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Les procédés sournois de Marine Le Pen : vers une démagogie 2.0 ?

Publié le 07 mars 2011 par Sylvainrakotoarison

Ce week-end, toute la classe politique a été mise en émoi par un sondage qui donne à Marine Le Pen une petite avance dans la course à l’échalote présidentielle 2012. L’effet mécanique d’une succession "historique", celle de Jean-Marie Le Pen …et quelques procédés racoleurs, novateurs et efficaces.

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On ne dira jamais assez que ce n’est pas parce que la petite musique du Front national s’habille avec de longues robes noires, porte des hauts talons, se maquille et se coiffe avec des cheveux blonds qu’elle n’est pas la même rengaine continuelle de la xénophobie, de la stigmatisation communautaire et du repli sur soi.

Et il faudra sans doute le dire encore longtemps quand on voit à quel point la sauce de la contestation creuse peut monter, notamment dans les sondages dont le dernier, celui de Harris Interactive publié dans "Le Parisien" du 6 mars 2011, donne une petite longueur d’avance à Marine Le Pen sur les autres candidats possibles en lice (Dominique Strauss-Kahn excepté ?).

On dira ce qu’on veut des sondages, et notamment des hypothèses d’école posées (comme la candidature de Dominique de Villepin et l’inconnue concernant le candidat socialiste puisque la "performance" est obtenue en cas de présence de Martine Aubry au premier tour), leurs indications sont toujours intéressantes à analyser sur l’évolution, la tendance du moment, comme on peut noter que ceux qui progressent positivement dans les sondages sur la primaire du Parti socialiste, ce sont ceux qui font réellement campagne sur le terrain, à savoir Ségolène Royal et surtout le discret François Hollande qui peut créer la surprise.

Revenons à Marine Le Pen et arrêtons-nous à ce "phénomène" médiatique.

L’héritière conquérante

L’été dernier, j’avais rappelé la nature très particulière du programme du Front national par une analyse critique, et même si Marine Le Pen a cherché à mettre un peu d’eau de gauche populaire dans son vin de droite extrême, ses tours de magie ne devraient plus tromper longtemps un électorat un peu désorienté.

Il faut dire que médiatiquement, elle a réussi à bénéficier d’une visibilité accrue grâce à la campagne interne au Front national, son duel avec Bruno Gollnisch puis sa "consécration" au congrès du FN du 16 janvier 2011.

Marine Le Pen a mené à bien deux opérations politiques qui lui ont donné un écho dans le paysage politique.

La première, c’est d’avoir su se faire fréquentable, au contraire de son père. Un travail qu’elle a conduit depuis dix ans (les plateaux de télévision de la soirée électorale du terrible 21 avril 2002) et qui rend désormais ordinaire et acceptée sa présence dans tous les médias alors qu’elle véhicule la même idéologie que Jean-Marie Le Pen. Cette façon de faire, qui a pour volonté une dédiabolisation des idées du FN en évacuant de son discours tout dérapage verbal sur la Seconde guerre mondiale et en évitant soigneusement l’expression de toute sorte d’antisémitisme, avait même fâché le fondateur du FN et en 2005, le père et la fille étaient en effet sur le point d’une rupture.

La seconde opération, c’est la succession de Jean-Marie Le Pen. Alors que jusqu’à maintenant, le Front national n’était qu’une marque de Jean-Marie Le Pen, sans qui tout pouvait péricliter (en 1999, Bruno Mégret en a fait les frais malgré sa mutinerie qui avait embarqué les trois quarts des cadres du FN de l’époque), Marine Le Pen a réussi à en faire un parti qui perdure au-delà de son fondateur, et cela sans être la fille de son père. La preuve, c’est qu’elle a dû passer par une lutte interne assez dure au sein de son parti.

Ses galons politiques, elle ne les doit donc pas qu’à son seul père. Son habileté personnelle est également en jeu. Héritière mais aussi conquérante.

Des procédés démagogiques innovants

Depuis plusieurs années, Marine Le Pen a su très bien utiliser les nouvelles technologies et en particulier les lieux de débat interactif sur Internet (le Web 2.0). On s’en aperçoit en fait très facilement puisqu’elle ne fait que répercuter des polémiques initialement levées par un certain nombre d’internautes dans les forums, elle les met dans le débat public et la poussée médiatique s’accélère ensuite, chaque fois avec des alliés objectifs et involontaires dans la classe politique.

Les médias numériques sont effectivement une source inépuisable de nouveaux sujets à polémique.

Trois sujets me viennent notamment à l’esprit.
La supposée "pédophilie" de Frédéric Mitterrand

La polémique sur le livre de Frédéric Mitterrand ("La Mauvaise vie", publié en 2005) a fait suite à la fameuse "affaire Polanski" en automne 2009. Son livre n’est pas nouveau puisqu’il a été publié bien avant sa nomination place de Valois, mais sur Internet, beaucoup agitent le livre pour protester (avec raison) contre une justice qui serait à double vitesse. Marine Le Pen cite le 5 octobre 2009 des (faux) extraits de ce fameux livre que personne n’a lu (les reprenant de textes mis en ligne dès le 29 septembre 2009) et très maladroitement, Benoît Hamon, porte-parole officiel du PS, lui emboîte le pas.
Le thème de l'islamophobie

Cela s’est passé de la même manière avec
les protestations contre les prières musulmanes dans les rues parisiennes. À la suite d’initiatives plus identitaristes que laïques en faveur d'un apéro saucisson pinard, Marine Le Pen en profite pour parler d’occupation le 10 décembre 2010 à Lyon : « Je suis désolée, mais pour ceux qui aiment beaucoup parler de la Seconde guerre mondiale, s’il s’agit de parler d’occupation, on pourrait en parler pour le coup. C’est une occupation de pans de territoire. Certes, il n’y a pas de blindés, il n’y a pas de soldats, mais elle pèse sur les habitants. ». Elle répétait en fait ce qu'elle avait déjà dit dès le 18 juin 2010 : « Très clairement comme en 1940, certains croient se comporter dans la France de 2010 comme une armée d’occupation dans un pays conquis. ».
Dérapage verbal ? Sans doute mais Valéry Giscard d’Estaing avait employé il y a déjà très longtemps le mot "invasion" dans une tribune très réfléchie car publiée de son initiative dans "Le Figaro Magazine" du 21 septembre 1991. Toujours l’aspect : je dis tout haut ce que les gens pensent tout bas, etc. Alliés tacites dans cette stigmatisation de l’islam : Nicolas Sarkozy et Jean-François Copé qui organisent à l’UMP un débat sur l’islam devenu, après des protestations de beaucoup de parlementaires UMP, débat sur la laïcité (prévu le 5 avril 2011).

À cet égard, Marine Le Pen a évidemment une longueur d’avance. Entre l’antisémitisme et l’islamophobie, elle a choisi clairement le second par simple calcul électoral. En faisant de la laïcité son cheval de bataille, elle trouble le jeu politique car c’est généralement admis que c’est une valeur de gauche (il faut se rappeler la "guerre scolaire" en 1983 et 1984 entre partisans de l’école "libre" et "laïcards" ; le FN était naturellement du côté anti-laïc) et elle prend la posture de la défense des valeurs républicaines pendant que d’autres proclament l’héritage chrétien de la France (ce qui signifierait d’ailleurs que le christianisme serait maintenant mort) ou organisent les institutions représentatives d’une religion particulière.
La réforme de la Banque de France de 1973

Troisième exemple également repompé directement des forums d’Internet, le retour au franc et la volonté de ne plus payer les intérêts de la dette. Là, c’est assez cocasse puisque cela fait plusieurs mois que certains internautes parlent d’une loi de 1973 (j’y reviendrai à une autre occasion) sur le statut de la Banque de France et qu’on en vient même à dire que c’est à cause de cette loi que la France serait endettée. Il ne viendrait pas à l’esprit de ces personnes que si l’État est si endetté, c’est parce que tout simplement il vit au-dessus de ses moyens, qu’il dépense plus qu’il ne gagne et que cette fuite en avant, très américaine, ne peut, un jour ou l’autre, qu’aboutir à des crises de surendettement comme en Grèce ou en Irlande. 
Marine Le Pen reprend mécaniquement l'argumentation bidon sur BFM et RMC le 3 décembre 2010 (l'interview ici) : « La vraie raison du sur-endettement de la France, ça n'est pas son système de protection sociale, ça n'est pas ses services publics, c'est en réalité la loi de 1973 (que j'ai condamnée avec une grande virulence) et qui a consisté en 1973 à obliger la France à aller emprunter sur les marchés internationaux. C'est là le départ de notre situation de sur-endettement. ». Alliés objectifs à cette croisade anti-euro (croisade absurde), un homme de gauche (qui a voté pour le Traité de Maastricht), Jean-Luc Mélenchon et un issu de l'UMP, Nicolas Dupont-Aignan..

Bref, nul doute que les prochains forums sur Internet donneront nouvelle matière à penser pour la future communication de Marine Le Pen : tous les internautes un peu agacés, un peu énervés, mécontents, enragés même, sont donc sollicités pour exprimer dans leur langage leur propre fantasme ; ils seront sûrs que leurs argumentations seront reprises quelques semaines plus tard par une militante de choc.

Plafonnement des performances

Heureusement, Marine Le Pen est une nettement moins bonne débattrice que son père, et si elle s’en sort correctement dans ses prestations télévisées lorsqu’elle n’a aucun contradicteur, ce n’est pas pareil dans un débat. Lorsqu’elle est confrontée à quelqu’un de vindicatif, par exemple, elle perd rapidement pied. On a pu le constater lors de son débat avec Jean-Luc Mélenchon (qui manquait de galanterie) mais également avec des journalistes peu complaisants, une fois retranchée le dos au mur, Marine Le Pen est incapable de donner des éléments concrets de son programme économique et social, et pour cause : il n’y a rien de travaillé car le FN n’est qu’une PME qui ne marche qu’à la haine de l’immigration, comme les Verts ne marchent qu’à l’écologie, sans vue d’ensemble et globale d’une politique cohérente de la nation à proposer.

La chance de la vie politique française, c’est que l’élection présidentielle n’a pas lieu en avril 2011 mais en avril 2012. Il y a donc un an pour convaincre, rappeler, élaguer. Un an pour savoir que voter est un acte grave, qui mérite réflexion, recul et surtout intelligence et nuance. Réagir au quart de tour, pourquoi pas ? La société politique ne fait plus que cela, son premier magistrat en premier.

Mais au-delà des émotions, des réflexes, des énervements, il y a un pays qui compte sur son destin, bien loin des polémiques, bien loin des petits buzz très précaires. L’histoire de France ne s’accommode pas des destructeurs. Seuls les constructeurs resteront. Il faut donc penser à son vote dans cette perspective.

Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (7 mars 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :

Débat Jean-Luc Mélenchon vs Marine Le Pen.
Marine Le Pen dans les sondages.

Connaissez-vous vraiment le programme du Front national ?

Sondage du 6 mars 2011.

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http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-procedes-sournois-de-marine-le-90049

http://fr.news.yahoo.com/13/20110307/tot-les-procds-sournois-de-marine-le-pen-89f340e_1.html

http://rakotoarison.lesdemocrates.fr/article-269




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