Je suis en train de lire un livre, dont je parlerai sûrement un de ces jour sur le blog, qui a pour thème la simplicité dans les produits et services. Il est assez similaire au livre De la simplicité que j’ai déjà chroniqué.
L’ascenseur de la pomme
L’auteur parle à un moment du fait que les utilisateurs ont certes besoin de simplicité et d’ergonomie, mais qu’il veulent garder le contrôle. Ou tout au moins garder l’impression d’avoir le contrôle de ce avec quoi ils interagissent.
Il donne l’exemple d’un ascenseur construit par Apple dans l’un de ses Apple Center au Japon. Cet ascenseur est très beau, avec un design épuré fait de verre et de métal. Pour simplifier au maximum son utilisation, l’ascenseur ne propose aucun bouton d’appel ni de choix d’étage. Il se contente de circuler de haut en bas, s’arrêtant à chacun des 4 étages du bâtiment. Cela semble être une bonne idée : les clients n’ont pas à se poser de question, ils montent simplement dans la cabine quand les portes s’ouvrent et en descendent quand ils arrivent à l’étage qui les intéresse.
Sauf qu’au final, cet ascenseur génère plus de tracas que prévus. Ne sachant pas comment il fonctionne, et étant habitués aux ascenseurs traditionnels, les gens cherchent un bouton d’appel jusqu’à ce que les portes s’ouvrent enfin. Puis le stress monte un peu en se demandant si la cabine va bien s’arrêter là où ils le souhaitent. Au lieu de libérer l’esprit, ce fonctionnement simpliste amène les utilisateurs à se poser des questions inutiles. On pourrait dire qu’une fois qu’on a compris comment l’ascenseur marche il n’y a plus aucune question à se poser ; sauf que la plupart des utilisateurs ne l’utiliseront qu’une seule fois. Le choix est mauvais.
En lisant ça, j’ai pensé à d’autres exemples qui montrent que les utilisateurs ont besoin de pouvoir contrôler ce qu’ils utilisent.
Contrôler les bugs
Dans mon entreprise, nous utilisons Flyspray comme outil de gestion des bugs. C’est un outil globalement très bien fait, que je conseille souvent autour de moi. Comme la plupart des outils de ce genre, il permet d’ajouter des tâches en leur assignant un critère de sévérité et un critère de priorité. Par la suite, les tâches sont listées par ordre de priorité ; à priorité égale, le tri est fait suivant la sévérité.
Et donc comme la plupart des outils de ce genre, Flyspray utilise ces deux critères pour déterminer automatiquement l’ordre dans lequel les tâches doivent être traitées. Sur le papier, c’est génial.
Le problème, c’est qu’un outil qui ne se base que sur deux critères a forcément une intelligence limitée. Ainsi, la priorité d’une tâche devrait pouvoir augmenter au fil du temps ; le fait de lui ajouter une date d’échéance ne fait pourtant pas monter le critère correspondant ; on se retrouve donc avec des tâches de faible priorité, qu’il faudrait terminer pour demain, mais qu’on ne voit pas car elles sont listées en bas de liste au milieu d’autres tâches de faible importance.
En plus de ça, le passage en revue des tâches n’est pas aisé. Si on veut faire passer une tâche avant une autre, il faut l’éditer et augmenter sa priorité ou sa sévérité, sans vraiment savoir jusqu’où elle va monter dans la liste ; elle peut très bien se retrouver à passer au-dessus d’autres tâches qui devaient rester plus prioritaires.
Bref, c’est pas toujours très pratique, et on voudrait souvent pouvoir bouger les tâches les unes par rapport aux autres simplement en les déplaçant à la souris. En un mot, on voudrait pouvoir contrôler l’ordre des tâches directement, sans passer par une édition contraignante. À l’usage, on se rend compte que l’on souhaite simplement lister les tâches dans l’ordre suivant lequel elles doivent être exécutées. La sévérité n’est pas un critère, mais une information à utiliser pour déterminer − avec son cerveau − la priorité.
En la matière, les listes sont plus simples et plus efficaces à gérer dans les outils Backpack et Basecamp, par exemple.
Contrôler les impressions
Autre exemple de comportement sous-optimal, l’impression de feuilles de calcul dans OpenOffice Calc. Vous pouvez sélectionner un ensemble de cellules, puis cliquer sur le menu “Format/Zone d’impression/Définir”. Sauf qu’en faisant ça, OpenOffice tente quand même de trouver le découpage idéal pour imprimer votre feuille. Et la plupart du temps, les cellules sont imprimées beaucoup trop grand, et sur les 5 colonnes que vous vouliez imprimer, la cinquième sera imprimée sur une page séparée.
Pour que la zone définie soit entièrement regroupée sur une seule page, il faut aller dans le menu “Vue/Page break preview”, puis déplacer les lignes qui représentent les sauts de page.
Là, on a du contrôle sur ce qui se passe. Mais l’ensemble est franchement anti-ergonomique. La plupart des utilisateurs voudraient qu’en définissant une zone d’impression, celle-ci soit intégralement imprimée sur une seule page. Il vaudrait mieux laisser le paramétrage fin à ceux qui le souhaitent.
De manière générale
Quelque soit le produit ou le service, il n’est jamais évident de proposer une ergonomie qui soit à la fois :
- Claire. Pas de question à se poser sur la manière de l’utiliser, chaque fonction tombe sous le sens.
- Cohérente. Chaque action déclenche systématiquement l’effet attendu, sans risque de fausse manipulation.
- Limpide. L’information fournie est immédiatement compréhensible.
Alors cela devient encore plus compliqué si on ajoute ces deux critères supplémentaires :
- Souplesse. Faire en sorte que l’outil puisse s’adapter aux besoins de l’utilisateur et non l’inverse.
- Contrôle. Donner à l’utilisateur l’impression que c’est lui qui dirige les actions et les réactions.
Je reviendrai dans un prochain article − quand je ferai la critique du livre dont je parlais plus haut − sur les différentes solutions de simplification. Mais s’il y a un choix à faire entre souplesse et contrôle, je conseille de privilégier le second. Un utilisateur qui a le contrôle d’un nombre réduit de fonctionnalité pourra s’en satisfaire ; alors que le manque de contrôle est rédhibitoire dans un grand nombre de situations, quelque soit le nombre de fonctionnalités. Manquer de contrôle donne l’impression qu’on ne peut pas faire ce qu’on veut, alors que la fonctionnalité est peut-être présente.
A contrario, assouplir un outil demande souvent des ajouts de fonctionnalités qui peuvent nuire à sa simplicité générale. Cela doit donc être une chose faite avec beaucoup de précautions, pour ne pas contenter 1% des utilisateurs si ça doit dégrader l’expérience des 99% autres.