Ministre !

Gérard Longuet a enfin retrouvé un portefeuille ministériel.
Il ne pensait qu’ŕ ça, il en ręvait jour et nuit, il voulait redevenir ministre. Blanchi aprčs avoir longtemps traîné quelques casseroles judiciaires, redevenu tout ŕ fait fréquentable, il espérait enfin retrouver la douceur ouatée d’une limousine avec chauffeur, les ors de la République, version rive gauche, redécouvrir le respect, la considération, l’ivresse du pouvoir. A ses yeux, ne pas revenir aux affaires ŕ l’occasion du remaniement de novembre dernier relevait du crime de lčse-majesté, de la faute politique, de l’erreur pure et simple. Puis les événements lui ont rappelé que tout arrive ŕ qui sait attendre. Merci au Président de la République, merci au Premier ministre et, surtout, merci, merci infiniment ŕ Michčle Alliot-Marie d’afficher un amour immodéré pour les vacances en Tunisie... Voici donc Gérard Longuet redevenu ministre, heu-reux.
Et pas n’importe quel ministre, alors qu’il était sans doute disposé ŕ accepter un petit portefeuille. Peu importe la fonction, pour autant qu’on dispose de la limousine, que renaisse le sentiment de figurer parmi les puissants, de participer chaque mercredi au conseil des ministres. Et cela, bien entendu, en faisant soigneusement semblant de ne pas lire Le Canard enchaîné. Oui, Longuet est ministre, ŕ part entičre, ministre de la Défense, excusez du peu. Cela, expliquent les spécialistes, parce qu’il convenait de rééquilibrer le gouvernement, de faire une place ŕ l’aile centriste et libérale de l’UMP. Ainsi va la politique française.
En ręvant un peu, en affichant d’ultimes illusions, on pouvait imaginer Longuet, ŕ peine nommé, prenant le premier avion pour Tokyo dans l’espoir de tuer dans l’oeuf une tentative anglo-germano-italienne d’imposer l’Eurofighter/Typhoon sur le marché nippon. Lŕ aussi, tout est politique : ŕ partir du moment oů le Pentagone refuse de vendre le Boeing F-22 Raptor aux Forces d’auto-défense, Tokyo veut se venger et envisage d’acheter européen. Le Rafale n’ayant apparemment pas été évoqué en marge de ces manoeuvres, il serait urgent de comprendre ce qu’il en est exactement et, pour ce faire, rien ne peut remplacer une visite de ministre sur le terrain. Encore faudrait-il en parler ŕ Longuet, de le mettre au parfum, toutes affaires cessantes. Mais, on a beau lire et relire les dépęches, rien de tel n’apparaît. On peut donc se risquer dčs ŕ présent ŕ un pronostic tout simple : les Japonais finiront par en revenir ŕ des sentiments américanophiles solidement ancrés dans leurs gęnes, liront la notice du Typhoon pour se donner bonne conscience puis achčteront, par exemple, des F-15 Silent Eagle ou encore des A/F-18.
Longuet finira-t-il par se manifester, par saisir ce dossier ŕ bras le corps ? On s’interroge, on spécule. N’oublions pas, pour mettre cette insoutenable interrogation dans son juste contexte que l’exploit politique le plus récent du tout nouveau ministre de la Défense a été le dépôt d’une proposition de loi relative ŕ l’installation de panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération en langue régionale. Il est aussi membre du groupe Chasse et pęche et du groupe d’études sur l’économie agricole alimentaire. Ce qui ne l’empęche pas de rester modeste : il vient d’écrire ŕ ses amis politiques qu’en le nommant ŕ la Défense, Nicolas Sarkozy a choisi l’expérience. Et de citer le nom d’un seul de ses prédécesseurs, Pierre Messmer...Du coup, on imagine la sourde inquiétude qui envahit le consortium Eurofighter et les craintes soigneusement dissimulées qui agitent le Pentagone.
On allait l’oublier : la branche allemande d’EADS est partie prenante dans le programme Eurofighter/Typhoon. Ce qui permet de garder l’espoir, si Boeing ne l’emporte pas, de récolter les miettes d’un contrat de 10 milliards de dollars. Il faudra suivre attentivement les prochains épisodes de cette nouvelle saga, et cela malgré la banalité du scénario.
Pierre Sparaco - AeroMorning