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Hier, à 15h 30, sur France 5 : « CIVILISATIONS DISPARUES - LA VALLEE DE L’INDUS » .

Par Ananda

 

En guise d’introduction à ce documentaire allemand, on nous assène une phrase qui a tout de même de quoi causer un certain choc, puisqu’elle évoque « des salles de bain vieilles de 3 000 ans » .

Eh oui, les toutes premières salles de bain, de même que les toutes premières latrines intégrées à des logements privés et le tout premier réseau de tout à l’égout furent inventés à l’ouest de l’Inde, dans la vallée du fleuve INDUS, à la frontière entre les actuels états de l’Inde et du Pakistan !

En 1947, cependant que l’Inde se trouve « au bord de la guerre civile », l’archéologue britannique Mortimer WHEELER vient de mettre au jour les vestiges d’une importante cité antique située au bord du fleuve de l’ouest.

Mais, du fait des évènements tragiques et chaotiques qui, à cette époque, secouent le sous-continent, il est sur le point de quitter le lieu de ses recherches. Au moment de son départ, il a déjà derrière lui « plusieurs dizaines d’années » de fouilles assidues.

Il n’empêche, pourtant, que l’Indus demeure une civilisation des plus mystérieuses.

Située dans l’actuel Pakistan, la cité de MOHENJO-DARO a été érigée il y a 2 500 ans avant Jésus-Christ. Le « quadrillage réfléchi » que révèle son plan en fait une véritable merveille d’urbanisme, unique pour l’époque, une sorte de New-York bien avant la lettre.

Les estimations actuelles lui attribuent environ 50 000 habitants à l’époque de sa splendeur.

Un spécialiste allemand, le Pr JANSSEN s’est, depuis trente ans, voué à l’étude de son extraordinaire urbanisme.

Selon lui, les hommes y ont été « attirés par la fertilité des terres », et par les facilités qu’offraient, pour les transports, la présence du grand fleuve. Il n’en reste pas moins que l’Indus « est un fleuve capricieux », qui « gonfle pendant la saison des pluies ».

En 1902, un certain George MARSHALL embarque pour le « Joyau de l’Empire Britannique » qu’est alors l’Inde. Les fonctions qui l’appellent sont celles de Directeur Général du Département Archéologique en Inde.

Le gouverneur de l’Inde anglaise, Lord CURZON, qui mène, à Calcutta, une véritable « vie de prince », attend tout simplement de lui qu’il sauve le « patrimoine indien ». Ce dernier, fort ancien et riche de « milliers de palais et de temples », fascine les Britanniques, lesquels voudraient bien savoir à quand exactement remontent les sources de l’Histoire et de la civilisation indiennes. Homme « curieux de nature », Marshall choisit de se tourner vers le RAJASTAN, c'est à dire l’ouest de l’Inde.

Mais le documentaire revient au Pr Mikael Janssen et aux vestiges de Mohenjo-Daro, à propos desquels le savant nous précise que « seuls 10 % ont été exhumés » à ce jour.

L’ancienne superficie de la ville devait se monter à 200 ha, pas moins, et Janssen parle même, à ce propos, de « dimensions peut-être sous-estimées ».

Par contre, le savant allemand est absolument sûr de son fait lorsqu’il qualifie cette très antique ville indienne de « première zone urbaine de cette ampleur » à apparaître dans l’Histoire.

Mohenjo-Daro a été construite – et repose toujours – sur un « soubassement de briques en limon ».

Une jeune scientifique indienne de l’Université de New-Delhi se met ensuite à nous parler des méthodes de George Marshall, auquel, visiblement, elle voue une grande estime. « C’était quelqu’un qui réfléchissait beaucoup », dit-elle, admirative.

Installé à SIMLA, Marshall, en son temps, commence par dépêcher une équipe dans le sud de l’actuel Pakistan, près de LAHORE, sur les ruines d’HARAPPA. Là, les fouilleurs, en s’intéressant aux fameuses briques de limon, constatent qu’elles témoignent d’une singulière maîtrise artisanale et que – fait étonnant – elles sont « de la même taille » que les briques qui se fabriquent aujourd’hui encore dans toute l’Inde.

Cependant, en dépit de cette constatation, les premières fouilles s’avèrent très « décevantes » : des « outils en silex et en bronze » de facture plutôt primitive, côtoient de « mystérieuses plaques gravées ». Une fois mis en présence des dites plaques, Marshall sursaute tout de même : il reconnait en elles des sceaux, qui lui font furieusement penser à un autre sceau de même facture qu’il a vu au British Museum !

Il a, d’autre part, envoyé, dans la province du SIND, sur le site de Mohenjo-Daro, une seconde équipe, qu’il a mise sous la direction de l’Indien BANERJEE, l’un de ses élèves. Ce dernier, en fouillant une ruine, déniche un sceau de toute beauté, qu’il expédie de suite là où réside Marshall, à Simla.

Dès lors, les savants vont s’atteler au « décryptage des sceaux », véritable aventure que la jeune scientifique de Delhi qualifie de « digne d’un roman d’espionnage ».

A l’heure qu’il est, nonobstant tous les acharnements, les efforts qui n’ont pourtant pas manqué, les fameux sceaux de la vallée de l’Indus demeurent obstinément indéchiffrables. Une équipe contemporaine de spécialistes de HARVARD s’y est elle-même cassé les dents ; ayant « testé toutes les clés de décryptage possibles et imaginables », elle n’a pas obtenu de solution.

Les caractères gravés sur ces sceaux sont-ils bien ceux d’une écriture, au sens classique que nous donnons à ce terme ?

En dehors d’eux, aucun autre témoignage « écrit » n’a été retrouvé. Ni tables d’argile, ni papyrus, ni parchemins, ni parois peintes ou gravées comportant les mêmes caractères (et pourtant, il ne manque (manquait) pas de murs !).

Les inscriptions des sceaux elles-mêmes frappent par leur « brièveté » : en moyenne, elles ne comportent guère plus de cinq caractères, la plus longue d’entre elles n’alignant que dix-sept signes.

D’où une thèse – audacieuse – que les « Harvardiens » se sont permis d’émettre : étant donné qu’on ne peut relier ces caractères à aucune écriture, « les bâtisseurs de l’Indus étaient peut-être analphabètes ».

Pour étayer le thèse, l’un de ces scientifiques de Harvard fait remarquer, non sans raison, que « les civilisations évoluées n’ont pas forcément besoin d’une écriture ». Et de citer l’exemple – fort convainquant – de l’Empire Inca…

Quoi qu’il en soit, ce furent ces sceaux qui permirent à Marshall de prendre tout à coup conscience que les deux cités d’Harappa et de Mohenjo-Daro appartenaient, sans doute possible, à « une même civilisation », l’Indus et les « récoltes abondantes » qu’il permettait ayant favorisé l’émergence puis le développement de ces deux villes « jumelles ».

A Mohenjo-Daro, Mikael Janssen ne désarme pas : en attendant de dénicher le Graal d’un « système d’écriture » auquel il croit encore, l’Allemand se livre à des forages de 2 mètres de profondeur. Son but : confirmer que la ville « devait s’étendre bien plus loin » que l’actuel site de Mohenjo-Daro proprement dit.

M. Janssen en est convaincu : « Mohenjo-Daro se trouvait au cœur de cette civilisation », probablement très active, tant sur le plan agricole qu’artisanal et commercial.

Reste à savoir quelle est l’ancienneté exacte de cette culture.

Le problème – que dis-je, l’énigme – fut résolu dès l’époque de Marshall.

Lors d’une réunion de toutes ses équipes à Simla, le constat fut fait qu’aucun objet en fer ne figurait dans les sites de la vallée de l’Indus. Il était, dans ces conditions, tout à fait logique de penser qu’on avait affaire à une civilisation antérieure à la découverte et à l’usage du fer.

Ainsi la certitude de Marshall se trouva-t-elle renforcée : la civilisation de la vallée de l’Indus remontait au « IIIème millénaire avant notre ère » !

Dès lors, galvanisé, l’Anglais organisa « des fouilles à grande échelle », dans l’espoir de trouver des preuves qui renforceraient sa thèse.

La découverte de la culture de l’Indus devient un évènement ; des journalistes s’y intéressent, et rejoignent les chantiers de fouilles.

Conscient que ceux-ci « connaissent les écritures antiques », Marshall entreprend de former de nombreux Indiens à l’archéologie.

A Mohenjo-Daro, les trouvailles architecturales ne se comptent plus. Parmi elles, « un ensemble de  1 800 m2 », dont on ignore la fonction exacte, et un bassin de sept mètres sur douze, d’une respectable profondeur, sur lequel le Pr Janssen se pose, aussi, beaucoup de questions. S’agissait-il d’un « bain public » , d’un très lointain précurseur des thermes romains, en somme ? L’Allemand s’avoue « impressionné  par la complexité de la construction » : les bâtisseurs se servirent de bitume pour rendre le bassin étanche ! Les dimensions d’une telle pièce d’eau en font quelque chose d’important…de là à penser qu’il devait être « utilisé pour des rituels », il n’y a qu’un pas…que Janssen n’est pas loin de franchir.

D’autres bassins, moins grands, ont été retrouvés dans des maisons, lesquelles, comme nous l’avons vu déjà, comportaient également des « toilettes équipées d’une évacuation ». Les « eaux usées » étaient systématiquement « rejetées hors de la ville », ce qui prouve que les habitants de ces cités avaient une conscience aigue des dangers que représentaient les risques d’épidémies, par souillure, dans de fortes concentrations de populations urbaines.

Les habitants de la vallée de l’Indus furent les inventeurs de l’hygiène !

Leurs « maîtrise des techniques de nivellement » sidère Janssen, qui n’hésite pas à voir en eux des « ingénieurs et architectes d’exception ».

Un autre exemple : des puits cylindriques émaillent les ruines de l’antique ville et, aux yeux du savant allemand, ces puits « atteignent la perfection technique ».

Si Mohenjo-Daro compte environ 600 de ces puits, les ensembles urbains pourtant tellement impressionnants de l’Indus n’exhibent « ni temples ni palais ».

Outre les sceaux, Marshall y découvrira des proto-jeux d’échecs et, surtout, une « petite statue de bronze âgée d’environ 4 000 ans », très belle figure féminine qui eut le don de le fasciner. S’agissait-il d’une danseuse, d’une courtisane, d’une déesse ? Le mystère demeure, aujourd’hui encore, entier, impénétrable.

Pour Marshall, la civilisation de l’Indus était de nature pacifique. Rien, en effet, dans ses découvertes, n’attestait de préoccupations guerrières, ou défensives.

Cette civilisation couvrait un territoire égal à deux fois le territoire français.

Après Harappa et Mohenjo-Daro, toujours dans les années 14920, on eut l’occasion de découvrir d’autres ruines de cités du même type.

A DHOLAVIRA (Gujarat, Inde), l’eau n’étant vraisemblablement pas potable à leur époque, « le habitants exploitaient l’eau des pluies ».

Janssen nous décrit Dholavira comme un phénomène « inédit », à part : elle était en effet « construite en pierres naturelles ».

Dans l’ensemble, «  1 500 implantation humaines » ont été recensées, en lien avec la civilisation de l’Indus. Mais peu, très peu encore ont été explorées.

Pour ce qui est de George Marshall, il quitta son poste à la fin des années 1920.

La jeune scientifique indienne de l’Université de Delhi lui rend hommage en soulignant que « l’Inde a recouvré, grâce à lui, un passé de plusieurs millénaires ».

En 1944, entre en scène un autre archéologue anglais, WHEELER.

Wheeler n’adhère pas du tout à la thèse que cultivait Marshall, à savoir celle du « prétendu pacifisme » des gens de l’Indus. A ses yeux, c’est une thèse qui manque totalement de réalisme.

Mais revenons à Dholavira.

Cette troisième imposante cité ne possédait qu’un seul puits. Elle avait, en fait, tout misé sur un « ingénieux système d’adduction d’eau » dont les pièces maîtresses étaient d’énormes barrages-réservoirs chargé de recueillir l’ eau de pluie.

Aux dires de Janssen, pas de doute : « le point fort de ces hommes était l’ingénierie ».

Apparemment peu soucieux de bâtir des monuments gigantesques et inutiles, « ils élaboraient de petites structures », en fonction de leurs besoins propres.

C’étaient manifestement des gens pragmatiques et très ingénieux, doués au surplus d’un grand sens du commerce. Les « mesures et poids » retrouvés sur les sites le confirment : l’activité commerciale était intense, centrale dans leur vie, ils l’avaient développée jusqu’à devenir, dans ce domaine, une « grande puissance », avec laquelle la Mésopotamie elle-même devait compter.

Agriculteurs actifs et dynamiques commerçants, les habitants de ces cités descendaient le cours de leur fleuve pour se jeter avec lui hardiment dans la Mer D’Oman, et des archives mésopotamiennes font très clairement allusion à une « flotte venue de l’est » autorisée à aborder.

Comment refuser de commercer avec un pays si prospère ?

Comment résister à l’attrait des textiles et des bijoux ?

On ne peut que se mettre à la place des Mésopotamiens, ou des habitants de l’Arabie.

Ceci dit, il est temps, maintenant, de revenir à Mortimer Wheeler.

Insatisfait –voire mécontent – des méthodes employées par son prédécesseur Marshall et par les siens, le Britannique met au point une méthode bien plus rigoureuse : sur les sites, les aires de fouilles seront désormais scrupuleusement quadrillées et chaque carré sera l’objet d’une exploration non moins scrupuleuse. Wheeler était, avant tout, soucieux de la « préservation maximale des objets anciens ».

Parti « en reconnaissance à Harappa », l’énergique archéologue fait une trouvaille qui ne manque pas de le satisfaire : s’étant attaqué à une intrigante « élévation du terrain », voici qu’il découvre que celle-ci dissimulait une forteresse dans laquelle il vit un « siège de pouvoir », une résidence de l’élite à fonction défensive. Balayée, la vision angélique d’une société sans hiérarchie et sans violence que défendait George Marshall !

Ensuite, Wheeler porte ses pas vers les vestiges de Mohenjo-Daro, où, autour du grand bain, il met au jour « des structures de vingt mètres de haut et de huit mètres de profondeur ». Mais ce qui l’intéresse sans doute le plus, c’est la « découverte troublante » que lui donne également l’occasion de faire la cité oubliée : « sous le pinceau, la part d’ombre de la civilisation de l’Indus apparait enfin » ; plusieurs squelettes disloqués, de tailles différentes, sans sépulture, que l’on se hâte, à l’époque, d’attribuer à l’invasion indo-aryenne.

Plus tard, on reviendra sur cette explication trop rapide : il s’avèrera en effet que la culture de l’Indus s’est éteinte vers – 1 900 ; or, les Indo-Aryens venus d’Afghanistan et de l’Asie Centrale n’ont pénétré dans le nord du sous-continent que vers – 1 500 !

Un scientifique interrogé nous le confirme de façon formelle : « les Aryens ne sont pas responsables de la disparition de cette civilisation ». La civilisation harapéenne n’a fait que connaître un déclin ( vraisemblablement dû à un rude changement climatique), et les gens ont fini par abandonner le mode de vie en cité pour retourner vivre dans des villages.

De nos jours, des « travaux de préservation réguliers et systématiques » sont pratiqués, notamment par le Pr Janssen, sur les ruines de Mohenjo-Daro. Ces dernières sont, en effet, fragiles et, en particulier, menacées par le sel. Il ne faudrait tout de même pas qu’elles subissent une « deuxième disparition » !

Les buts de la recherche, quant à eux, ont changé : ainsi que nous l’explique Janssen, les intérêts ne se portent plus tellement, à l’heure qu’il est, sur les murailles, ni sur les objets récoltés en eux-mêmes ; en priorité, « on s’efforce de comprendre le quotidien des habitants ».

Le Pr Janssen doit bien en convenir, et il en convient : « Mohenjo-Daro était sans doute la plus grande cité de l’Âge du Bronze ».

Et Wheeler, dans tout ça ? Nous l’avons « abandonné » un peu vite.

Le malheureux se trouva contraint de fuir l’Inde de toute urgence au moment des troubles liés à l’indépendance du sous-continent.

Mais ni lui, ni qui que ce soit d’autre, même de nos jours, n’a vraiment pu répondre à la taraudante question « qui étaient les hommes des rives de l’Indus ? ».

L’archéologie, chacun le sait, est un long travail de patience, et l’étude de cette culture est encore « jeune » ; tout reste à faire.

« De quoi alimenter encore plusieurs décennies de recherche, sans aucun doute ».

Une chose semble sûre, pourtant, au vu des trouvailles récoltées : beaucoup des traits de cette culture (comme l’importance extrême du bain, l’obsession de la propreté, de la mise à distance de la souillure, le dynamisme artisanal et commercial, les représentations de bovidés et de silhouettes en « position du lotus »  trouvées sur des sceaux) apparaissent, déjà, profondément indiens.

P. Laranco.


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