Quand je n’étais encore qu’un rougeâtre adolescent j’avais la fâcheuse tendance d’écouter autre chose que du Jacques Lantier sur ma mini-chaîne stéréo à cassette (hé oui je suis suffisamment assez vieux pour avoir connu cette sombre période où le mp3 n’était pas encore créé). J’écoutais, non pas Les Cures, U2 ou autres Dépêche Mode comme tout ados branchés, mais Cabrel, Goldman et Jean-Michel Jarre comme tout enfant plouc normalement constitué. Et j’écoutais tout ça naturellement à donf pour faire péter les carreaux de ma chambre de ma révolte énervée et énervante. Mon père comme chaque soir voulait dormir plus tôt que tout le monde vu qu’il se levait à 4 heures du matin. Car il existe des cheminots qui roulent que de nuit et mon père en était un. Alors, après avoir ouvert la porte de ma chambre violemment, il me hurla : “Putain de bordel de merde tu fais chier avec ton crincrin à la con. On voit bien que c’est pas toi qui va te lever à 4 heures du matin, hein ?.. ; Monsieur va se lever à des midi dix pour béqueter avant la sieste, feigannnnnt ! J’te foutrais tout ça à la mine, moi, et par la peau des couilles !”. Car il existe des cheminots vulgaires et mon père en était un. Et moi du haut de mes douze ans de lui répondre : “Oui bah hein heu… Bah je m’en fous moi, alors… j’ai pas demandé à vivre, hein…”. Mon père : “Tu veux peut-être te lever et que je t’emmène avec moi, non ?…”. Il pensait sûrement que j’allais lui dire “hé non hé ça va pas je ne suis qu’un frêle petit enfant pas encore sevré moi” pour peut-être me répondre “Alors Monsieur le feignant chie dans son froc, hein ?… Alors ferme moi ton zinzin et vite fait !…” mais je lui ai répondu : “pourquoi pas…”. Et de chiche en chiche, je me suis retrouvé à 4 heures du matin debout à accompagner mon père à sa drôle de besogne. Il était d’ailleurs pas comme chez nous mon papa. Il n’était pas saoul, ni vulgaire, ni méchant, ni rien… Il était un petit homme tout habillé de gris qui portait sa trop lourde sacoche SNCF et qui répondait oui sans rechigner à ses supérieurs. Il était un petit homme bien sympathique avec ses collègues pleins de “bonjour” de “merci” et de “bonne journée”. On est monté dans une superbe locomotive et puis on a roulé toute la nuit. Il m’a fait visiter les machines, m’a expliquer des trucs du genre : “Tu vois quand tu vois un gros S sur une pancarte au bord des rails bah il faut tirer sur le sifflet et ça fait tuuuuuuu tuu tuuuuuuuu…”. Et puis à 6 heures on s’est arrêté de rouler car il y avait un feu rouge. J’ai dis : “c’est un feu pour nous dire de stopper, papa ?” et il m’a dit : “non c’est un feu pour dire d’attendre mon gars”. Et on a attendu attendu attendu, toujours fidèle au poste, en observant le feu et que rien n’aille de travers dans la loco. On a attendu comme ça jusqu’au feu vert de 9 heures et on est repartis vers notre destination. Je lui ai dis : “C’est souvent comme ça ?” et il m’a répondu “Toujours. Tu vois mon boulot c’est ATTENDRE.” Voilà. J’en ai retenu que c’était un boulot avec des belles locos, des beaux sifflets mais surtout que c’était un boulot, comme pas mal d’autres, de chien.
Un dessin de Cabu
Aujourd’hui j’apprends que mon père était, en fait, un privilégié !!! C’est « Le Figaro », « Midi Libre », « Le Point », « L’Alsace », « L’Est Républicain », « L’Eclair des Pyrénées », « Challenge », « Le nouvel Observateur », « Le Monde », « La Croix », « La République du Centre », « L’Union », « Aujourd’hui », « RTL », « France Info », « Europe 1 », « France 2 », « France 3 », « TF1 », « M6 » par les voix de, entre autres, Alain Duhamel, Laurent Joffrin, Manuel Valls, Jean Daniel, Christophe Hondelatte, Denis Tillinac, Etienne Mougeotte, Claude Imbert, Eric Le Boucher et Pierre Taribot qui me le disent !!!… Et Monsieur Colombani (ancien directeur du Monde) de préciser : « Je félicite les cheminots non grévistes qui refusent d’être à la remorque de l’ultragauche ». Monsieur Colombani a touché 1 million d’euros, payé par Le Monde, à son départ et continue à faire des articles de luxe pour France Inter, France Culture, La chaîne Parlementaire et Challenge. Sachant que le montant de la retraite annuelle d’un cheminot se situe autour de 15 000 Euros par an, le « régime spécial » décroché par Colombani lui permettrait de tenir plus de soixante-six ans à la SNCF. Il aurait alors 125 ans. (Source Plan B) La petite minorité qui fait chier le restant du monde ce n’est pas le petit cheminot qui se lève à 4 heures du matin mais bien ces petits milliardaires qui dirigent tout et leurs armées de journalistes rampants à leurs bottes. J’ai les poils du dos qui se hérissent quand j’entends, encore et toujours, ces mêmes plaisanteries douteuses sur les fonctionnaires. Plaisanteries qui font la politique crasseuse du pauvre con derrière son comptoir qui depuis des siècles et des siècles rient des fonctionnaires sans même s’apercevoir qu’il n’y en a plus. Toutes ces idées reçues, relayées par les chiens du pouvoir que sont les journalistes, ont fait avancer l’horrible monstre de la privatisation. Ce monstre qui ne pense qu’au profit et qui pisse sur les acquis sociaux et les gens…
Papa n’est plus là pour voir ça. Sinon il gueulerait encore plus. C’est moi qui vous le dis… « Sacré Bordel de Vierge Enceinte ! Qu’est ce que c’est que ce monde de larves ? »
Et Marianne Oswald de lui répondre :
« C’est le massacre des pantins innocents
Ah ! Visez bien nos pauvres gueules
Puisque nous sommes tous trop veules
Pour taper sur les puissants ! »
Éric MIE
P.S. c’était un article que j’avais écrit dans l’ancien Graoully mais comme je l’aimais bien je l’ai refoutu dans le nouveau… J’espère que le dragon de Metz ne m’en voudra pas trop…