Mediapart publie ce matin un entretien avec un ancien ambassadeur de France en Tunisie de 2002 à 2005, Yves Aubin de La Messuzière, qui ne mâche pas ses mots : "Trop, c'est trop. Les diplomates n'ont pas à être traités, comme le dit Henri Guaino, comme des «bureaucrates». Si nous avions la possibilité de publier certaines archives (…) nous pourrions attester de cette information qui n'a cessé de parvenir aux responsables en capacité de dicter la politique étrangère de la France à propos de la Tunisie." Et un peu plus loin : dans "une note datant de mai 2003, (…) nous alertions le ministère des affaires étrangères, qui faisait suivre à l'Elysée et à Matignon, sur le fait que, dans le système Ben Ali, le champ politique était totalement verrouillé. Dans le même temps, nous observions la montée en puissance d'une jeunesse et d'une classe moyenne de mieux en mieux formées, et qui constituait pour nous le défi majeur pour la décennie en cours. Nous pointions de manière très claire l'insatisfaction de cette jeunesse, et le fait qu'au-delà du problème de l'emploi, qui était réel, il y avait un malaise de cette jeunesse, exaspérée de ne pas pouvoir participer à l'espace politique. Nous notions également que les internautes étaient de plus en plus l'objet d'arrestations et de peines de prison. Nous concluions sur le fait que l'absence de toute perspective de renouvellement, loin de conforter le régime, affecterait dans la durée sa légitimité." Suivent des critiques sur les comportements de Chirac, Sarkozy et de son successeur à Tunis.
Yves Aubin de La Messuzière est de ces diplomates qui ont fait une carrière qui ne prête pas aux coups d'éclat : diplômé de l’école nationale des langues orientales vivantes et diplômé d’études supérieures d’islamologie, il a été ambassadeur au Tchad, en Tunisie, en Italie, en République de Saint Marin, il a également été directeur Afrique du Nord Moyen- Orient au ministère des Affaires étrangères de 1999 à 2002. C'est donc un bon connaisseur du monde arabe. Et l'on comprend qu'il ait été outré par les propos de Guaino et de quelques autres. Mais d'ordinaire ces colères restaient rentrées.
Jusqu'à il y a peu, elles nourrissaient au pire les papiers du Canard Enchaîné ou incitaient à rédiger à quelques uns une pétition anonyme publiée dans le Monde ou dans Libération. Voilà que les agressions répétées dont ils sont victimes (car il s'agit bien de cela) amènent des fonctionnaires mécontents à sortir à visage découvert. Nous avions eu des protestations des plus hauts magistrats, voilà que les diplomates s'y mettent.
C'est dire leur exaspération mais aussi, plus encore, le peu de respect qu'ils gardent pour ceux qui nous dirigent et dont ils jugent qu'ils mettent en danger l'institution auxquelles ils ont consacré leur vie. Les Américains ont pour décrire cela un mot : whistleblowers, ceux qui soufflent dans un sifflet. C'est bien cela : un coup de sifflet pour mettre un terme à ces attitudes qui bien loin de rafistoler une politique extérieure en haillons ne peut qu'entretenir la déception de ceux chargés de la concevoir et de la mener.