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Stupeur et tremblements

Publié le 13 mars 2011 par Feuilly

Le premier novembre 1755, un tremblement de terre suivi d’un raz-de-marée ravagea Lisbonne. Il y eut entre 50.000 et 100.000 victimes. Les personnes qui n’avaient pas péri sous les décombres des maisons, se ruèrent sur les quais, croyant être à l’abri des chutes de pierres. Là, elles découvrirent avec stupéfaction que le fond de l’océan était visible. La mer s’était retirée. Évidemment, peu de temps après, un tsunami ravagea la partie basse de la ville. Le peu qui avait été épargné fut ensuite la proie des incendies, les cheminées ayant été endommagées lors du séisme.

On connaît la réaction de Voltaire, qui pour la circonstance composa le Poème sur le désastre de Lisbonne. Pourquoi, en effet, Dieu, s’il existait (et pour Voltaire, déiste et non athée, Dieu existait, même si dans son imaginaire il était plus proche des forces de la nature que du vieillard barbu de l’Ancien Testament) avait-il voulu tuer ainsi des innocents, qui plus est le jour d’une fête chrétienne, la Toussaint ? En remettant ainsi en cause la sagesse divine, notre philosophe s’opposait directement aux thèses optimistes de Leibniz et Pope. Ceux-ci soutenaient que la Providence gouvernait le monde et que si parfois il arrivait quelques événements regrettables, ceux-ci restaient minimes par rapport au Bien absolu, qui progressait toujours. Le bouillant Voltaire ne pouvait tolérer cette sorte de fatalisme béat et il s’en moquera dans Candide avec sa fameuse formule « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. »

Rousseau répondra au poème sur le désastre de Lisbonne par la Lettre sur la Providence.

Et nous, que dirons-nous, devant ce malheur qui frappe le Japon ? Un tremblement de terre, un raz-de-marée, un incident nucléaire majeur… Cela fait beaucoup en un jour, pour un seul pays. Pays qui nous est proche, même s’il est loin géographiquement, puisque nous avons le même stade de développement technologique, le même genre de vie, etc. Je veux dire par-là que ce n’est pas le tiers-monde. Car quand un cataclysme frappe le tiers-monde, nous ne nous sentons guères concernés. Nous nous disons que nous n’avons pas le même climat extrême et que nous sommes de toute façon bien mieux préparés pour y faire face. Mais ici ? Tout avait été prévu. Les bâtiments avaient été construits en respectant les normes antisismiques (heureusement !) même la centrale nucléaire, qui pouvait résister à un tremblement de terre de force 7. Mais là on était à 8,9 ! On appréciera l’optimisme des spécialistes, qui ont toujours raison, sauf quand les faits leur donnent tort.

Les croyants fondamentalistes diront que Dieu a puni les hommes de leurs péchés (ah bon ?). Les croyants se refuseront à prendre position et soutiendront que les voies de Dieu sont impénétrables. Les fatalistes diront qu’on n’y peut rien, que cela devait arriver et voilà... Les athées comme moi seront impressionnés par cette force aveugle de la nature, qui nous oblige de temps à autre à nous souvenir que nous ne sommes pas grand-chose, malgré notre culture, notre science et notre savoir-faire. L’homme, finalement, reste un animal bien démuni.

La presse, évidemment, toujours friande de catastrophes, surtout si le nombre des victimes est élevé, s’est emparée de l’événement. On en a oublié la Lybie. Ca tombe bien, car l’ami Sarkozy voulait justement partir en guerre contre celui qu’il accueillait en grande pompe en 2007 encore, mais il a été désavoué par ses alliés européens. La France n’ira donc pas bombarder la Lybie, seul état arabe dont le dirigeant osait tenir tête à l’Occident. Tant mieux, cela aurait fait un peu expédition coloniale, surtout qu’il y a du pétrole à voler. Et puis débarquer là-bas juste au moment où Kadhafi est en train de reprendre la situation en main, cela allait être compliqué. Cela nous aurait encore fait pas mal de victimes en plus et dans les deux camps encore bien.

Vous me direz qu’on n’est plus à quelques victimes de plus ou de moins, surtout quand il s’agit d’aller imposer la démocratie et la libre circulation des biens et des richesses. Les Afghans le savent bien qui ont l’habitude de voir leur population civile bombardée par l’Otan, par erreur sans doute mais pour la bonne cause toujours.

Tout cela pour dire que les hommes sont fous. Comme si on n’avait pas déjà assez des tremblements de terre et des tsunamis ! Il faut encore qu’ils se tuent entre eux. La vie est pourtant si courte ! C’est ce que doivent se dire cette nuit les Japonais qui ont survécu. Ils ont perdu des proches, toute leur famille peut-être, leur maison est détruite et ils sont là dans le noir (plus d’électricité), devant la mer qui s'est retirée, à se poser les mêmes questions que Voltaire quelques siècles plus tôt : « Pourquoi ? »

Et il n’y aura évidemment personne pour leur répondre.

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