Ce matin-là, il y avait du vent… Mais du vent, il y en avait tous les jours ! Même que Nannus, roi des Ségobriges, en avait plus qu’assez de ce vent-là !
- C’est vrai quoi, pestait-il dans son coin… Déjà qu’on m’a imposé un nom de peuple à la con ! Mais en plus, il faut que je me tape tous les jours ce vent-là qui fait voler mon casque de chef celte… A force de passer mon temps à le ramasser, j’en deviens ridicule…En plus, j’ai une fille à marier… Qui voudrait bien d’une fille de roi ridicule comme je le suis ?...
Il prit un temps, jeta un regard désespéré vers la mer. On lui avait pourtant annoncé l’arrivée imminente d’une délégation venue de la lointaine cité grecque de Phocée, des voyageurs rapidement productifs qu’il appelait dans son langage à lui des VRP. Ils avaient réussi à vendre du blé, de l’huile d’olivier et des côtes d’agneaux à tous les peuples de la côte. Comme ça. Sans forcer. Juste à la force de la langue. Au bagou…
Il s’était bien juré de ne pas leur céder. Peut-être que cela lui permettrait de remonter sa réputation auprès de ses guerriers ? A moins qu’ils ne lui proposent un moyen de faire tenir ce maudit casque ?... Ou d’arrêter ce fichu vent ?
Ils sont arrivés comme le soir tombait, ont tiré leur frêle embarcation sur le rivage.
- Enfin, soupira le roi Nannus, je ne les attendais plus…
Le souverain des Ségobriges prit sa plus belle foulée et plongea vers la crique dans laquelle le navire phocéen s’était échoué. Il fit des grands gestes pour montrer qu’il venait en ami.
- C’est quoi, demanda Simos qui commandait l’expédition commerciale ?
- Un type pressé de dépenser ses sous avant que sa femme le fasse à sa place, répondit Protis qui était le sous-chef de l’expédition en charge de répondre aux questions à la con.
- Il ne doit pas en avoir beaucoup de sous en plus… T’as vu comme c’est paumé ce coin ? Il y a quoi au juste… Deux ou trois oiseaux et un cochon qui broute je ne sais quoi…
- Ouais… Et encore… Le cochon, c’est pas un perdreau de l’année… Plutôt le genre vieux porc…
- Tu crois pas qu’on devrait repartir ? J’ai pas qu’il nous arrive la même chose que l’autre fois, là-bas plus à l’est… On s’est bien fait Niké…
- Attends, on verra bien… Regarde, c’est quand même un coin pas mal… La mer, la montagne, le soleil… On se croirait chez nous… Ce serait sympa d’ouvrir une succursale ici, non ?
- Une succursale, Protis ?... T’as vraiment la folie des glandeurs… Tout pour ne pas continuer à bosser dans l’imporc-exporc.
Le roi Nannus survint à ce moment-là.
- Ohé du bateau ! Ohé du bateau !
- Ohé du péquenot !
- Pourquoi hurle-t-il comme ça, demanda Simos ?
- Je ne hurle pas, fit le roi Nannus… C’est à cause de ce foutu vent… Il porte les voix et les amplifie… Vous chuchotez et c’est comme au théâtre on a l’impression que vous la criez…
- Bon, qu’est-ce que tu veux, l’homme ?
- Pardon ?
- J’ai dit qu’est-ce que tu veux, l’homme ?
- Oh pardon, j’avais compris autre chose… C’est à cause de ce foutu vent…
- Oui, bon, on n’a pas que ça à faire…
- Vous auriez pas quelque chose pour arrêter ce vent ?
- Une sorte de robinet à vent ?
- Oui, oui…
- Ecoutez on a un modèle qui vient de sortir… Mais c’est pas pour tous les vents…
- Ah ?! Et c’est pour quels types de vents ?
- Les vents sales…
- Regardez, fit Simos en montrant un emballage, c’est écrit dessus Pro Vents Sales…
- Et c’est efficace ?
- Si votre vent est sale…
- Sale ?... Je sais pas… Froid, oui… Décoiffant, c’est sûr… Mais sale ?... Non vraiment je ne suis pas sûr…
- Sinon, on peut vous vendre des arbres pour couper le vent…
- C’est quoi comme arbres ?
- Des ifs ?
- Et comment ça s’installe ?
- Oh, c’est très simple… Vous montez sur une hauteur, sur un mont et vous les disposez de manière à barrer le passage du vent… Soit comme une barrière, soit un peu comme un château-fort.
- Un château d’ifs… mais ça fait faire des monts dantesques…
- Si vous le dîtes… Le client a toujours raison.
- Ou alors, il faut me trouver un moyen pour que mon couvre-chef ne se dérobe pas sans arrêt…
- Vous êtes le chef, s’étonna Simos…
- Ben oui… Ca ne se voit pas ?
- Ben non… Vous passez votre temps à ramasser votre casque à ailettes… C’est d’un ridicule !...
- Ah vous voyez ! Mais il y a des avantages à être chef… J’ai le droit d’être polygame afin d’être certain d’assurer une descendance pour ma race…
Protis émit un petit sifflement. Il avait toujours rêvé de ça… Avoir plusieurs femmes… D’ailleurs, il en avait déjà plusieurs… Une dans chaque port… Il se dit qu’une de plus ici, ça finirait la collection.
- Et elles sont toutes avec vous, demanda-t-il ?
- Non, la première est avec moi et me suit dans mes déplacements commerciaux… la seconde reste à la maison…
- Ah d’accord, votre première femme va acheter de quoi décorer la maison et votre dame 2 la garde.
- Exactement !
Le roi Nannus était sous le charme des deux commerçants grecs. Il décida de les inviter pour le repas du soir.
- Après tout, se dit-il, ce sont des gens qui vont droit au but… ça me plait… et je suis sûr qu’ils trouveront bien un moyen de stopper ce foutu vent.
Pendant le repas, Protis, toujours en quête d’une conquête, remarqua une jeune fille qui suivait le roi Nannus…
- Elle est vraiment jolie, souffla-t-il à Simos…
- Oui, reconnut son compagnon… Elle a une jolie bouille…
- Et attends qu’elle se penche… Quand sa bouille s’abaisse, c’est délicieux !...
Les coups d’œil de Protis vers Gyptis ne passèrent pas inaperçus. Le roi Nannus les remarqua rapidement. Il appela sa fille à ses côtés.
- Gyptis, j’ai peut-être un mari pour toi…
- Un mari, fit la jeune fille en battant des mains… Qui ça ?
- Un de nos invités… Choisis celui que tu préfères et il sera à toi…
- Oh papa ! Tu es le meilleur ! Le meilleur des papas !...
- Mais non, ma joliette… c’est normal, je n’ai pas envie que tu restes à quai…
- Alors, je veux celui qui est devant le poêle Gaudin. Le plus vigouroux, celui qui semble de fer.
Le roi Nannus se leva, réclama le silence…
- C’est l’heure de notre concours…
- Un concours, questionna Protis ?
- Oui, oui, un concours… Alors, ne restez pas tapis et venez vous mêler aux concurrents… Celui qui saura plaire à ma fille Gyptis gagnera une terre…
- Avec du pétrole ?
- Non, pas de pétrole… Mais avec vue sur la mer… la bonne mer…
- Et que faut-il faire pour plaire à votre fille ?
- M’offrir un cadeau qui me plaira…
Protis se pencha vers son compagnon phocéen et lui murmura quelques mots à l’oreille.
- Tu crois, fit Simos ?
- J’en suis sûr…
Protis se leva, fouilla dans le grand sac qu’il faisait toujours suivre et en retira un poisson qui commençait déjà à puer. Il s’approcha du roi Nannus qui se recula devant l’odeur nauséabonde…
- Qu’est-ce que ça ?
- Un poisson !
- Je le vois bien…
- C’est un poisson que nous avons pêché près de la cité de Nikaïa en un lieu qu’on nomme Eze…
- Et ?...
- Il réglera vos problèmes de vent…
- Vrai ?! Comment ça ? Il est pourtant pas flambant votre poisson, il est tout déplumé, tout chauve…
- Prenez un filet de pêcheur… Tendez-le face au vent… Posez le poisson devant le filet… et il arrêtera le vent…
- Vraiment ?!
- C’est certain…
Le roi Nannus monta sur le plus haut sommet du site, tendit le filet de pêcheurs, posa le poisson face au vent… Et aussitôt, ce dernier s’arrêta.
- Ca alors !!!
Il essaya d’appeler les convives… Ceux-ci ne l’entendaient même pas… C’était prodigieux, miraculeux, insensé.
Le roi Nannus se hâta de rejoindre les lieux du repas.
- Mais quel est ce poisson ?
- C’est un bar, majesté… Un bar d’Eze…
Et c’est ainsi que Protis put épouser Gyptis, qu’il obtint de son beau-père la possession des terres sur lesquelles il avait échoué son bateau. Malheureusement, un jour, le poisson miraculeux vint à se prendre dans ses propres filets… Et le vent se remit à souffler !...
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