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Une République de Pieds Nickelés

Publié le 01 mars 2011 par Copeau @Contrepoints

Il y a une paire de jours, j’établissais une courte liste, non exhaustive, de nos ministres (politiciens en charge mais définitivement pas à la hauteur). Dans les qualificatifs que j’ai utilisés, j’avais trouvé incultes, inutiles, dispendieux et corrompus. J’ai très clairement oublié que certains sont même d’ex-taulards…

Eh oui.

Avec le dernier jeu de chaises musicales qui aura apporté quelques changements lilliputiens au Gouvernement Fillon 3.5, la République, une, indivisible et manifestement sous benzodiazepine, accueille donc en son sein Alain Juppé aux Affaires Étrangères et Gérard Longuet à la place de l’autre, à la Défense.

Choix pas très étonnant que celui du chef de l’état : il a judicieusement remplacé un soudard au casier chargé par un fripon fin connaisseur des rouages de la justice côté prévenu, ce qui, pour un président qui voulait, en 2007, une République Irréprochable, revient à placer un goutte-à-goutte de whisky sur cette même République en pleine cure de psychotropes médicamenteux.

On se rappellera, méchamment mais fort à propos, que le gentil Gérard a en effet dû, en 1994, démissionner pour de vils enquiquinements de justice au sujet du financement de sa villa, de son parti, et qu’il a, grâce à son silence obstiné et à son calme dans la tempête que d’autres élus ont su apprécier, évité les gouttes en enfilant une amnistie et quelques non-lieux fort-à-propos comme d’autres les cacahuètes à l’apéritif.

Longuet, un sénateur jovial et honnête

Certes, il est clair qu’à côté du casier de Juppé, Longuet est un winner et il aura beau jeu, dans les couloirs aux ors républicains, de narguer son confrère de sa virginité carcérale toute relative.

Mon centriste préféré et blogueur Hérétique trouvait, dans un récent billet, que Juppé à la diplomatie, ce serait chic, ça aurait du chien, ça ferait une bonne nouvelle et dégotait même une qualité à l’ex-fuyard canadien, à savoir être « un homme qui ne sacrifie pas les principes« .

Juppé, un ministre honnête et sympathique

Si, dans ces principes en question, on inclut celui de l’Omerta pour ne pas enfoncer un chef, alors, indéniablement, Juppé fait l’affaire. De ce point de vue, Gérard et Alain se ressemblent ; tous deux sont déjà passés par le pouvoir ministériel, tous deux ont servi Chirac (l’un comme secrétaire d’état lorsqu’il était premier ministre, l’autre comme premier ministre lorsqu’il était président), tous deux savent taire les conflits qui les taraudent, pétris qu’ils sont d’honnêteté et pourtant témoins d’affreuses compromissions et turpides corruptions aux plus hautes sphères de l’état…

De façon plus pragmatique, on ne peut cependant pas s’empêcher de penser qu’installer à des postes à haute responsabilité des loulous au passé trouble est un mouvement fort risqué. D’ailleurs, la presse, d’habitude si difficile à faire sortir de sa léthargie quand il s’agit de dénoncer les multirécidivistes au sein de nos institutions, n’a pas tardé à soulever cette question éthique de fond : pour celle-là, Longuet devra convaincre.

On pourra au passage pouffer sur l’article du Maônde qui s’empresse d’enfoncer le clou en utilisant les informations contenues dans le livre de Martin Hirsch, lui-même pas tout à fait exempt de reproches en matière de conflits d’intérêts.

Pour résumer, nous avons donc à la Défense un type un tantinet louche dont tout indique qu’il a un nombre suffisant de casseroles pour occuper le Canard Enchaîné sur les douze mois qui nous séparent de la présidentielle. De l’autre côté, l’élite qui nous dirige aura fait le choix proprement consternant de remplacer une aficionado des régimes autoritaires correctement muselés par un lascar dont l’extrait de casier judiciaire lui interdirait tout emploi dans une administration ; la tâche diplomatique qui lui incombe promet d’être particulièrement amusante lorsqu’il va devoir expliquer au reste du monde ce qui se fait, se tolère ou ne se fait pas.

La conclusion de tout ceci apparaît évidente : il n’y a, de nos jours, plus de politicien suffisamment propre sur lui pour remplir une fonction ministérielle. Tant à droite qu’à gauche, aussi poujadiste puisse paraître cette affirmation, force est de constater que les politiciens d’envergure se sont tous pris, à un moment ou un autre, les pieds dans le tapis judiciaire, que les députés honnêtes et droits sont devenus si rares et si inconnus qu’aucun ne fait l’affaire pour diriger le pays.

Or, tout indique que le peuple s’en fiche : la presse, bien qu’un sourcil vaguement levé, n’a pas vraiment développé le sujet (ni pour Longuet, ni pour Juppé, ni pour les autres). Les associations diverses et variées n’en parlent pas. Les blogs ne s’émeuvent pas ou alors mollement.

En France, il semble acquis qu’un passage par la prison avec sursis n’obère pas ses chances pour un prochain mandat, une fois l’inéligibilité levée. Dans ce pays, être un fieffé larron, un voleur putatif, un escroc avéré, un magouilleur ou un filou plus ou moins officiel ne ferme en rien l’accès aux plus hautes fonctions. Mieux : cela semble ouvrir des portes, faire partie des prérequis.

Ne peut-on voir là une véritable marque de fabrique de la politique à la française ? Le peuple, peut-être réaliste, ne se serait-il pas dit que pour le diriger, lui, roublard, fricoteur, intriguant et à l’honnêteté douteuse, il faudrait des hommes et des femmes trempés dans la même sauce ?

Ou au contraire, ce même peuple, trop pétri de la certitude que l’élite lui veut du bien, que l’État travaille pour son bonheur, le cerveau trop lavé par l’idée que le travail pour le bien commun recouvre le mandat de l’élu, que les politiciens promettent mais ne tiennent pas car même s’ils sont de grands hommes ils sont de grands hommes faillibles, bref, trop bon et trop con, rempile à chaque occasion pour une nouvelle fournée d’aigrefins ?

Ce sont de vraies questions. Je n’en ai pas la réponse… En tout cas, dans l’une comme dans l’autre hypothèse, ce pays est foutu.


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