Monsieur Jean-Claude Weinstein a enseigné 43 ans à l’école publique. Instituteur en CP pendant une partie de sa carrière, il a appris à lire à un demi-millier d’élèves.
Olivia Millioz : Pourquoi y a-t-il 40 % des élèves qui arrivent aujourd’hui en sixième sans connaître les bases de la lecture, de l’écriture et du calcul ?
J.-C. Weinstein : La méthode globale a fabriqué massivement des échecs. De plus, elle fait s’épanouir les dyslexies (un cas, parfois deux par classe). En l’évitant, j’ai appris à lire à un demi-millier d’élèves. Avec la méthode syllabique (b.a.-ba), enrichie des apports de Borel-Maisonny (associer un geste à chaque son), il n’y a pas d’échec. En principe, l’ancien ministre de l’Éducation Gilles de Robien avait insisté sur ces points : a-t-il été suivi ? Non, la haute administration de l’Éducation nationale, obéissant aux syndicats, a rédigé des textes d’application qui vidaient la réforme de son contenu.
O.M. : Redresser nos écoles est-il encore possible ? Que préconisez-vous ?
J.-C. W. : Dictées, conjugaison, grammaire, retour aux priorités. Oui au calcul mental et aux tables. Il n’y a pas de calcul mental sans maîtrise des tables : elles sont l’alphabet du calcul. Quant aux grandes dates de l’histoire de France et de l’Europe, elles sont indispensables sous peine de construire un édifice sans ossature qui très vite s’effondre et tombe dans l’oubli.
Par la suite, au lycée, comment situer les étapes, l’ordre des civilisations, des mouvements littéraires ? C’est le seul moyen, à l’aide de repères datés, d’avoir une vue ordonnée du passé, de l’histoire. C’est la mémoire qui fournit les éléments sur lesquels s’exerce la réflexion.
O.M. : L’indiscipline qui règne dans beaucoup d’écoles pose-t-elle problème ?
J.-C. W. : L’indiscipline, la grossièreté, les dégradations, la violence : l’ampleur des actes est bien plus considérable qu’on ne le dit. Pourquoi ? Parce que l’enseignant victime de ces actes se tait, au moins neuf fois sur dix. En effet, l’administration (la hiérarchie) considère comme un gêneur celui qui se plaint. Il porte atteinte à quelque chose d’essentiel dans l’Éducation nationale : tout doit aller bien aux yeux de l’opinion publique… Les conséquences sont évidentes : les premiers actes non sanctionnés font tâche d’huile et se répandent dans les établissements au recrutement difficile.
Quelle sanction appliquer ? L’exclusion pour trois jours ? Le jeune voyou ne demande que cela ! La sanction doit être immédiate. Si l’enseignant réagit en secouant un élève gravement incorrect, c’est lui qui sera sanctionné par l’administration, et par les parents qui portent plainte pour violences à enfant. Ces petits voyous qui bravent l’autorité sont ainsi devenus des modèles pour certains de leurs camarades. C’est grave.
O.M. : Que faire ?
J.-C. W. : Il n’y a pas de solution miracle. Cependant, une réaction globale, immédiate de tous les enseignants d’un établissement serait une réaction forte et déjà efficace. Rappelons qu’au début de l’école primaire obligatoire, on insistait sur la formation morale : un quart d’heure chaque matin pour former les consciences. Pour la majorité des enseignants d’aujourd’hui, c’est ringard !!! Étonnons-nous que beaucoup de jeunes n’aient plus de repères.
Il existe aussi des raisons fondamentales à ces comportements. Depuis le collège unique de M. René Haby, tous les enfants sont scolarisés jusqu’à seize ans dans un tronc commun. Une petite partie est orientée en cours de scolarité en lycée professionnel, ce qui est bien.
Mais innombrables sont les élèves non motivés, accusant de gros retards, sans les bases nécessaires, ayant de gros problèmes familiaux ou autres. Ils sont en révolte contre ce qu’on leur impose. La réponse est ici évidente : il est urgent d’abolir le collège unique ! La plupart de ces élèves s’épanouiraient dans une formation professionnelle ou un apprentissage. Les classes seraient plus calmes, plus homogènes, l’enseignement plus efficace pour tous. Ce serait une mesure positive contre la pire des choses : l’échec scolaire. Je ferai une remarque supplémentaire pour montrer l’incroyable sottise du système : l’inspecteur – quel qu’il soit – qui rédige un rapport et donc juge la valeur du travail d’un enseignant, ne revient jamais en fin d’année pour estimer la valeur des résultats atteints, la qualité des méthodes utilisées… leur rôle est donc de faire appliquer des méthodes élaborées par des théoriciens qui n’ont jamais enseigné, jamais testé les démarches proposées. On vit dans l’absurde, dans l’irrationnel.
Pour conclure, le travail de SOS Éducation est utile et vous avez mille fois raison. Le drame est à mes yeux bien plus profond encore !
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