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Manoeuvres politiques et revirement atlantiste : Sarkozy navigue à vue.

Publié le 10 mars 2011 par Juan
Manoeuvres politiques et revirement atlantiste : Sarkozy navigue à vue.Mercredi, Nicolas Sarkozy a fait mine de gouverner. Son conseil des ministres était sérieux, presque risible : Baroin s'est félicité d'économies incertaines. Roselyne Bachelot d'avoir trouvé le moyen de caler deux enfants par place de crèche. Benoist Apparu de quelques 2.400 logements provisoires pour les quelques 10 millions de mal-logés. Ce jeudi, Sarkozy tente de reprendre la main diplomatique, en recevant deux émissaires des rebelles libyens. Il n'est jamais trop tard pour se refaire une virginité.
Manoeuvres politiques
Nicolas Sarkozy tente de tétaniser le centre - en agitant le spectre d'un 21 avril à l'envers par sondage interposé, et se rabiboche avec Dominique de Villepin. L'ancien premier ministre et bientôt ex-rival a été reçu une seconde fois en 10 jours à l'Elysée, pour un petit déjeuner lundi. Pour le moment, il conserve les formes : « Certains voudraient penser que face à la menace que représente le Front national, il faut se recroqueviller derrière les deux grands partis dits de gouvernement, a-t-il expliqué. Ce n'est pas ça la démocratie et ce n'est pas ça la République.» Le lendemain, le procès de Jacques Chirac était opportunément reporté au 20 juin, le temps pour la Cour de Cassation d'examiner un recours rendu possible ... par la réforme constitutionnelle de juillet 2008. La justice s'attarde aussi sur les coulisses de Sarkofrance : avec trois jours de retard, on apprit que le siège de l'UMP avait été perquisitionné une nouvelle fois dans le cadre de l'affaire Woerth/Bettencourt. Et un juge obstiné décidait que la plainte de l'association ANTICOR contre les sondages de l'Elysée justifiait effectivement une enquête. Le parquet avait jugé que les collaborateurs élyséens devaient bénéficier de la même immunité que leur patron pendant l'exercice de son mandat...
Mercredi, le Monarque recevait les sénateurs UMP. Cela fait déjà longtemps que l'Elysée s'est transformé en siège de campagne. Sarkozy voulait rassurer : « À quatorze mois de la présidentielle, rien de ce qu'on prévoit ne se réalise.» Ou encore : « Je souhaite bien du plaisir à Marine Le Pen ! Il faut tenir quatorze mois! » Même DSK a eu droit à son tacle : « Il y a dix jours, il était en tête et devait tout balayer Aujourd'hui, il arriverait deuxième derrière Marine Le Pen! »
Un peu plus tard, François Bayrou était reçu également à l'Elysée. En l'état, le président du Modem n'est plus vraiment une menace, écrasé qu'il est entre les candidatures supposées ou affirmées de Strauss-Kahn, Morin, Villepin, Borloo et même Hulot... « Il n’y a aucune manœuvre ni complaisance de ma part. Chaque fois que le président me demande de le rencontrer, j’y vais et je ne laisse aucun espace aux interprétations abusives » a commenté Bayrou. Sarkozy montre qu'il sait recevoir, Bayrou qu'il est aux abois.
Le jour même, le conseil des ministres se penchait sur trois sujets, un rapport d'étape sur la révision générale des politiques publiques, la mise en œuvre du programme de développement de la garde d'enfant et la « prévention des expulsions et l'application du droit au logement opposable.» Au passage, l'Elysée remaniait discrètement son cabinet. Trois conseillers, dont Olivier fils d'Alain Marleix, le secrétaire d'Etat en charge de redécoupage/charcutage électoral. Arrivent en remplacement Guillaume Larrivé et Sarah Gaubert. Le premier est un fonctionnaire du Conseil d'Etat, Sciences Po/Enarque et ESSEC, qui a déjà sa fiche sur Wikipédia. C'est un fidèle de Brice Hortefeux, qu'il a suivi du ministère de l'Identité nationale à l'Intérieur. La seconde était aux Jeunes UMP Actifs. Il ne manque plus que « l'ami de 30 ans » pour que l'équipe de campagne soit quasiment au complet.
Devant Nicolas Sarkozy lors de ce conseil, Philippe Richert a détaillé les modifications apportées au projet de réforme des collectivités territoriales : « dans les six régions dont font partie les départements où la répartition des sièges a suscité les critiques du Conseil constitutionnel, les effectifs des départements sont adaptés de manière à ce que le rapport à la population telle qu’elle résulte du dernier recensement, du nombre des conseillers territoriaux ne s’écarte pas de + ou – 20 % de la moyenne régionale, marge d’appréciation admise par le Conseil constitutionnel » expliqua-t-il. On se pince pour le croire : l'ancien découpage, censé refléter les rapports de populations, s'écartait de plus 20% des moyennes régionales ! Quelle justice !
Mensonges budgétaires
De son côté, François Baroin s'est auto-félicité de l'exécution de la Révision Générale des Politiques Publiques, celle-là même qui sert de paravent à la réduction du nombre de fonctionnaires depuis 2007. Dans son compte-rendu, il n'y avait pas un mot sur les difficultés rencontrées, rien sur la baisse des effectifs de police et gendarmerie malgré la hausse continue des violences contre les personnes; rien non plus sur les classes surchargées. Rien enfin sur l'évaluation de cette politique : la Cour des Comptes voici un mois avait souligné combien les économies promises sur le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraites étaient incertaines : « Sur la base des résultats de 2009, l’économie nette à attendre des réductions d’effectifs serait donc de l’ordre de 100 à 200 M€ en 2011, mais elle pourrait en réalité être encore plus faible » écrivait-elle.
Au contraire, le ministre du Budget fit l'éloge du guichet unique : « la RGPP a permis d’atteindre des résultats significatifs sur l’amélioration de la qualité des services publics en créant de nombreux guichets uniques physiques pour les contribuables (guichets fiscaux uniques), les demandeurs d’emploi (Pôle emploi) ou les entreprises. » Il s'est réjoui des 7 milliards d'euros d'économies sur la période 2009-2011, reprenant le chiffre erroné de 2,7 milliards économisés sur les non-remplacements de postes. Mieux, il promit qu'« en 2012, le nombre de fonctionnaires de l’Etat devrait revenir à son niveau des années 1990, soit 150 000 postes de moins sur la durée du quinquennat.» Entre temps, la population du pays aura cru d'une petite dizaine de millions de personnes...
Crèches et logements au rabais
Quelques minutes plus tard, ce fut au tour de Roselyne Bachelot, la ministre des Solidarités Actives, de détailler comment le gouvernement développait la garde d'enfants. Sans faire de lien avec la réduction des effectifs éducatifs sus-mentionnés, elle débuta par souligner l'« augmentation exceptionnelle du taux de fécondité. Celui-ci dépasse à nouveau le seuil symbolique de deux enfants par femme, avec un total de 828.000 naissances.» Ensuite, Bachelot révéla que 40.000 places d'accueil collectif avaient été créées depuis 2009 pour 92.000 enfants supplémentaires accueillis. Une place pour deux ! Quelle surprise ! « De nombreux parents n’ayant pas besoin d’un accueil durant toute la journée ainsi que pour chaque jour ouvrable, une gestion efficace de la structure collective permet d’accueillir en moyenne deux enfants pour une place.» expliqua-t-elle.
Concernant l'application du Droit au logement opposable, le bilan établi par Benoist Apparu, le jeune secrétaire d'Etat au Logement, était bien maigre : un numéro vert (« SOS Loyers Impayés »), et ... 2.364 logements provisoires pour les familles expulsées ont été mobilisés en 2010. Début février, la Fondation Abbé Pierre estimait à 10 millions le nombre de mal-logés en France. Tout juste le secrétaire Apparu pouvait-il se féliciter que « 131 500 logements sociaux ont ainsi été financés en 2010, contre 42 000 dix ans plus tôt.». On ne sait pas d'où il sort ses chiffres d'il y a 10 ans, puisqu'en 2001 quelques 191.000 logements sociaux collectifs étaient mis en chantier, d'après les propres chiffres ministériels.
OTAN inutile...
En Libye, les forces « loyales » au colonel Kadhafi, mercenaires, militaires, soldats d'élite, bombardent. Véritable girouette géopolitique, la France a décidé de soutenir, oralement, les rebelles. Après un premier soutien officiel affiché par Alain Juppé en déplacement dans l'Egypte voisine en début de semaine, c'est au tour de Nicolas Sarkozy de se refaire une virginité diplomatique : il reçoit ce jeudi deux émissaires du Conseil national de Transition libyen (CNT), l'instance créée à l'Est du pays libéré. C'est un grand pas, même s'il reste trop petit pour faire oublier l'assourdissant silence français pendant le printemps arabe, ou les courbettes cérémonieuses de décembre 2007 devant le colonel Kadhafi. La France a reconnu ce Conseil en début de semaine. Le Parlement exige que l'Union européenne fasse de même.
Mais l'essentiel est ailleurs : les rebelles libyens manquent d'armements et d'expérience. Qu'attend l'OTAN pour fournir un soutien a minima logistique ? Le ministre Juppé a récusé l'OTAN pour aider les rebelles : « Il s'agit maintenant d'arrêter la répression meurtrière que le régime du colonel Kadhafi continue à déployer. La France a pris une position très claire: l'Otan n'est pas l'organisation adaptée pour le faire. Il faut un mandat des Nations unies. Nous sommes disponibles pour intervenir avec d'autres afin de protéger les populations en empêchant Kadhafi d'utiliser ses moyens aériens.» Il faut l'entendre pour le croire... Il y a tout juste deux ans, la France de Sarkozy réintégrait le commandement intégré de l'OTAN. En 2009, Nicolas Sarkozy nous faisait la leçon : « Notre rapprochement avec l'OTAN conforte l'indépendance nationale mais notre éloignement proclamé mais non réalisé avec l'OTAN limite notre indépendance nationale. » En février de cette année, il expliquait : « Ce fut une grande erreur de vouloir renforcer [l'Europe de la Défense] pour affaiblir [l'Otan] » Le même Sarkozy, par la voix de son ministre des affaires étrangères, pense aujourd'hui que recourir à l'OTAN serait provocant. C'est exactement l'une des critiques adressées à l'époque contre cet inutile alignement atlantiste de la France !
Et l'Europe ? A Bruxelles, la chef de la diplomatie européenne Catherine Ashton a refusé de reconnaître le CNT. Les dirigeants européens, et Sarkozy le premier, payent le prix fort d'avoir nommé un exécutif européen insignifiant et sans vision.
Finalement, la diplomatie française est en vrac.


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