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Der Fliegende Holländer (Le Vaisseau fantôme)

Publié le 10 mars 2011 par Porky

Le lecteur voudra bien admirer la logique qui préside à la présentation de cet opéra archi connu de Richard Wagner : ayant évoqué la carrière de celle qui fut la Senta de Bayreuth, à savoir la cantatrice Anja Silja, il devenait évident que le prochain billet lyrique ne pouvait qu’être consacré à cet ouvrage… 

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Partons, pour évoquer cette œuvre, de la légende qui en est à l’origine, et qui donnera son titre original à l’opéra : Der Fliegende Holländer : Le Hollandais volant, traduit en français sous le nom de « Le Vaisseau fantôme » -titre sans doute plus parlant à l’imagination et peut-être plus compréhensible. Cette histoire appartient aux cycles des « héros errants », tels que Ulysse ou le Juif Ahasvérus : Ce marin au visage blême est condamné, à la suite d’un sacrilège, à une errance éternelle ; la légende remonte à une antiquité reculée et c’est par l’Angleterre et la Hollande que l’histoire entre dans le domaine des Romantiques. Ces derniers trouvent dans le destin du malheureux marin de quoi alimenter leur sentiment de souffrance universelle et projettent sur lui leurs douleurs, leurs angoisses et leur besoin de rachat.

C’est à travers un livre de Heinrich Heine que Wagner prend connaissance de cette histoire : Mémoires du Sieur Schnabelewopski (1838). Mémoires fictives dans lesquelles le narrateur raconte une soirée théâtrale à Amsterdam où il assiste à la représentation d’une pièce racontant l’histoire du Hollandais ; si on excepte les personnages d’Erik et du Pilote, tous les grands protagonistes de l’opéra wagnérien sont déjà présents. Mais, différence essentielle avec ce que sera l’atmosphère du futur ouvrage lyrique, Heine traitait le sujet avec une certaine distanciation ironique : sa conclusion, assez sarcastique, était que « l’amour d’une blonde avide d’absolu ne pouvait servir, au mieux, qu’à finir en beauté ». (1)

C’est Wieland Wagner, petit-fils du compositeur, qui lors de sa mise en scène à Bayreuth à la fin des années 50, donne le résumé le plus intéressant de l’œuvre, de ses thèmes et de son sens :

« Avec cette ballade sur l’Amour, l’Exil, le Sacrifice et la Rédemption, Wagner n’a pas seulement trouvé le thème propre de sa vie –la victoire sur l’égoïsme au moyen de l’amour- mais aussi la forme musicale et poétique qui lui était personnelle. Le Hollandais –plusieurs fois nommé « l’Étranger » dans une ébauche précédente- est entré en conflit avec Dieu. Dans sa présomptueuse folie, il a –comme jadis Prométhée- maudit le Tout-Puissant. En guise de châtiment, il subit la malédiction d’une vie éternelle passée dans les affres de la solitude. Ces souffrances sont encore accrues par son perpétuel espoir de rédemption. C’est seulement lorsqu’une jeune femme se sacrifie, inconditionnellement et totalement, au pêcheur qu’il est que la métamorphose peut avoir lieu. Son égoïsme illimité est vaincu par sa rencontre avec Senta, la bien-aimée. Pour l’amour de celle-ci, il accepte d’assumer son destin comme une pénitence librement consentie ; ainsi le maudit peut retrouver la grâce et a charité divines. L’image de l’homme souffrant s’est, avec une force magique, imprimée dans le filigrane de la vie de Senta. La compassion pousse cette jeune fille à suivre sa vocation de sacrifice : elle la suivra jusqu’à son terme en acceptant la mort pour sauver le Hollandais. » (2)

C’est au terme d’une expérience vécue fort désagréable que Wagner conçut le projet de cette « ballade scénique » en trois temps. Totalement dénué de ressources, devant de l’argent à tout le monde, Wagner, alors Kapellmeister à Riga, avait été obligé de fuir la ville en 1839 avec sa première femme, Minna Planer –Cosima ne sera que la seconde. Embarqués sur un petit voilier à Pillau qui devait les emmener à Copenhague, ils durent subir une effroyable tempête qui les précipita sur les côtes norvégiennes. Des appels des marins, Wagner, fasciné, tirera plus tard les chœurs des matelots. Reçu dans la maison d’un capitaine norvégien, il entendit vraisemblablement pour la première fois le mot « tjenta » qui veut dire servante et le prit pour un prénom féminin : ainsi aurait-il baptisé par la suite son héroïne Senta, prénom jusque là inconnu. De même, la vision des femmes filant dans « la chambre des fileuses » est à l’origine du « chœur des fileuses » qui ouvre le second acte. Tempête, mariniers, fileuses : toutes les grandes composantes du futur opéra sont réunies ; et le contraste avec le traditionnel et pompeux « grand opéra » est si grand que Le Vaisseau fantôme fut refusé parce que « inapproprié à la scène allemande ».

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La composition du Vaisseau fantôme intervient dans la vie de Wagner au moment où ce dernier traverse une période d’intense pauvreté. Réfugié à Paris, réduit à accepter de « petits boulots » mal payés, c’est en 1840 qu’il met au net la Ballade de Senta, base de l’opéra. L’année suivante, à Meudon, il termine enfin son ouvrage, remanié un certain nombre de fois. Après des luttes acharnées, il sera enfin représenté pour la première fois au Hoftheater de Dresde le 2 janvier 1843. Wilhelmine Schröder-Devrient interprète Senta ; la petite histoire (vraie, pour une fois) raconte que la cantatrice avait de telles difficultés à chanter le rôle (cf. les documents de l’époque) que Wagner dut transposer le ton de la Ballade de Senta, initialement écrit en la mineur, en sol mineur, c'est-à-dire un ton plus bas… Le ton initial sera repris lors des représentations des années 60 à Bayreuth, par Anja Silja. A cause de son atmosphère lugubre, l’œuvre mettra beaucoup de temps à s’imposer. Mais elle ouvrait la voie dans laquelle allait s’engager Wagner : dès lors, il n’eut de cesse de recourir aux mythes et aux légendes pour trouver le sujet de ses opéras. La notion de rachat et de Rédemption va parcourir son œuvre entière, sous des formes diverses : C’est par exemple l’Elisabeth de Tannhaüser se sacrifiant pour le salut du héros ; même le renoncement très profane de Hans Sachs à la fin des Maîtres Chanteurs, le seul ouvrage vraiment « joyeux » de Wagner, présente un petit côté sacrificiel.

L’ouvrage ne fut jamais représenté à Bayreuth du vivant de Wagner. Il n’entrera dans le programme des Festivals qu’en 1901 ; l’orthodoxie wagnérienne exigeait que l’on écartât Le Vaisseau fantôme, œuvre de jeunesse, au style encore trop incertain : influences de Weber (musique des tempêtes), de Beethoven, de Bellini pour les airs italianisants de Daland et Erik, de Mendelssohn pour les fileuses….

Pour terminer, quelques mots sur la conception que Wieland Wagner se faisait de la représentation du Vaisseau fantôme : ce génial metteur en scène fut, avec son frère Wolfgang, à l’origine du « renouveau » de Bayreuth, fermé après la défaite allemande de 1945 parce que haut lieu par excellence du nazisme, et réouvert seulement en juillet 1951. Ce qu’on appela alors « le nouveau Bayreuth » désignait en fait une importante modification stylistique dans la mise en scène, très sobre, centrée sur l’abstraction et la lumière, réduite à une symbolique austère, dans des décors inexistants et une interprétation quasi statique. La mise en scène du Vaisseau fantôme fut pour Wieland Wagner l’occasion d’une part de prendre un premier contact avec l’œuvre de jeunesse de son grand-père, et d’autre part de donner le signal d’un autre tournant à la représentation scénique. Son approche fut résolument tournée vers le réalisme (banni précédemment), avec recours aux matériaux concrets, aux couleurs. Le caractère « hybride » de l’œuvre, qui tient du drame musical, de l’opéra romantique, des réminiscences du style italien, contient un fantastique spectral venant tout droit de Marschner et professe une foi résolument chrétienne en la Rédemption permettait cette transformation. La mise en scène opposait ainsi l’univers visionnaire de Senta et l’aura démoniaque du Hollandais à la trivialité de Daland. Wieland Wagner avait également conçu décors et costumes : ainsi le vêtement du Hollandais semblait-il tissé d’algues marines. L’ouvrage fut représenté sans entractes, comme une ballade, ainsi que Wagner l’avait exigé.

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Mais ce qui frappa surtout l’imagination du public de Bayreuth, ce fut, outre l’apparition d’Anja Silja dans le rôle Senta, l’éclat particulier des chœurs, si importants dans cet opéra. « Wieland Wagner les avait groupés en blocs puissants. Au troisième acte, l’entrée de l’équipage hollandais portait véritablement un caractère de terreur surnaturelle : une phalange de spectres vêtus de noir et proprement maquillés en cadavres se pressaient sur la scène avec piétinements sauvages, et une gaieté sauvage, hors de toute dimension, qui terrorisait les matelots et les jeunes fille de Norvège. L’entrée de cet équipage fantôme était insolite : la plupart des mises en scène se contentent d’amplifier les voix des « marins hollandais » par des haut-parleurs. Que cette troupe fantôme, au lieu de rester invisible, apparût soudain dans une dimension plus grande que nature constitue l’une des surprises les pus saisissantes de la représentation de Bayreuth. » (1)

Je n’ai malheureusement jamais eu l’occasion d’assister de visu à une représentation du Vaisseau et je le regrette. Par contre, j’ai vu une retransmission télévisée de la production des Chorégies d’Orange en l’année je ne sais plus combien : c’était loin d’être une soirée impérissable. Les fileuses faisaient tout sauf filer, Senta et le Hollandais s’accrochaient à un filet qui pendouillait et dont l’utilité n’était pas immédiatement perceptible et je ne me souviens pas du reste qui devait être du même acabit. Par contre, l’interprète du Hollandais avait une voix magnifique – dommage pour lui qu’il ait été entraîné dans cette galère. On peut cependant se procurer un DVD du Vaisseau contenant le film réalisé lors du festival de Savonlinna (Finlande) avec la regrettée Hildegarde Behrens (disparue trop tôt) dans le rôle de Senta, un excellent Hollandais et l’inusable Matti Salminen dans le rôle de Daland. Belle mise en scène, respectueuse de l’œuvre, et très belle interprétation. Quant à l’enregistrement CD… On va sans doute me traiter de passéiste mais tant pis : je maintiens que la référence absolue est l’enregistrement live de Bayreuth 1961, avec Sawallisch au pupitre et Anja Silja (Senta), Josef Greindl (Daland), Franz Crass (Le Hollandais), Fritz Uhl (Erik). L’enregistrement de Klemperer avec la même Anja Silja en studio cette fois est excellent, mais je le trouve trop lent. Ce n’est cependant qu’une opinion personnelle…

(1) – Karl Schumann, livret présentation de l’opéra.

(2) – Cité par K. Schumann

Photos : Couleur : Acte I – Franz Crass (Le Hollandais) – NB : Anja Silja et Josef Greindl à l’acte II ; Les matelots norvégiens à l’acte III – Pour les trois : Bayreuth 1961.

ARGUMENT : Un petit port de pêche norvégien au 18ème siècle.

Ouverture – Un des plus célèbres morceaux de Wagner, avec la Chevauchée des Walkyries.

Acte I –  Un abri naturel sur la côte, entre des falaises. Décor sauvage et orageux ; la tempête fait rage et le navire de Daland est venu s’abriter dans la petite crique ménagée entre les falaises. L’orage semble se calmer ; les matelots descendent dans la cale et Daland va dans sa cabine pour se reposer, laissant à son timonier la garde du pont. Celui-ci s’efforce de rester éveillé et entonne une chanson de marin. Mais il s’endort quand même. Le ciel s’assombrit, la tempête se réveille ; le navire du Hollandais volant, reconnaissable à ses voiles rouges et son mât noir, entre dans le port et vient se placer à côté du navire de Daland. Les hommes d’équipage, tels des spectres, enroulent les voiles dans le plus grand silence. Le Hollandais descend à terre et chante sa magnifique et dramatique aria : « Die Frist is um » « L’heure a sonné ». Sept longues années viennent de s’écouler, le navire peut accoster. Daland, réveillé, vient questionner le Hollandais. Celui-ci, après lui avoir raconté ses malheurs de marin, lui demande de l’emmener chez lui et de le laisser courtiser sa fille. En échange, il lui donnera tous ses trésors. Daland consent à ce marché. (On remarquera entre parenthèses le rôle peu reluisant de ce père qui vend sans vergogne sa fille au premier venu pour quelques coffres d’or…) Le vent étant redevenu favorable, les vaisseaux hissent les voiles pour quitter le port. Les matelots de Daland entonnent la chanson du timonier et les deux navires disparaissent.

Acte II – Une pièce dans la maison de Daland. Tableaux de navires, cartes, et le portrait d’un homme pâle et barbu ornent les murs. C’est le « chœur des fileuses » qui ouvre l’acte : les jeunes filles de la maison filent sous la direction de Mary, la vieille nourrice de Senta pendant que cette dernière ne fait que contempler le portrait d’un homme. Les jeunes filles taquinent Senta et lui demandent de chanter sa ballade. C’est alors la célèbre et splendide « Ballade de Senta » dans laquelle la jeune fille conte les malheurs du marin condamné par la malédiction divine à errer éternellement sur les mers. La fin de l’air, vibrante et passionnée, contient l’affirmation résolue que Senta sauvera cet homme en lui étant fidèle toute sa vie. Les jeunes filles de lèvent, terrifiées. Erik, qui l’a entendue en entrant, se hâte à ses côtés. Il apporte la nouvelle du retour de Daland ; les jeunes filles se précipitent pour accueillir les marins malgré les rappels à l’ordre de Mary. Senta veut les suivre mais Erik l’en empêche et lui avoue son amour. Elle refuse de lui donner une réponse et il lui raconte son rêve : deux hommes, l’un son père, l’autre un étranger, surgissaient d’un étrange navire. Elle se dirigeait vers l’étranger et implorait son respect. Senta, transportée par ce récit, s’écrie « il es à ma recherche et moi à la sienne ! » Erik, frappé d’horreur, s’enfuit, désespéré. La porte s’ouvre, Daland apparaît avec l’étranger. Le regard de Senta se détourne du portrait et se fixe sur l’étranger : elle pousse un cri de surprise.  Daland lui fait part de la requête du Hollandais puis les laisse seuls. Duo passionné à la fin duquel Senta s’abandonne sans réserve à son héros et lui promet d’être fidèle jusqu’à la mort. Daland revient et entérine l’engagement.

Acte III – Une baie au rivage rocher. D’un côté, la maison de Daland. Au fond, son navire et celui du Hollandais. Les marins de Daland réunis sur le quai, chantent et dansent, tout à leur joie d’être revenus sains et saufs. C’est encore un morceau célèbre, « le chœur des matelots ». Les jeunes filles descendent les rejoindre et leur apportent de quoi boire. Tout le monde s’adresse à l’équipage du Hollandais, silencieux, en l’invitant à venir participer aux réjouissances. Mais aucune réponse ne vient de l’étrange navire. Les matelots norvégiens appellent de plus en plus fort puis se moquent de cet équipage. Tout à coup, la mer s’agite, un vent d’orage siffle dans les cordages du mystérieux vaisseau et l’équipage apparaît parmi des flammes bleuâtres, chantant un chœur sauvage et terrifiant qui couvre peu à peu la reprise du chœur des matelots. Terrifiées, les jeunes filles et les marins s’enfuient en se signant. L’équipage spectral disparaît avec des rires discordants.

Senta, tremblante, sort de la maison. Erik la suit et la supplie de se rappeler l’amour qu’il lui porte et les encouragements qu’elle lui a autrefois prodigués. Le Hollandais s’est approché, a tout vu et tout entendu. Erik l’aperçoit et reconnaît en lui l’homme de son rêve. Quand le Hollandais dit adieu à Senta, car il s’estime trahi, elle tente de le suivre. Erik la retient, appelle les autres à l’aide. Senta se débat. Le Hollandais lui révèle son identité, monte à bord et va prendre le large. Senta réussit à se libérer, se précipite vers la falaise qui surplombe la mer et se jette dans l’océan. Le navire maudit s’engloutit et la malédiction prend fin.

VIDEO 1 : Hans Hotter chante l’air du Hollandais acte I « Die Frist ist um.. »

VIDEO 2 : Acte II – Chœur des fileuses.

VIDEO 3 : Acte III – Chœur des matelots.

Pour entendre la Ballade de Senta et le duo Erik-Senta par Anja Silja, cliquez ici.


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