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Une énigme, trois questions

Publié le 28 janvier 2008 par Willy
L’audition ce week-end de Jérôme Kerviel, le trader accusé de fraude, et les explications de la Société générale mettent en lumière la défaillance totale des organes de contrôle. Jérôme Kerviel en garde vue, ses avocats (Mes Elizabeth Meyer et Christian Charrière-Bournazel) qui s’expriment sur le fond du dossier, la direction de la Société générale qui envoie hier à la presse une «note explicative concernant la fraude exceptionnelle» dont elle se dit victime… Depuis ce week-end, on commence à en savoir un peu plus sur cette invraisemblable histoire d’un trader qui fait perdre 4,9 milliards à sa banque. Décryptage d’opérations symboles des dérives de la finance.

1. Comment un trader peut-il investir 50 milliards d’euros ?

Dans l’imaginaire commun, un trader a la tête de Michael Douglas dans Wall Street d’Oliver Stone. Et il spécule sur un produit financier en faisant des paris sur sa hausse, ou sur sa baisse prochaine. A la Société générale, comme dans beaucoup d’autres banques, les traders sont confinés à une mission bien particulière. Et peu ont le droit de jouer l’argent de leur banque. Ainsi, Jérôme Kerviel, un petit trader de 31 ans, ne travaillait que comme arbitragiste dans le domaine des «futures», des contrats à terme sur les actions. L’activité d’arbitrage est une combinaison d’opérations permettant de réaliser un bénéfice, a priori sans risque. D’un côté, on achète un produit financier, de l’autre, on revend un autre produit qui lui est lié. «Ce sont les écarts de valeur qui font les profits ou les pertes de ces activités» , explique la Société générale dans sa note.

Le travail de Jérôme Kerviel consistait à vendre d’un côté des contrats à terme portant sur la valeur des principaux indices boursiers européens, de l’autre, à acheter les actions qui composent les indices. En janvier, il a ainsi pris des positions sur trois indices (l’Eurostoxx, le Dax à Francfort et le Footsie à Londres). Mais sans se couvrir. C’est-à-dire sans acheter les actions liées à ces indices. Ou plutôt en se couvrant, mais avec des opérations fictives. Du coup, personne ne s’est rendu compte du risque pris.

2. Comment un seul homme peut échapper aux contrôles ?

Début janvier 2008, Kerviel a spéculé sur une hausse des indices boursiers, qui ont ensuite fortement chuté. Ce qui ne fait pas de lui un très bon spéculateur. En revanche, il restera sûrement dans l’histoire comme un hacker de génie. Le trader a réussi à «déjouer successivement tous les contrôles permettant à la banque de vérifier les caractéristiques et la réalité des opérations initiées par ses opérateurs», explique la Société générale. Qui détaille ses «techniques de fraude» . Kerviel s’est ainsi servi de sa connaissance des procédures de contrôle acquises à son poste précédent, au middle-office, le service qui contrôle les traders. Il aurait conservé ses codes informatiques de l’époque et se connectait en tant que membre du middle-office. Il a ainsi créé à l’intérieur du système informatique de la Société générale de fausses contreparties, autrement dit de faux clients. Kerviel entrait aussi dans le système pour annuler certaines de ses opérations. Enfin, pour ne pas attirer l’attention, il choisissait des opérations très spécifiques «qui ne nécessitaient pas d’envoi de confirmation immédiat», toujours selon la banque. Il aurait ainsi recouru à ce qu’on appelle des forward deals, des opérations dont la date de valeur n’est pas celle de la date du règlement. Ce qui lui aurait permis d’éviter tout mouvement de trésorerie, ou d’«appel de marge» (sorte de versement d’un dépôt de garantie). Selon les avocats du trader, cependant, Kerviel «n’aurait commis aucune malhonnêteté».

Mais toutes les bonnes choses ayant une fin, dans la semaine du 14 janvier, le service des risques se rend compte de quelque chose d’anormal. Les opérations enregistrées sont censées avoir pour contrepartie une grande banque, mais le montant paraît énorme et le mail de confirmation, fourni par Kerviel, apparaît suspect. Le vendredi 18 au soir, une équipe d’investigation est mise en place. Le samedi, la banque censée être la contrepartie est contactée : elle nie avoir passé ces opérations. Interrogé dans la soirée, Kerviel reconnaît avoir créé des opérations fictives.

3. Comment une banque peut-elle perdre 4,9 milliards d’euros ?

Quand l’équipe d’investigation rend son rapport dimanche matin, la direction comprend son malheur : la position engagée par Kerviel est de l’ordre de 50 milliards d’euros. Un montant supérieur aux fonds propres de la banque. Ce qui fait planer un risque de faillite. «Cette position frauduleuse doit impérativement être débouclée dans les plus brefs délais» , explique la banque. A ce moment-là, dimanche, la perte n’est alors pas si importante, de l’ordre de 1 milliard d’euros, selon certaines sources. Mais, malchance supplémentaire, les Bourses asiatiques dévissent dès l’ouverture le lendemain matin, sur la crainte d’une récession aux Etats-Unis. Les Bourses européennes suivent le tempo et les trois indices sur lesquels Kerviel a joué s’écroulent. Dans ces conditions, le débouclage s’avère catastrophique. Il faut à la fois vendre les actions achetées par Kerviel, dont la valeur chute, et se couvrir en achetant des contrats à terme qui parient sur une baisse des indices, mais qui valent très cher. Bon gré mal gré, la banque déboucle sa position en trois jours. Mais le coût est énorme : 4,9 milliards d’euros. Une réaction moins brutale aurait-elle pu réduire la facture ? C’est la thèse défendue par les avocats de Kerviel. «La banque a provoqué elle-même des pertes de près de 4,5 milliards d’euros», expliquent-ils. Car elle a «liquidé des positions qui auraient pu se redresser avec le temps». En clair, les avocats du trader assument pour leur client une perte de seulement 400 millions d’euros. Cela ne résout pour autant aucune des questions posées par cette affaire : pourquoi Kerviel a-t-il agi ainsi? Et surtout, pourquoi a-t-il fallu autant de temps à la banque avant de se rendre compte qu’elle avait engagé 50 milliards d’euros ?

Par NICOLAS CORI - http://www.liberation.fr/


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