes entreprises bien connectées politiquement et qui sont plus aptes à négocier avec les autorités règlementaires. Les grandes entreprises obtiennent de plus un coût de financement plus bas, ce qui leur donne un net avantage sur les petites. D’ailleurs, les fameux « leveraged buy-out » (LBO), qui accompagnent souvent les périodes d’expansion monétaire, sont grandement facilité par la politique monétaire et par le système bancaire à réserves fractionnaires. Le système bancaire permet donc aux grandes entreprises de s’endetter pour acquérir de plus petites entreprises, au grand plaisir des banques qui non seulement récoltent des intérêts sur le prêt, mais amassent aussi de gros profits sous forme d’honoraires et de commissions pour leurs services de consultation en F&A. C’est pourquoi les banques harcèlent constamment les grandes entreprises pour que celles-ci fassent des acquisitions.

La première raison de l’échec fréquent des F&A est donc l’évolution du cycle économique et de la politique monétaire. Lorsque les taux d’intérêt montent, les prévisions ne sont plus rencontrées et l’entreprise détruit de la richesse. La transaction se révèle donc avoir été un mauvais investissement découlant de la politique monétaire.

La seconde raison est souvent attribuable à la taille de l’entreprise. Les entrepreneurs font des prévisions de demandes et de prix puis allouent les ressources de façon à rencontrer profitablement les désirs des consommateurs. Mais s’il n’y a pas de marché, il n’y a pas de prix et il est donc impossible de faire cette allocation efficacement (c’est d’ailleurs l’une des failles majeures du socialisme). Lorsqu’une entreprise devient trop grosse et trop intégrée, une grande partie de ses transactions se déroulent à l’interne, sans signal de marché pour guider ses décisions. L’allocation du capital devient donc brouillée, ce qui résulte en de mauvais investissements. Comme je le mentionnais précédemment, l’un des principaux avantages des grandes entreprises est leur pouvoir politique et leur capacité à négocier avec les règlementateurs et les banques.

La troisième raison de l’échec des F&A est l’excès d’optimisme relativement aux synergies. L’acquéreur paie souvent une grosse prime sur le prix du marché, justifiée sur la base de ces fameuses synergies. Celles-ci résultent souvent par l’élimination des emplois redondants entre les deux entreprises (ce qui contribue au chômage). Par exemple, plus besoin d’avoir deux départements de comptabilité, d’informatique et de gestion des ressources humaines. Cependant, lorsque l’on considère les deux arguments précédents, ont constate que ces mises à pieds peuvent constituer une erreur qui n’aurait pas dû se produire dans une économie où la monnaie n’est pas manipulée et où l’économie est moins règlementée.

Conclusion

Beaucoup de gens voient d’un bon oeil cette immense vague de fusions et acquisitions qui déferlent présentement sur le monde. L’économiste de l’école autrichienne que je suis n’est pas de cet avis. Lorsque ces transactions permettent de réallouer les ressources plus efficacement dans l’économie, comme le veut le principe de la « destruction créatrice », leur impact peut certes être positif. Cependant, lorsque ces transactions sont justifiées par une politique monétaire ultra-expansionniste de la banque centrale, par l’accès à du crédit facile dans un système bancaire à réserves fractionnaires, par l’incertitude engendrée par les politiques gouvernementales erratiques et par une augmentation de la règlementation des entreprises, celles-ci ne peuvent que mener à de mauvais investissements qui nuiront à l’économie et qui sèmeront peut-être même les graines de la prochaine récession.