Notre perception est un filtre. Elle transforme le réel.
Elle le traduit. Elle le trahit. Car l’un ne va jamais sans l’autre.
Elle déforme, réforme, détourne.
Percevoir, c’est aussi réagir.
Percevoir, c’est à mi chemin entre réaction et invention pure et simple, à partir de…
Car l’imaginaire, dans l’Homme, parasite toujours la perception. Et c’est exactement pareil en ce qui concerne la mémoire.
Aucune immédiateté, aucune nudité de la perception ne résiste aux dansantes interférences de la mémoire et de l’imaginaire.
Dès son point de départ, la perception s’entache d’interprétation.
Percevoir, c’est entrer en contact et, en même temps, maîtriser ce contact.
Percevoir est un acte et, en ce sens, une force de résistance au réel.
Qui dit contact dit frottement. La perception est un frottement. Mais elle est tout aussi bien un compromis, entre ce qui doit à tout prix être pris en compte, à savoir le réel, et ce que nos organes et systèmes sensoriels et émotionnels sont en mesure d’absorber, de digérer, de faire leurs, en fonction de leurs capacités autant que de leurs limitations.
Toute perception (le terme étant entendu dans son sens le plus large) ne peut être qu’une déformation du réel, mais, en même temps, nous ne pouvons jamais croire que nos perceptions.
Toute vérité se situe à l’intersection entre le monde et l’être occupé à le percevoir ; toute vérité, toute réalité, est, par essence, un mixte .
Lorsqu’il s’agit d’expliquer, d’analyser des phénomènes et des réalités complexes (ce qui, en particulier, est le cas des réalités humaines) on constate en définitive souvent, que tout le monde se trouve simultanément dans le faux et dans le vrai.
La vérité (ou la fausseté) se diluent volontiers dans le brouillard que finit par former la multiplicité de leurs facettes.
Ce qui est ne nous sera jamais donné autrement que sous la forme de ce qui nous apparait, nous semble…
Au cœur de chaque perception la possibilité du doute.
Son tremblement d’hésitation, dans chaque chose que nos sens désignent.
Chaque objet laisse planer un doute sur la possibilité de sa propre existence, de sa propre clarté.
La poésie : une certaine façon de douter du réel ?
Et, en ce sens, un état extrême, « extrémiste » de la pensée humaine ?
Où est la place du réel ?
Derrière l’écran de l’esprit qui le dénature ?
Chaque objet, chaque pan de « réel » ne mérite-t-il pas qu’on se demande s’il se ressemble, s’il ne se fausse pas compagnie à lui-même ?
Et si, déjà, le monde que nous voyons n’était que le fantôme de lui-même ?
Les mots se proposent, entre autre, de combler un vide de sens quasi complet.
L’Homme jacasse.
Le non-sens ricane.
Tous nos mots sont en rotation autour d’un vortex noir immense.
Le masque de mes mots,
des mots,
je l’ôte
et je n’ai plus de face,
mon non-visage et mes non-yeux
deviennent de simples miroirs
où s’engouffre un monde ténu,
leurré par son propre mirage.
Mais réfléchir
réfléchit-il ?
Patricia Laranco.