Le groupe Avic en fait-il trop ?On est en droit de s’interroger : ŕ force de brűler les étapes, de vouloir se hisser au plus vite au niveau des plus grands, l’industrie aéronautique chinoise ne va-t-elle pas finir par nous indisposer ? La voici, en effet, qui s’invite dans le dossier Latécočre, ce qui est tout simplement incongru. Et, dans le męme temps, elle met le grappin sur un constructeur américain d’avions léger, Cirrus.
On sait Latécočre en mauvaise posture depuis de nombreux mois et il est probablement souhaitable, voire indispensable, d’adosser la société toulousaine ŕ un groupe puissant. Ce pourrait aussi ętre l’occasion de constituer un grand équipementier de Ťrang 1ť rassemblant des forces vives françaises exagérément dispersées. Le débat est lancé et, de toute maničre, quand l’heure des choix aura sonné, personne ne se sentira obligé de retenir la proposition chinoise.
C’est plutôt une question de principe qui est posée. La Chine, on le sait, constitue un marché potentiel fabuleux pour les industriels occidentaux de l’aéronautique, en raison de son impressionnant essor économique, certes, mais aussi parce qu’elle mise beaucoup sur le développement de son aviation commerciale pour accompagner son développement. Ainsi, Jacques Sabourin, délégué général de l’Union des aéroports français, note que non moins de 78 aéroports nouveaux sont actuellement programmés en Chine. Airbus, Boeing, les motoristes, les équipementiers, tous se positionnent.
On pourrait rétorquer que le court/moyen-courrier C919, un 150/200 places livrable ŕ partir de 2016, constitue une premičre menace concurrentielle. Et, au-delŕ, d’autres programmes s’attaqueront sans aucun doute aux positions européennes et américaines. Reste le fait qu’il est de bon ton de considérer la Chine comme un partenaire et non pas un dangereux concurrent. Quitte ŕ nier quelques évidences.
Loin de grandes manœuvres impliquant quelques ténors, d’autres dossiers révčlent un état d’esprit chinois qui commence imperceptiblement ŕ agacer. Le chéquier ŕ la main, on observe les dirigeants du groupe Avic poursuivant un patient lčche-vitrine tous azimuts. Y compris, ce qui est inattendu, dans le domaine de l’aviation privée. C’est ainsi que le célčbre motoriste Teledyne Continental est récemment passé son contrôle chinois, aprčs une transaction qui a permis ŕ des investisseurs américains de faire une bonne affaire en poursuivant leur quęte de bénéfices immédiats. L’affaire est tout simplement passée inaperçue.
Il allait en ętre de męme avec Cirrus Aircraft, avionneur créé en 1984, mené par une équipe intelligente, qui a conçu une gamme d’avions de loisirs en composites et a imaginé un monoréacteur de voyage, baptisé Vision, un Ťvery light jetť novateur, actuellement au stade des essais en vol, proposé ŕ 1,7 million de dollars. Prčs de 500 réservations ont été enregistrées par Cirrus pour ce petit jet mais l’entreprise est fragilisée par un manque criant de fonds. Ce qui est d’ailleurs curieux, le constructeur étant passé il y a quelques années sous contrôle d’un fonds d’investissement de Barhrein, Arcapita.
Toujours est-il que les Chinois se sont précipités pour racheter Cirrus, une affaire rondement menée et rapidement bouclée. Bien sűr, elle ne bouleverse pas le cours de l’histoire de l’aviation mais elle n’en perturbe pas moins les esprits. Et rien n’étant définitivement conclu et signé, voici que l’on assiste ŕ une levée de boucliers, au demeurant hautement symbolique. Une réaction hostile que l’on est tenté de qualifier de sympathique, et qui constitue une action de pur patriotisme économique.
Un consultant, Brian Foley, s’efforce d’organiser une contre-attaque en réunissant des investisseurs pour que Cirrus demeure propriété américaine. Pour y arriver, une somme de l’ordre de 200 millions de dollars devrait ętre réunie rapidement. L’objectif n’est pas hors d’atteinte et, en cas de succčs, au-delŕ de cette victoire symbolique, peut-ętre la Chine comprendra-t-elle que chacun attend d’elle un comportement plus mesuré…
Pierre Sparaco - AeroMorning
