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Grand emprunt : vers l’impasse ?

Publié le 17 mars 2011 par Monthubert

Les motifs de critique du « grand emprunt » sont nombreux. J’en ai développé de nombreux sur ce blog, depuis la manipulation dans l’affichage des sommes concernées, bien plus faibles que ce que le gouvernement tente de faire croire,  jusqu’à l’absurdité de la démarche d’hyper-concentration des financements, une « excellence » qui tue l’excellence. Voir aussi ma tribune dans Le Monde sur les crédits réels dans la recherche et l’enseignement supérieur.

Les critiques s’étendent depuis que les premiers résultats des appels à projets commencent à tomber. Les « équipements d’excellence », par exemple, montrent une concentration géographique préoccupante. Ils oublient des pans entiers de la recherche, comme les mathématiques où aucun projet n’a été retenu, malgré un effort de la communauté pour faire un projet collectif. Mais il se passe ces jours-ci quelque chose de particulièrement préoccupant.

Les résultats de l’appel à projets « laboratoires d’excellence » (labex) auraient dû être connus à ce jour. Pourtant, rien n’arrive… officiellement. C’est qu’une véritable bataille se mène en coulisses, comme l’explique très bien Henri Audier sur son blog. Résumons le processus. Un jury international est nommé pour chaque appel d’offres, d’une manière qui n’est pas connue. Sa composition est révélée seulement après la publication des résultats, afin d’éviter les pressions sur les membres du jury. Le jury évalue les projets et fournit une liste de projets à soutenir. Mais là il y a un problème : à ce type de jeu, des laboratoires que le gouvernement aimerait soutenir se retrouvent mal classés ! Et de fait, des pans entiers du territoire se retrouve à l’abandon. C’est d’ailleurs logique : avec ce type de processus, on ne prête qu’aux riches. Et on renforce les déséquilibres. C’est du reste totalement cohérent avec l’idéologie de ce gouvernement, mais c’est contradictoire avec ses discours, puisque Valérie Pécresse clame qu’il y a de l’excellence partout, et que chacun pourra avoir sa part du gâteau. Résultat, on s’affaire dans les coulisses pour réorienter les résultats, faire rentrer dans la liste des projets qui en sont exclus, etc. Et le lobbying marche à fond : c’est digne de la cour du roi. Pendant ce temps, les rumeurs courent, chacun entend dire que tel ou tel labex serait retenu, mais pas les autres, sans qu’on sache bien quelles sont les sources. Un laboratoire a cru bon d’informer ses membres il y a 10 jours que son projet de labex serait retenu. Bref, on est dans le brouillard le plus complet, et surtout le processus est totalement discrédité.

Cette situation pouvait être anticipée. Car c’est la logique même de l’ultra-sélectivité qui est en cause. Une politique scientifique consiste à donner des moyens aux différents laboratoires sur la base de divers critères. La politique du grand emprunt consiste à fixer d’emblée un nombre de gagnants, et donc de perdants, quelle que soit la qualité des projets. C’est une vision binaire : on est excellent ou on ne l’est pas. Il n’y a pas de place pour la mesure, la nuance, la prise en compte des différents critères qui justement contribuent normalement à l’élaboration de la politique scientifique.

Dans l’immédiat, il faut que le gouvernement fasse la plus grande transparence, en publiant au plus vite le résultat, et dans le même temps il faut que le jury dévoile sa première sélection. Ceci doit pouvoir être fait par n’importe lequel des membres du jury. S’il y a un écart entre les préconisation du jury et les résultats, il faudra que le gouvernement s’en explique.

Ensuite, si la gauche gagne en 2012, il faudra tout reprendre. La logique du grand emprunt devra être abandonnée, au profit de la mise en oeuvre d’une politique scientifique élaborée de façon transparente et démocratique. Les financements affectés aux projets retenus devront être passés en revue, et soumis aux conseils des universités et organismes de recherche. Et surtout, il faudra construire une politique de confiance vis-à-vis des chercheurs, aujourd’hui victimes d’une ruée vers l’or aussi illusoire que celle qui agita le Far-West.


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