
En quelques heures, par un revirement dont il a le secret, Sarkozy avait désigné Kadhafi à la vindicte internationale. Quand, jeudi soir, le Conseil de Sécurité approuve enfin le blocus du ciel libyen, la Sarkofrance exulte.
Et en quelques heures, par un aveuglement dont elle a le secret, la France médiatico-politique redevenait sarkophile.
Affligeante réaction onusienne
Vendredi matin, Nicolas Sarkozy pouvait jubiler. Classe politique et médias nationaux étaient unanimes pour louer le rôle déterminant de la diplomatie française dans l'affaire libyenne. Il suffit d'un concert de louanges pour que la France médiatique se réveille sarkophile voire sarkozyste. La veille au soir, le conseil de sécurité de l'ONU avait adopté sa résolution 1973, par 10 voix contre 5 abstentions, autorisant, enfin, le blocus aérien de la Libye « pour protéger la population civile et pour faire cesser les hostilités.» Le ministre Juppé avait livré un court discours devant ses homologues que d'aucuns comparèrent aussitôt à la déclaration solennelle de Dominique de Villepin contre l'entrée en guerre en Irak en 2003. Dès vendredi, le colonel Kadhafi promettait « l'enfer » aux avions occidentaux s'ils devaient intervenir avant de proclamer un cessez-le-feu immédiat.
Bref, Nicolas Sarkozy a brillamment retourné la situation, au moins sur ce front : fustigé pour son silence depuis décembre, moqué pour son inconstance, critiqué pour les invitations privées d'Alliot-Marie et Fillon l'hiver dernier en Tunisie et en Egypte, le Monarque avait semble-t-il redressé la barre. Samedi après-midi, il avait invité pour les chefs d'Etat et ou leurs représentants « qui souhaitent apporter leur soutien à la mise en œuvre de cette résolution » à un « sommet de Paris de soutien au peuple libyen.» Le spectacle continue.
En fait, comme souvent, la réalité est plus nuancée que ces premiers constats grégaires. Primo, la résolution onusienne n'autorise que des raids aériens. Tout déploiement terrestre est interdit. Samedi matin, Kadhafi attaquait les faubourgs de Benghazi.
Secundo, cette résolution ne vise pas à bouter le colonel Kadhafi hors du pouvoir, ni même à empêcher une guerre civile, bien au contraire. Elle cherche simplement à rééquilibrer le rapport de force militaire entre le régime et son opposition. C'est bien toute son ambigüité. En 1991, Saddam Hussein, pourtant défait au Koweit, eut les mains libres pour réprimer dans le sang les révoltes chiites et kurdes. On se rappelle aussi l'échec d'autres raids aériens occidentaux sans intervention terrestre, comme en Bosnie-Herzégovine à l'aube des années quatre-vingt dix.
Tertio, les belles déclarations d'Alain Juppé suppliant ses homologues du Conseil de Sécurité de ne « pas laisser faire les fauteurs de guerre » ni de « laisser bafouer la légalité et la morale internationales. » avaient quelque chose d'indécent. Un peu plus au Sud, au Yémen (52 morts vendredi !) ou même à Barheïn, le « printemps arabe » se poursuit dans la douleur, et sans le soutien, même oral, des démocraties occidentales. Pire, l'Arabie Saoudite, partie active de la coalition anti-Kadhafi, a dépêché quelque 1000 soldats dans l'émirat voisin du Barheïn sans le moindre commentaire occidental. Quarto, l'Europe diplomatique est en miettes. La critique n'est pas nouvelle. Mais elle présage mal de l'avenir.
Enfin, l'attitude de Nicolas Sarkozy, si décisive fut-elle, est à l'image du monde occidental : d'abord compromise, ensuite tardive, enfin positive. Il y a trois mois à peine, la Sarkofrance tentait de finaliser désespérément de jolies ventes d'armement. Imagine-t-on des combats aériens Rafales libyens contre Rafales français dans le ciel de Benghazi ? Pendant les révoltes tunisiennes puis égyptiennes, il y a à peine 2 mois, le Monarque fut étrangement silencieux.
Avec Kadhafi, ancien terroriste récidiviste, il s'est choisi un épouvantail à sa hauteur.
Comment donc considérer les déclarations de Nicolas Sarkozy, vendredi 18 mars, lors d'une nouvelle inauguration-prétexte ? L'occasion était trop belle, le moment trop bon. A nouveau, ses propos furent indécents : « La stabilité était le maître mot de toute action diplomatique il y a quelques années (...) mais, au nom de la stabilité, est-ce qu'on n'a pas condamné des peuples, en Europe, au Moyen-Orient, ailleurs dans le monde, à l'injustice, au non-respect des droits de l'Homme, simplement parce que la stabilité tranquillisait ceux qui en bénéficiaient ? » Il y a quelques années ? Non. Sarkozy se trompe d'échelle temporelle. Sa real-politik depuis mai 2007 en a déçu plus d'un.
Et les élections ?
La France était en campagne mais les élections cantonales sont passées à la trappe. L'UMP se cache, craignant la déroute. Elle a même retiré son logo des bulletins de ses candidats. A Paris ou en province, le candidat élyséen pense toujours autant à 2012. Lundi, il tenait une réunion de campagne à l'Elysée avec ses proches. Mardi, il est parti rencontrer Sophie Poux, cette productrice de lait invitée de TF1 en janvier 2010. Mercredi, il avait réservé la grande salle du Grand Palais pour 2000 chefs d'entreprise bénéficiaires des prêts d'Oseo. Jeudi, il rencontrait des pompiers, puis recevait une poignée d'agriculteurs dont Michaël Poillon, autre invité de TF1 en janvier dernier. Tout est bon pour la photo électorale.
A Paris, François Fillon, interrogé sur France 2, a confirmé : « Nicolas Sarkozy sera candidat. » Personne ne relève tant c'est évident. Son ministre de l'intérieur et de l'immigration, Claude Guéant, a pris son poste en main. Jeudi sur Europe 1, il a lâché une boutade que son prédécesseur Hortefeux n'aurait pas reniée : « les Français, à force d'immigration incontrôlée, ont parfois le sentiment de ne plus être chez eux. » Ciblée contre l'immigration légale ou pas, cette déclaration préméditée était bien inacceptable : Claude Guéant est le fidèle soutier de Nicolas Sarkozy depuis près de 10 ans et donc le co-auteur d'un nombre incalculable de lois contre l'immigration clandestine. En quelques mots, il légitime pour son électorat déboussolé le discours frontiste depuis 30 ans. Marine Le Pen ne s'est pas trompé sur l'hommage : dès vendredi, elle lui a établi une carte d'adhérent « prestige » au FN.
Cette diversion xénophobe fut bien commode. Elle permit d'esquiver quelques commentaires sur le chômage, la précarité ou ... la pénibilité. Le ministère du travail a discrètement rendu public une étude vieille de 3 ans sur la pénibilité au travail : plus de 2,6 millions de personnes ont été exposées plus de 15 ans à une pénibilité sérieuse, soit 35% des effectifs, et 58% des ouvriers ! Et cette pénibilité coûte souvent leur emploi aux séniors concernés : « Moins souvent en emploi, les seniors ayant été durablement exposés à des pénibilités physiques sont plus souvent au chômage ou inactifs.» Dans sa réforme des retraites, le Président des Riches n'a concédé qu'à 30.000 handicapés physiques du travail par an de partir plus tôt que les autres. Pour le reste, circulez, y-a rien à voir !
Depuis des mois, à chaque visite de terrain, le Monarque Nicolas explique aux ouvriers silencieux qu'il croise combien il est légitime de travailler plus puisque l'on vit plus longtemps, que le travail est une fierté, que la pénibilité. L'argument reste imparable quand on reste grossier et général. Et que l'on cache les études gouvernementales jusqu'à après le vote de la loi.
Obstruction atomique
Mais le plus bel exemple d'obstruction démocratique de la semaine nous vint du Japon. Depuis le weekend dernier, les ténors de Sarkofrance venaient un à un à la rescousse de la filière nucléaire française. Au Japon, le tremblement de terre puis le tsunami du 11 mars ont endommagé la centrale de Fukushima et ses 6 réacteurs. Partout dans le monde, on craint le pire. Partout, sauf en France. Il y a un business à défendre, cette prolifique filière dont Nicolas Sarkozy s'est fait le VRP auprès de toutes les dictatures du globe sauf l'Iran et la Corée du Nord. Depuis 2007, il a signé des accords, souvent jamais finalisés, avec l'Algérie, la Tunisie, l'Afrique du Sud, l'Inde, l'Arabie Saoudite, Abou Dhabi, l'Egypte, et même la Libye en juillet 2007. Depuis mai 2008, sa nouvelle agence « France nucléaire international » devait faire la promotion de cette diplomatie atomique.
Dimanche, les écologistes réclament un débat sur le nucléaire française. Eric Besson, ministre de l'industrie, et Nathalie Kosciusko-Morizet, sa collègue AREVA-compatible, sont envoyés en conférence de presse avec des dirigeants de la filière pour rassurer. Henri Guaino, conseiller hors sol, explique que le drame nippon devrait « favoriser notre industrie nucléaire par rapport aux industries d'autres pays où la sécurité est passée au peu plus au second plan.» Lundi, Nicolas Sarkozy lui-même, s'exclame que « si on est les plus chers, c’est parce qu’on est les plus sûrs ! » . Le soir, l'inquiétude était visible. Au Japon, trois réacteurs semblaient hors de contrôle, après des explosions et pannes de refroidissement. En déplacement électoral dans le Tarn-et-Garonne, le candidat Sarkozy change de registre, mardi sous la contrainte. Le monde craint une explosion version Tchernobyl.
Sarkozy concède que la catastrophe est proche. Mercredi 16 mars, il fait une déclaration sur la situation au Japon lors du conseil des ministres, et réaffirme que l'engagement atomique de la France n'est négociable, ni discutable. Dans l'après-midi, il réitère qu'il faut du sang-froid. Il a failli perdre le sien devant l'ampleur de la catastrophe japonaise. Mais croyez-le, braves gens : en France on ne risque rien !
Au final, cette double crise internationale a servi au candidat Sarkozy, au moins pour quelques jours. La lucidité médiatique est tombée dans l'affaire libyenne, et le consensus « nucléariste » reste solide.
Ami sarkozyste, es-tu revenu ?