Magazine Journal intime

Lettre d'une amie nippone

Par Eric Mccomber
Lettre d'une amie nippone
Le 11 mars 2011
14h46, le Japon se met à trembler. Au début, je pensais que ce n'était qu'une autre secousse sans dommage (nous avons senti le sol trembler plusieurs fois cette semaine). Mais la secousse était violente. Aïe.
Au bureau, nous nous sommes d'abord réfugiés sous nos pupitres respectifs. Puis, nous avons évacué l'édifice. Le sol tremblait quand on descendait les escaliers. Vertige.
Devant l'édifice où je travaille, il y avait des débris de verres. Des fenêtres avaient éclaté; un périmètre de sécurité a aussitôt été installé autour de l'édifice. Interdiction d'entrer (de retourner) dans l'édifice. Fissures dans la tuyauterie ; de l'eau giclait sur le trottoir.
Les secousses continuent. Les poteaux de réverbères se balancent dans les airs.
Réseau de téléphonie en panne. Presque impossible de faire des appels et d'envoyer des textos.
On trouve refuge à l'extérieur. On attend, effrayés, que la situation se calme.
17h30, on se prépare à rentrer à pied. Tokyo est complètement paralysée. Service de train et de métro interrompu. Tout le monde marchait. Les trottoirs étaient bondés. Imaginez le stade olympique qui se vide continuellement, tout le temps et tout partout, à la grandeur de la ville. Véritable fourmilière.
J'ai marché avec des collègues en direction de Shibuya, un des grands centres de Tokyo. Nous avions une bonne heure de marche ; on espérait que le service de train reprenne pendant ce temps. Arrivés à Shibuya, il était évident que le service n'avait pas repris. Les artères, les rues, les ruelles et les trottoirs débordaient de monde. Et il n'y avait aucune activité sur les lignes de train.
Nous avons donc continué à marcher pour aller chez Aki, une collègue qui habite un quartier voisin de Shibuya. On planifiait se reposer chez elle, i.e. camper dans son appartement.
En chemin, j'ai passé devant un autobus qui se rendait dans mon quartier. (L'autobus n'a pas passé devant moi ; l'autobus, bloqué par la folle congestion routière, n'avançait pas.) J'étais soulagée. J'allais pouvoir rentrer chez moi. J'ai dit au revoir à mes collègues. Puis, j'ai marché cinq minutes pour aller aux toilettes dans un édifice. Dans les salles de réunions du rez-de-chaussée, il y avait des gens qui s'installaient pour camper. Après avoir soulagé ma vessie, j'ai re-marché cinq minutes jusqu'à l'autobus qui n'avait pas bougé.
19h30, je monte à bord de l'autobus. Pourquoi prendre l'autobus si les routes sont bloquées ? Parce que j'étais fatiguée, j'avais froid, et je pensais que l'autobus finirait par avancer. Trois heures plus tard, nous avions parcouru une distance de 1.5 km.
22h30, je descends de l'autobus. J'ai fait le reste à pied. J'ai marché en compagnie d'une dame qui habite mon quartier. (Ça faisait quatre heures qu'elle était dans l'autobus.) Les trottoirs étaient toujours aussi bondés. De petits commerçants distribuaient du thé aux marcheurs. C'était bon ; ça m'a réchauffée.
Minuit, de retour chez moi.
Figurez-vous que vous étiez au courant de ce qui se passait avant moi. Même si je vivais les événements en temps réel, je ne connaissais pas les détails de la situation. Ce n'est qu'en rentrant chez moi que j'ai pu constater l'ampleur du séisme/tsunami. J'étais bouleversée, choquée, traumatisée de voir les images du tremblement de terre.
Il y a eu plusieurs répliques durant la nuit.
Je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit.
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Le 14 mars 2011
Aujourd'hui, je suis allée travailler en espadrilles. Service partiel sur les lignes de train et de métro en raison des coupures de courant. J'ai marché 30 minutes pour me rendre à la première gare desservie par les trains. (On dit que j'ai le pas rapide, alors calculez 43 minutes de marche.) Wagons de train plus que bondés.
Coupures de courant planifiées. De plus, pour réduire la consommation d'électricité, les commerces ferment tôt. Et lorsqu'ils sont ouverts, ils utilisent un minimum de lumière. La ville est au ralenti.
À l'épicerie, les tablettes sont vides. Il n'y a pas de : lait, pain, oeufs, pâtes, conserves. Les boulangeries ferment presque aussitôt après avoir ouvert leurs portes (plus de pain à vendre). Les gens font la file à l'extérieur et attendent l'ouverture des épiceries et des boulangeries.
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Le 15 mars 2011
Je suis restée à la maison. Télétravail en raison de la radioactivité et des problèmes de train.
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La terre continue de trembler. Ce matin, je me suis réveillée vers 5 h par une violente secousse. Et la terre a tremblé à quelques reprises pendant que j'écrivais ces lignes.
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Les sinistrés pleurent de joie parce qu'ils sont en vie. Une dame qui a tout perdu disait « Je suis heureuse d'être en vie... c'est tout ce qui compte ».
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Merci pour vos pensées.
Ça fait du bien.
Kumi*, Tokyo, 15 mars 2011
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*Ce texte est reproduit ici avec sa permission, bien évidemment© Éric McComber

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