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Echanges autour de la taxe carbone et les contributions incitatives

Publié le 10 mars 2011 par Rcoutouly

Suite à la publication de l'article  Pour en finir avec la taxe carbone (et passer à autre chose) j'ai eu de nombreux échanges avec des lecteurs, je transcris ceux que j'ai eu avec Antoine Deltour : ils sont très intéressants et révélateurs de la méfiance de nombreuses personnes face à la fiscalité et de leur difficulté à sortir du schéma de la taxe carbone qui a été imprimé dans toutes les têtes. Merci à Antoine Deltour pour ces échanges qui m'ont enrichi.

1)Antoine Deltour: Je trouve ces deux extraits contradictoires : 

"la taxe carbone ne sert à rien car le marché s'en est chargé tout seul" 

"nous n'avons probablement encore rien vu !" 

Rodrigue Coutouly: Je veux dire par là que le marché va continuer à augmenter la taxation du carbone au fur à et à mesure que les hydrocarbures vont augmenter en raison de leur rareté. 

Antoine Deltour: C'est bien ce qu'il me semblait avoir compris, mais l'analyse qui sous-tend les mécanismes fiscaux, c'est que le signal prix envoyé par le marché oriente les comportements de manière injuste trop lente par rapport à un horizon de long terme connu. Il s'agit bien d'anticiper une évolution quasiment certaine du marché qui s'annonce très douloureuse. Les prix ont déjà explosé, mais on sait que ce n'est qu'un début. C'est pourquoi, à mon avis, l'évolution des cours jusqu'à maintenant ne délégitime en rien une taxe carbone. Au contraire, elle révèle que la menace est sérieuse et qu'une taxe carbone nous y préparerait.

2)Antoine Deltour:  De plus, vous écrivez : "Pour financer ces changements, il faut utiliser la taxation pigouvienne". Mais la taxe carbone n'est-elle pas une taxe pigouvienne ? 

Rodrigue Coutouly:: Oui, mais il est dommage que la seule taxation pigouvienne dont on parle soit la taxe carbone considérée comme la seul taxation pigouvienne possible. Il y en a d'autres dont les contributions incitatives que je propose.

3) Antoine Deltour: Vous dites que la taxe carbone serait inefficace sans financement d'alternatives. Mais le renchérissement des énergies fossiles induirait un report de la demande qui permettrait un financement de marché des investissements alternatifs, ce qui réduirait le recours à un pilotage d'en haut. C'est d'ailleurs ce qui fait tout l'intérêt de l'internalisation des externalités. Par exemple, s'il devient (beaucoup) plus cher d'utiliser la voiture que le train, on préférera prendre le train. Il n'y aurait alors pas besoin de concevoir de systèmes kafkaïens pour financer le rail, la demande seule justifiant les investissements. 

Rodrigue Coutouly:non, car le problème provient de la nécessité d'anticiper sur les futurs problèmes que nous allons rencontrer, les prix des consommables peuvent augmenter très rapidement sans que nous ayons prévu les infrastructures écologiques d'un autre modèle de société, il faudra du temps pour les créer. De plus, si on attend que nous soyons ruiné par l'augmentation des prix du carbone pour agir, il y aura encore moins d'argent pour créer ces infrastructures. Autrement dit, le marché va certes créer la nécessité de changer de paradigme sans offrir les conditions d'installation car les investissements alternatifs ne seront plus là.

Antoine Deltour: En effet, mais la taxe carbone génère des recettes, elle est donc globalement neutre sur le niveau de la demande. Je ne suis personnellement pas favorables à ce qu'elle ne serve qu'à des investissements décidés d'en haut. En revanche, si elle est redistribuée uniformément, le consommateur moyen n'y gagne rien, celui qui émet beaucoup y perd, et celui qui est "vertueux" voit sont pouvoir d'achat pour des alternatives augmenter.

Rodrigue Coutouly:Dans le mécanisme des contributions incitatives, il ne faut surtout pas que la redistribution soit uniforme, elle est faite uniquement quand les acteurs font l'effort d'investir dans des technologies propres. Je vous renvoie à mes articles suivants sur ce mécanisme : Qu’est ce qu’une contribution incitative ? . et  L'auto-contribution, une autre forme de fiscalité environnementale

4)Antoine Deltour: Effectivement le climat ne doit pas occulter les autres enjeux. Mais je doute qu'une approche globale soit satisfaisante. Premièrement parce qu'une taxe efficace est une taxe simple, mais aussi parce que pour la préservation de la biodiversité ou pour le bio (par exemples) je pense qu'il faudrait avoir recours aux outils réglementaires plutôt que fiscaux. Si le bio est si vertueux, pourquoi ne pas le rendre progressivement obligatoire ? Si tel espace abrite une espèce menacée, pourquoi ne pas tout simplement interdire son artificialisation (plutôt que de la renchérir) ? 

Rodrigue Coutouly:Je suis d'accord mais pour moi, justement, la taxe carbone n'a rien d'une taxe simple car elle est trop globale, son application est donc très complexe et entraînera de multiples résistances. Des taxes plus simples pour lesquels les acteurs concernés auront un retour immédiat de leurs décisions serait préférable et cela s'appelle des contributions incitatives.

Antoine Deltour:Enfin, le principal atout de la taxe carbone est qu'elle est adaptée aux émissions diffuses, pour lesquelles on peut difficilement concevoir un mécanisme efficace de type "cap and trade". C'est une solution "faute de mieux" qui présente le gros désavantage que rien ne garantit qu'elle permette d'atteindre les objectifs d'émissions (contrairement au "cap and trade" qui détermine à l'avance le niveau d'émissions mais garde pour inconnue le coût économique). Il semblerait qu'avec les TEQ, les britanniques aient résolu ce problème : http://decroissance.blog.lemonde.fr...

Rodrigue Coutouly:Je vous remercie pour cette source, je ne connaissais par les TEQ et je vais creuser la question mais mon premier sentiment est négatif car cela nécessite une approche totalisante du problème qui me semble encore plus difficile à mettre en place : la taxation pigouvienne rencontre en effet de multiples résistances: une approche totalisante va entraîner de multiples résistances qui vont la rendre inapplicable dans une société démocratique. Or, ce dont nous avons besoin c'est d'une approche pragmatique et réaliste qui soit applicable rapidement.

Antoine Deltour: Oui, je suis l'auteur du commentaire sous le pseudo "Donatien" sous l'article en question, je suis aussi très sceptique sur la capacité des démocraties à accepter un tel mécanisme qui a plus ou moins la forme d'un rationnement.


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