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Assurance et discriminations fondées sur le sexe

Publié le 01 mars 2011 par Duncan

CJUE, 1 mars 2010, C-236/09, Test-Achat.

La Cour, dans cet arrêt a conclu à l'invalidité de l'article 5.2 de la directive 2004/113 (à partir du 21 décembre 2012) en ce que cet article autorise, sans limitation dans letemps, une exception au principe de l'égalité entre hommes et femmes s'agissant de la conclusion de certains contrats d'assurance.

Le litige est né en Belgique, pays où la législation prévoit, en se basant sur l'article 5.2 de la directive, que les compagnies d'assurances peuvent continuer à tenir compte du sexe des assurés afin d'établir le montant des primes. De ce fait, et votre serviteur peut en témoigner, les femmes payent généralement, pour une même couverture, des primes plus faibles.

La Cour a conclu que cette possibilité ouverte par la directive, si elle est compréhensible dans le contexte qui prévalait à l'époque de l'adoption de l'acte, n'est plus valide à l'heure actuelle...

Le raisonnement de la Cour est le suivant (points 30 et s.): "le but poursuivi par la directive 2004/113 dans le secteur des services d’assurance est (...) l’application de la règle des primes et des prestations unisexes (...) Le dix-neuvième considérant de ladite directive désigne la faculté accordée aux États membres de ne pas appliquer la règle des primes et des prestations unisexes comme une «dérogation». (...) Dans ces circonstances, il existe un risque que la dérogation à l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes prévue à l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2004/113 soit indéfiniment permise par le droit de l’Union.Une telle disposition, qui permet aux États membres concernés de maintenir sans limitation dans le temps une dérogation à la règle des primes et des prestations unisexes, est contraire à la réalisation de l’objectif d’égalité de traitement entre les femmes et les hommes que poursuit la directive 2004/113 et incompatible avec les articles 21 et 23 de la charte.Par conséquent, cette disposition doit être considérée comme invalide à l’expiration d’une période de transition adéquate". Au nom d'un objectif ultime de disparition de toute discrimination, une dérogation illimitée dans le temps est donc inadmissible.

Il s'agit là d'une interprétation anagogique (et audacieuse) du texte de la directive qui, lu de manière littérale, est, selon moi, plus mesuré sur le caractère "dérogatoire" de l'article 5.2. Ainsi, il ne se résume pas à une simple dérogation générale mais vise les cas où le sexe "est un facteur déterminant dans l’évaluation des risques, sur la base de données actuarielles et statistiques pertinentes et précises" (on songe évidemment, et en premier lieu, à l'espérance de vie généralement plus élevée des femmes). Dans ce cadre, plus qu'une simple dérogation, on peut se demander si l'article 5.2 ne vise pas à éviter, et à condition que celà soit avéré et démontré, que des situations en fait non-comparables (l'espérance de vie des hommes et des femmes) ne soit traitées de la même manière, ce qui reviendrait en fait à établir une discrimination. N'est-il pas normal que les femmes paient moins  de primes d'assurance-vie si elle vivent en général plus longtemps?

Cet argument n'a pas été retenu par la Cour qui s'est focalisé sur l'objectif général  et futur de la directive: pas de sexe dans les assurances. Dès lors, quelles conséquences? Deux effets sont prévisibles: un alignement  "unisexe" du montant des primes, mais certainement sur celui pratiqué envers les hommes, et une pondération plus forte des primes en fonction d'autres critères (tabagie, alcool...). C'est sans doute là l'effet paradoxal de cette décision: l'égalité homme-femme va ici probablement entraîner une détérioration de la situation des femmes en entraînant une augmentation des primes à leur charge. Ce n'est toutefois pas la première fois (ainsi l'exemple célèbre de l'interdiction du travail de nuit).

Cette invalidité ne s'applique qu'à partir de décembre 2012 et n'affecte donc pas la validité des contrats conclus avant cette date si ceux-ci ont fait usage d'un critère fondé sur le sexe, dans les pays ayant transposé de la dérogation autorisée à l'article 5.2. Il est également possible que, d'ici-là, le législateur européen en se saisisse du dossier pour modifier le texte de la directive et réintroduire des dérogations, limitées dans le temps...


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