Le processus a été enclenché par une prise de position courageuse s’opposant aux sondages. Cela n’a pas empêché ni l’élection ni l’action : François Mitterrand restera dans
l’histoire de France comme celui qui a (enfin) aboli la peine de mort. Dont acte.
Quand on regarde le chemin parcouru, on a l’impression que c’était la préhistoire de la communication politique. Et pourtant, c’était déjà une "discipline" très ancienne.
L’élection présidentielle de 1981
La campagne officielle n’avait pas encore commencé mais les différents candidats étaient déjà "en place". Il y en avait dix.
C’était beaucoup déjà. Mais surtout, quatre "grands", ceux que Jean-Marie Le Pen, qui n’avait pas pu se
présenter cette fois-là, avait appelés "la bande des quatre".
C’était la précampagne qui battait à plein, dans toutes les stations de radios et les chaînes de télévision : émissions politiques
invitant quotidiennement un candidat, petites phrases, anecdotes… bref, le quotidien classique d’une campagne.
Le candidat François Mitterrand
De tout ce brouillard d’interventions, j’en retiens une seule pour la campagne de l’élection présidentielle de 1981 :
l’émission "Cartes sur table" sur Antenne 2 de Jean-Pierre Elkabbach
(le "méchant") et Alain Duhamel (le "gentil") invitait le lundi 16 mars 1981 dans la soirée l’un des deux principaux candidats, François Mitterrand. Sa première grande émission télévisée après son investiture au congrès du PS le 24 janvier 1981 à Créteil.
C’était sa troisième candidature à l’élection présidentielle. À 64 ans, l’ancien premier secrétaire du Parti socialiste qui avait réussi à conquérir le PS en 1971 au même moment qu’il y adhéra (par fusion de son
groupuscule), avait tenté l’Union de la gauche en 1972 qui aurait dû le conduire au pouvoir dès 1974. Il a
raté de peu, comme il a raté de peu les élections législatives de mars 1978.
L’élection présidentielle de 1981 était pour François Mitterrand sa dernière chance de rompre ce destin de continuel perdant. Malgré un
bilan que Valéry Giscard d’Estaing pensait suffisamment positif, le "citoyen candidat", comme se qualifiait
le Président sortant, était en perte de vitesse dans les sondages face à son concurrent de gauche.
Cartes sur table
L’atmosphère de l’émission était à la fois sobre (les décors étaient noirs et le public était silencieux) et intimiste : les
trois intervenants étant très près l’un des autres.
Les deux journalistes ont donc fait leur travail, posant à tour de rôle des questions au candidat socialiste à la fois sur son programme,
sur son intention de dissoudre l’Assemblée Nationale en cas d’élection, sur l’éventuelle présence de ministres communistes, et sur la campagne de ses concurrents.
L’émission se terminait. Le générique allait être lancé. Après une courte hésitation, Alain Duhamel s’est jeté à l’eau et a posé à
François Mitterrand la fameuse question sur la peine de mort.
Cette question de la peine de mort revenait souvent depuis plusieurs années. Valéry Giscard d’Estaing et son Ministre de la Justice
Alain Peyrefitte y étaient défavorables mais se refusaient à l’abolir dans les circonstances de l’époque
faites d’insécurité.
Les sondages étaient unanimes pour condamner une éventuelle abolition de la peine de mort. Déjà en 1981 (et tout au long de la décennie des années 1970), la
sécurité avait été un enjeu important de politique intérieure.
Contre la peine de mort
Une fois n’était pas coutume, François Mitterrand avait été clair et franc : « Pas plus sur cette question que sur les autres je ne
cacherai ma pensée. Et je n'ai pas du tout l'intention de mener ce combat à la face du pays en faisant semblant d'être ce que je ne suis pas. Dans ma conscience profonde, qui rejoint celle des
églises, l'église catholique, les églises réformées, la religion juive, la totalité des grandes associations humanitaires, internationales et nationales, dans ma conscience, dans le for de ma
conscience, je suis contre la peine de mort. ».
Il ne cachait pas les sondages qui étaient hostiles à cette prise de position : « Et je n'ai pas besoin de lire les sondages, qui disent le contraire, une opinion majoritaire est pour la peine de mort. Eh bien moi, je suis candidat
à la présidence de la République et je demande une majorité de suffrages aux Français et je ne la demande pas dans le secret de ma pensée. Je dis ce que je pense, ce à quoi j'adhère, ce à quoi je
crois, ce à quoi se rattachent mes adhésions spirituelles, ma croyance, mon souci de la civilisation, je ne suis pas favorable à la peine de mort. ».
Ces déclarations ont été les plus percutantes de la campagne électorale de 1981. Elles montraient la vision d’un homme
d’état qui refusait toute démagogie par sondages d’opinion. Elles étaient courageuses car
elles pouvaient lui coûter son entrée dans l’Histoire.
Abolition
Le 10 mai 1981, l’Histoire fut finalement au rendez-vous. François Mitterrand fut investi quatrième Président de la Ve République le 21 mai 1981. Dans son discours de politique générale du 8 juillet 1981 à l’Assemblée Nationale, le nouveau Premier Ministre Pierre Mauroy
déclarait : « [Le gouvernement] vous proposera de supprimer les tribunaux permanents des forces armées, d'abroger la loi du 2
février 1980 dite "sécurité et liberté" et d'abolir la peine de mort. ». Le Conseil des ministres du 26 août 1981 adopta le projet
de loi abolissant la peine de mort.
Au cours d’une session extraordinaire, le 17 septembre 1981, le Ministre de la Justice Robert Badinter entama la discussion parlementaire par ces mots
émouvants : « J’ai l’honneur au nom du gouvernement de la République de demander à l’Assemblée Nationale l’abolition de la peine
de mort en France. ».
Et il termina son plaidoyer ainsi : « Demain, grâce à vous, la justice
française ne sera plus une justice qui tue. Demain, grâce à vous, il n’y aura plus, pour notre honte commune, d’exécutions furtives, à l’aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises.
Demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées. À cet instant plus qu’à aucun autre, j’ai le sentiment d’assumer mon ministère au sens ancien, au sens noble, le plus noble qui
soit, c’est-à-dire au sens de service. Demain, vous voterez l’abolition de la peine de mort. Législateur français, de tout mon cœur, je vous en remercie. ».
L’abolition de la peine de mort fut votée le 18 septembre 1981 à l’Assemblée Nationale par 369 voix (dont 21 UDF et 16 RPR parmi lesquels
Jacques Chirac et Philippe Séguin) contre 113. Le 30 septembre 1981, le Sénat approuva également l’abolition malgré sa majorité UDF-RPR.
Le 10 octobre 1981, le Président François Mitterrand promulgua la loi n°81-908 portant abolition de la peine de mort : « Article
premier : La peine de mort est abolie. ».
C’est sans doute l’un des rares actes historiques et remarquables qu’aura accomplis François Mitterrand au cours de ses deux très longs
septennats.
Retour vers le passé
La polémique récemment initiée par la publication du livre "François Mitterrand et la guerre d’Algérie" (de Benjamin Stora et François
Malye, éd. Calmann-Lévy, 2010) pourrait remettre en cause la sincérité de François Mitterrand. Il aurait en effet demandé la plus grande sévérité contre des terroristes du FLN lorsqu’il était
Ministre de la Justice dans le gouvernement de Guy Mollet. Quarante-cinq personnes auraient été guillotinées alors que François Mitterrand avait recommandé au Président René Coty de ne pas user de son droit de grâce.
Concrètement la polémique est assez vaine et inutile puisque l’Histoire juge les faits, et dans les faits, c’est bien François Mitterrand
qui a aboli la peine de mort, et cela contre une majorité de l’opinion publique identifiable dans les sondages.
Robert Badinter a expliqué en février 2011 que François Mitterrand n’était pas contre la peine de mort dans les années 1950 comme la
plupart des hommes politiques de cette époque mais que son évolution personnelle l’a fait changer sincèrement d’idée dans les années 1970.
Pour également le "disculper" dans ce nouveau "procès", l’avocat général Philippe
Bilger a une formule très belle qui pourrait être réutilisée en d’autres occasions : « Son attitude a démontré que
l'audace de la vérité vaut toujours mieux que l'opportunisme de la prudence. ».
Nul doute que si l’émission du 16 mars 1981 avait été un peu plus longue et si les deux journalistes lui avaient rappelé sa position de 1957, François Mitterrand aurait su apporter une
réponse habile et sincère pour expliquer son évolution.
Hélas, personne ne lui a ensuite posé la question dans les quinze années qu’il lui restait à vivre. La version historique de François
Mitterrand aurait été intéressante. Bien plus qu’un mauvais procès.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (16 mars 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Extrait vidéo de l’émission du 16 mars 1981 sur la peine de mort (INA).
Discours de Robert Badinter du 17 septembre 1981.
Peine de mort : pour ou contre ? (guide de choix)
La loi sur l’abolition de la peine de mort (de 1981 à 2011).
Chronique de Philippe Bilger sur François Mitterrand et la peine de mort.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/la-peine-de-mort-selon-saint-90654