À côté des gestes criminels et inexcusables de Kadhafi et de la démission de Ben Ali et de Moubarak, faute d’avoir réussi à aboutir à une entente avec leurs populations, le discours du Roi du Maroc, Mohammed VI, semble être celui qui se rapproche le plus d’un esprit démocratique et d’une volonté de négociation de compromis avec le peuple marocain. Dans la journée du 9 mars, de nombreux médias ont souligné le geste «courageux» et «respectable» de sa Majesté Mohammed VI. En effet, les nombreux changements constitutionnels proposés par le souverain marocain paraissent, pour plusieurs, contenir les fondements d’une démocratie fondée sur la monarchie parlementaire. Cependant, bien que le discours de Mohammed VI comporte des paroles sages et annonciatrices de réformes majeures globales, il ne faudrait pas perdre notre sens de l’esprit critique devant un discours dont les propos sont encore bien loin de prendre la forme de réformes réelles.
Dans son discours, Mohammed VI a promis de réformer la Constitution de son pays sur la base de sept fondements majeurs. Ces sept fondements majeurs, au sens littéral, semblent bel et bien contenir de précieux ingrédients à une transition démocratique. Toutefois, une relecture plus critique de l’énoncé de ces sept fondements de réforme constitutionnelle nous amène à demeurer plus sceptique à l’endroit de la rhétorique prometteuse de Mohammed VI. Je propose donc ci-dessous des relectures des sept fondements de réforme avancés par le souverain marocain :
- Premier fondement : la consécration constitutionnelle de la pluralité de l'identité marocaine unie et riche de la diversité de ses affluents, et au cœur de laquelle figure l'amazighité, patrimoine commun de tous les Marocains, sans exclusive.
Relecture : Au-delà de l’inscription de la pluralité de l’identité marocaine dans la Constitution, de quelle manière les minorités verront-elles leurs droits garantis au quotidien? Le Roi encouragera-t-il la formation et le financement de groupes d’intérêt visant à protéger ces minorités? Quelles peines seront infligées à ceux et celles qui choisiront de ne pas respecter les minorités?
- Deuxième fondement : La consolidation de l'État de droit et des institutions, l'élargissement du champ des libertés individuelles et collectives et la garantie de leur exercice, ainsi que le renforcement du système des droits de l'Homme dans toutes leurs dimensions, politique, économique, sociale, culturelle, environnementale et de développement.
Relecture : Qu’est-ce que l’État de droit pour Mohammed VI? Le respect des libertés individuelles promis par le Roi sera-t-il appliqué dans la vie de tous les jours? Qui plus est, Mohammed VI est demeuré assez vague sur sa conception des libertés individuelles. Celles-ci donneront-elles le droit à la population de critiquer ouvertement le Roi? Pour ce qui est du renforcement du système des droits de l’Homme, quelle sera l’ampleur de ce renforcement?
- Troisième fondement : La volonté d'ériger la Justice au rang de pouvoir indépendant et de renforcer les prérogatives du Conseil constitutionnel, le but étant de conforter la prééminence de la Constitution et de consolider la suprématie de la loi et l'égalité de tous devant elle.
Relecture : Quelle forme prendra l’indépendance du pouvoir judiciaire? Dans une démocratie, la séparation du pouvoir judiciaire des autres pouvoirs ne se limite pas à une simple non-ingérence du pouvoir exécutif. Les juges doivent également demeurer impartiaux. Imaginons le scénario suivant : Mohammed VI choisit de laisser au pouvoir judiciaire la compétence de rendre justice sans avoir à consulter le gouvernement. Cependant, le Roi s’octroie le pouvoir de nommer les juges. Comme par coïncidence, le Roi nomme uniquement des juges très religieux et qui partagent ses idées. Dans ce cas, le pouvoir judiciaire est-il réellement indépendant, même si le pouvoir exécutif n’intervient pas formellement dans les jugements rendus par le pouvoir judiciaire?
- Quatrième fondement : La consolidation du principe de séparation et d'équilibre des pouvoirs et l'approfondissement de la démocratisation, de la modernisation et la rationalisation des institutions, à travers :
- Un parlement issu d'élections libres et sincères, au sein duquel la prééminence revient à la Chambre des représentants - avec une extension du domaine de la loi-, tout en veillant à conférer à cette institution de nouvelles compétences lui permettant de remplir pleinement ses missions de représentation, de législation et de contrôle.
- Un gouvernement élu, émanant de la volonté populaire exprimée à travers les urnes, et jouissant de la confiance de la majorité à la Chambre des représentants.
- La consécration du principe de la nomination du premier ministre au sein du parti politique arrivé en tête des élections de la Chambre des représentants et sur la base des résultats du scrutin.
- Le renforcement du statut du Premier ministre en tant que chef d'un pouvoir exécutif effectif, et pleinement responsable du gouvernement, de l'administration publique, et de la conduite et la mise en œuvre du programme gouvernemental.
- La constitutionnalisation de l'institution du Conseil de gouvernement, la définition et la clarification de ses compétences.
Relecture : Le parti politique ayant remporté les élections aura-t-il eu, dans les faits, autant de chances de se faire élire que tout autre parti? La promesse de Mohammed VI d’élections libres et sincères ne suffit pas à garantir l’alternance du pouvoir. Il faut également que tous les partis soient libres et aient des chances égales de remporter les élections. Par ailleurs, il faut également que les citoyens soient libres de voter pour le parti de leur choix. De même, les partis politiques doivent être libres de véhiculer leurs idées en public. Ainsi, pour demeurer fidèle à ses mots, le Roi marocain devrait en principe autoriser des partis politiques antimonarchiques. Mohammed VI promet également de renforcer le statut du Premier ministre en tant que chef du pouvoir exécutif effectif. Cependant, l’opposition sera-t-elle respectée? Les députés des partis en-dehors du pouvoir auront-ils le droit et la possibilité de proposer des projets de loi?
- Cinquième fondement : Le renforcement des organes et outils constitutionnels d'encadrement des citoyens, à travers notamment la consolidation du rôle des partis politiques dans le cadre d'un pluralisme effectif, et l'affermissement du statut de l'opposition parlementaire et du rôle de la société civile.
Relecture : Qu’est-ce que le pluralisme effectif, selon Mohammed VI? L’affermissement du statut de l’opposition parlementaire sera-t-il suffisamment important pour que l’opposition puisse être en mesure de bloquer des projets de lois proposés par le parti au pouvoir? Qui plus est, Mohammed VI compte-t-il consolider le rôle de la société civile au point que cette dernière puisse manifester comme bon lui semble lorsque les lois votées par le Parlement ne lui conviennent pas?
- Sixième et septième fondements : La consolidation des mécanismes de moralisation de la vie publique et la nécessité de lier l'exercice de l'autorité et de toute responsabilité ou mandat publics aux impératifs de contrôle et de reddition des comptes.
La constitutionnalisation des instances en charge de la bonne gouvernance, des droits de l'Homme et de la protection des libertés.
Relecture : La constitutionnalisation des instances en charge des droits de l’Homme et de la protection des libertés ne suffit pas à garantir le respect réel des libertés et des droits de l’Homme. En effet, le respect des libertés et des droits de l’Homme a beau être inscrit dans la Constitution, rien n’empêche, aujourd’hui, le Roi de modifier la définition de ces « libertés » et de ces « droits de l’Homme ». Ainsi, ces droits auront beau être protégés par la Constitution, Mohammed VI ne s’est toujours pas prononcé sur le champ de définition de ces droits.
Bref, le discours de sa Majesté Mohammed VI fait référence à de nombreux pouvoirs que le souverain marocain compte conférer au Parlement et à la société civile. Néanmoins, Mohammed VI n’a encore rien dit sur les modalités d’application et de modification de la nouvelle Constitution proposée. Dans son discours, Mohammed VI a insinué que les changements proposés demeurent entièrement l’expression de sa propre volonté. Ce qui sous-entend que les belles réformes démocratiques annoncées pourront, du jour au lendemain, être volatilisées selon la discrétion du Roi.
Ainsi, l’application des réformes démocratiques promises par Mohammed VI demeure entre les mains du souverain. Pour ma part, une vraie réforme démocratique marocaine passe avant tout par l’insertion et le respect effectif d’un article de ce type dans la Constitution : « Il sera loisible, au gouvernement composé des membres de la chambre des représentants élus sur la base de la majorité populaire, de prendre des décisions à l’endroit de la bonne gouvernance de l’État. Il reviendra également à la chambre de décider de la prise en considération ou non des propositions avancées par la Couronne, tout comme de décider du maintien ou non de celle-ci. ». Pour ma part, je crois que l’insertion d’un article de ce type est encore loin de figurer à l’agenda de Mohammed VI.