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Discrimination religieuse en Égypte : une interview avec le Père Samir

Publié le 22 mars 2011 par Unmondelibre

Discrimination religieuse en Égypte : une interview avec le Père SamirLe 22 mars 2011 - Nous vous proposons la retranscription d’une interview de notre collaborateur italien Giuliano Luongo avec le Père Samir, ecclésiastique copte d’Égypte qui enseigne à l'Université Saint-Joseph de Beyrouth, où il est fondateur et directeur du CEDRAC (Centre de documentation et de recherches arabes chrétiennes) et qui est aussi professeur à l'Institut Pontifical Oriental de Rome. Cette interview a été réalisée juste avant la chute de Moubarak mais garde encore sa pertinence. Elle permet de comprendre les discriminations religieuses qui régnaient, et règnent encore, en Égypte.
Giuliano Luongo : Quel est le niveau de discrimination envers la minorité religieuse copte en Égypte, et dans quelle mesure la liberté de culte avait-t-elle été réduite ces derniers 30 ans ? Est-il vrai que le niveau de tolérance change selon la zone géographique d’Egypte ? Le gouvernement savait-il cela et faisait-il quelque chose pour améliorer – ou empirer – cette situation ?
Père Samir : La discrimination peut être constatée à de nombreux égards, à commencer au niveau de la communauté et des églises. Pour construire une église il faut avoir le permis du Président de la République (il y a 10 conditions à respecter). Par exemple, on ne peut pas construire une église à une certaine proximité d’une mosquée, et pour construire il faut avoir la présence d’une communauté chrétienne dans les environs. Cette loi remonte à une loi ottomane de la fin du 9° siècle. Avant la révolution de Nasser de 1956, cette loi n’était pas appliquée. Ils l’ont adoucie sur un point : ils ont donné le pouvoir de donner le permis à un gouverneur local. Mais ça pouvait être pire dans certains cas, par exemple, si le gouverneur adhérait à un mouvement islamiste. On a vu, en décembre 2010, dans la banlieue du Caire, que la police a bloqué la construction d’une église à laquelle manquait seulement le dôme. Le problème des églises est que les chrétiens ne réussiront jamais à obtenir le permis pour les construire. Soit le président donne un permis global pour un nombre X d’églises (si le patriarche réussit à obtenir un permis sur la base de la population, mais reste toujours le problème de s’accorder avec le gouvernement local) soir on classe l’église comme centre culturel et après on « ajoute » le dôme.
C’est un escamotage déjà utilisé dans la période ottomane : si le bâtiment est complet, avec le toit, il ne peut pas être démoli, même s’il est illégal. J’ai assisté à cela personnellement, il y a 30 ans environ, dans une église à Minya. L’évêque catholique m’avait fait visiter l’église peu avant Pâque, et l’église était enregistrée comme garage. L’autel et le dôme aussi étaient prévus. Pendant que j’étais avec l’évêque, arriva un officier d’État. L’évêque envoya l’officier chez l’architecte, qui confirma que c’était un garage. Quand l’officier demanda des éclaircissements sur la structure, en particulier sur une partie avec des colonnes, l’architecte dit « c’est pour l’automobile de l’évêque ».
Les discriminations sont présentes dans la vie quotidienne ; en règle générale il n’y a pas de parité. La religion fait partie de toute la vie : pour obtenir chaque chose, on parle toujours de religion. D’ailleurs la religion est écrite sur le passeport, et il est presque impossible de la changer. Un musulman ne pourra jamais changer religion : s’il se convertit, le parcours est difficile, c’est un parcours du combattant. Il y a eu des exemples de différents procès sur ce thème. C’est en particulier le cas de 12 chrétiens qui s’étaient déclarés musulmans (souvent, pour des raisons de divorce) et voulaient revenir au christianisme. L’église avait donné son approbation, mais ils n’ont pas obtenu le changement de carte d’identité. Leurs fils seront automatiquement musulmans. Dans un mariage mixte, la loi dit que la religion la « meilleure » prévaut – ce qui signifie que c’est l’islam qui prévaut.
Il y a différents métiers interdits aux chrétiens, par exemple un médecin chrétien ne peut pas être gynécologue : on a peur que les femmes musulmanes puissent aller chez un médecin non musulman, c’est à dire non « pur ». A partir des années 70 il est devenu impossible pour un professeur chrétien d’enseigner l’arabe. L’enseignement de la langue et de la littérature arabe est donc islamisé. Dans l’armée, un chrétien n’arrivera jamais aux grades les plus élevés. J’ai connu des coptes mis à la retraite à 50 ans pour les empêcher d’obtenir les grades les plus élevés.
Même à la TV et à la radio il y a beaucoup de propagande, surtout pendant le ramadan. Tout est fait pour que les chrétiens aient vraiment l’impression d’être des citoyens de 2ème classe. La parité des droits n’existe pas. Même si les musulmans disent que l’islam à établi un régime de tolérance envers les chrétiens et les hébreux, ce n’est pas vrai. Ils n’aperçoivent pas que les lois sont toutes pro-islam : les chrétiens sont « tolérés ». Mais ces derniers ne veulent pas de tolérance, ils veulent la parité. Les coptes ne manquent de dire qu’ils ne sont pas des égyptiens convertis au christianisme, qu’ils ne sont pas seulement des hôtes sur le territoire, tolérés par les musulmans. Cela est dit aussi par les érudits musulmans qui veulent défendre les coptes.
La discrimination est quotidienne. Tous les jours nous écoutons des programmes gouvernementaux (payés donc par les chrétiens aussi) qui diffusent seulement des programmes islamiques. Chaque dimanche on diffuse seulement une demi-heure (sur 2 heures) de la messe complète. Dans la vie, le chrétien se sent enveloppé dans l’islam. A l’école aussi, tout est islamisé. Tout cela rend la vie des chrétiens plus pesante. La liberté de culte est affaiblie. Y a-t-il liberté de culte ? Non. Les chrétiens peuvent, oui, aller dans l’église et prier, mais indirectement il y a beaucoup d’obstacles, en commençant par les barrières à la construction des églises (voir le cas de ce décembre 2010). Il n’y a pas de droit de vivre la religion en public, sauf pour les musulmans. Il y a des milliers de musulmans chaque année qui veulent devenir chrétiens, mais changer de religion est un acte très dangereux.
L’adhésion à l’islam pour un chrétien est, au contraire, très simplifiée. Il faut avoir la liberté de conscience, qui a ses racines dans le Coran. Dans le même Coran il y a en même temps des parties qui justifient la répression à l’encontre de la conversion. Il existe de nombreux problèmes d’exégèse sur ce thème. En partie, dans la Bible et (moins) dans l’Évangile il y a des contradictions aussi... Enfin, tout est un problème d’interprétation.
Les choses ont commencé à empirer à partir de la moitié des années 70. Il faut dire que, dans les années 50, la société était libérale, suivant le modèle sociétal européen. La constitution égyptienne du 1923 est de type occidental et, pour les questions de famille, elle était pluraliste (le musulman suit la Shari’a, le chrétien selon sa communauté suit le droit canonique correspondant). Il existait des « tribunaux mixtes ». Un catholique ne pouvait pas divorcer, etc. La révolution a effacé ces tribunaux, pour dire « la loi de l’État est valide pour tous ». Mais la loi de la majorité a été adoptée : une islamisation involontaire de la loi. Les musulmans sont encore soumis aux différences homme/femme du point de vue de l’héritage, selon la tradition musulmane. Pour nous c’est une injustice, mais bien sûr les hommes ne protestent pas parce que pour eux c’est un avantage. Le frère avait le devoir, en même temps, de protéger sa sœur, par exemple. Dans la société actuelle, la mixture entre une société égalitaire pour les devoirs mais discriminante pour les droits, mène à quelque chose d’injuste.
Les Frères Musulmans, déjà en ce temps le parti islamisant, étaient contrôlés est mis en prison. Sous le roi comme sous Nasser, ils étaient interdits, parce qu’ils avaient un projet politique qui menait à faire tomber le gouvernement. Sadate a libéralisé le pays sous des aspects différents, le socialisme était seulement théorique. Il a libéralisé l’économie et la politique, en donnant des avantages plus aux riches qu’au peuple et a fait sortir de prison les Frères Musulmans. Peu d’années après, à la fin du 1973, il y a eu le boom du pétrole. Les Frères Musulmans ont fuit en Arabie Saoudite. De là, est parti un financement important pour les organisations islamiques. L’Arabie Saoudite et des autre pays pétroliers utilisent toujours leur argent pour financer des structures islamiques (école dépendantes d’Al Azhar, une école pour chaque village important, etc.), un organisme comme Qutab, les mosquées ont fleuri partout (elles n’ont pas besoin d’un permis pour être construites) même dans un lieu public, parce que elles sont considérées comment un service pour la communauté ; elles ne payent pas de taxes et ont beaucoup d’avantages. La maintenance est payée par l’État (et donc, indirectement, par les chrétiens). Dans la Haute Égypte, sur le Nil, il y a un lieu de prière islamique tous les 2 kilomètres. Il n’est pas acceptable qu’on encourage une religion au détriment d’une autre.
Vu que l’islamisation est un projet politique, elle doit être visible. Ça touche les vêtements aussi, et on introduit le voile pour les filles : dans les années 70, à Minya par exemple, beaucoup de filles allaient à l’école avec le voile. Une famille recevait une contribution en argent pour chaque fille portant le voile en famille (ce n’était pas seulement une pratique égyptienne). On encourageait la robe longue aussi, c’était pratique en hiver, moins en été. L’islamisation des habitudes a été vue aussi à la radio et la TV. Dans les années 80 a été introduite la réforme constitutionnelle de l’art. 2 : la Shari’a est la source principale de la législation égyptienne. Il y a eu un long débat sur les expressions à utiliser, mais dans tous les cas, de cette manière, chaque argument est confronté sur la base de la Shari’a. Par exemple : si je veux prohiber le voile, je ne peux pas, car il est permis par la Shari’a. Des auteurs ont dit que le voile, comme aujourd’hui, n’est pas imposé par le Coran… mais ce ne sont que des débats entre des « sages ». Chaque acte « islamique » peut être possible, et cette islamisation se renforce avec le soutien de l’Arabie Saoudite. Ce pays finance aussi dans des autre pays des activités islamiques, avec la construction de mosquées, et des centres islamiques. Je me rappelle qu’en novembre, à Copenhague, le Ministre des Affaires Etrangères a refusé de construire deux mosquées financées par des millions d’euros indirectement par l’Arabie Saoudite. Le Ministre a déclaré publiquement que « tant que l’Arabie Saoudite ne fera pas construire, à côté des mosquées, des temples bouddhistes et autres lieux de culte, nous interdirons la construction de mosquées financée par l’Arabie Saoudite ». Cela n’a pas eu un fort écho en Europe. Il est très difficile de bien appliquer le principe de réciprocité : je ne peux pas dire « on interdit les églises au Maroc ou en Algérie, donc nous interdisons les mosquées en Italie, parce qu’un fidèle italien n’a rien à faire avec l’Algérie, n’est-ce pas ? » Au contraire, le Ministre a été précis : tous les financements religieux venant de l’Arabie seront interdits tant qu’elle ne concédera pas l’ouverture religieuse.
Asyut, une ville à 350km du Caire, où il y a une concentration de chrétiens très élevée, subit une islamisation plus forte dans le but de combattre les chrétiens. C’est comme cela dans des régions déterminées, dans des quartiers du Caire, où la discrimination est plus forte. Tout dépend aussi du gouverneur, et des relations entre l’église et le pouvoir dans chaque lieu. Mais les chrétiens veulent une norme, ils ne veulent pas affronter des exceptions ni vivre selon l’humeur d’un administrateur.
GL : Comment commentez-vous la croissance du consensus envers les Frères Musulmans ? Leurs succès électoral a été fort, même si les élections ont été entachées d’irrégularités . Peuvent-ils être vus comme un groupe porte-parole d’une partie – plus ou moins grande – de la population, ou sont-ils presque seulement des extrémistes ? Est-il possible qu’un futur changement les mène au pouvoir, à la tête du pays ?
PS : Les Frères Musulmans trouvent un consensus relativement large dans la population parce qu’ils ont appris depuis longtemps à offrir des services sociaux (médicaux, soutien pendant le ramadan), comme faisaient les chrétiens. Pendant le ramadan s’est diffusée l’habitude d’offrir le diner de rupture du ramadan, quotidiennement et pour tous. C’est une idée juste qui a donné au Frères Musulmans un fort soutien. En plus, ils se présentent en opposition au gouvernement comme ceux qui appliquent réellement la Shari’a, la seule voie pour un musulman (parce qu’établie par Dieu, etc.). Ils parlent toujours du Coran, cela leur donne un soutien très fort de la part du peuple. Les Frères Musulmans sont officiellement interdits en Egypte, mais ils étaient en tous les cas dans le dernier gouvernement (20% au parlement sans être un parti reconnu). Des membres des Frères s’introduisent dans les différents partis d’opposition existants. Ils sont élus comme individus, et étaient 88 sur 440. Dans la dernière phase [avant la chute de Moubarak], le gouvernement était en train de faire des lois pour réduire les chances de gagner des Frères Musulmans, mais ils sont dans tous les cas présent partout. Leur force est de dire que le gouvernement ne suit pas la tradition islamique. L’argument de l’« islamicité » du gouvernement est fort : le peuple est très religieux (le taux d’analphabétisme est de 40%) et suit beaucoup ces arguments. La religion est partout, même si les politiciens ne le veulent pas. Les Frères Musulmans ne sont « ni noirs, ni blancs », ils ont des aspects positifs et des aspects négatifs, comme l’extrémisme religieux. Ils imposent la religion comme ils la pensent.
Le peuple identifie facilement la Shari’a avec le Coran, mais c’est une erreur grossière puisque la Shari’a a été établie deux siècles après le Coran. Pour le peuple et pour les intellectuels formés de cette manière, les Frères Musulman ont un grand succès. Les Frères Musulmans se sont introduits dans beaucoup de professions, beaucoup de juges et d’avocats sont fondamentalistes. Cela donne un poids particulier à tout le système social. Les syndicats importants sont pleins de Frères Musulmans.
GL : Comment voyez-vous l’islamisation progressive de l’État, avec une référence particulière à comment les institutions et le système juridique vont s’adapter de plus en plus à l’Islam et à la Shari’a ? Je pense, par ex., à comment est gérée l’apostasie et ses conséquences juridiques. Pensez-vous que nous sommes devant une politique d’ostracisme contre la communauté copte?
PS : L’islamisation avance dans tout le monde islamique. Nous le voyons en Pakistan, Afghanistan, Iran, Arabie Saoudite, Algérie, Nigeria, etc. L’islamisation du monde arabe avance dans les pays laïques comme la Tunisie, la Syrie ou la Turquie. C’est une onde qui trouve ses racines dans les années 70, en Indonésie aussi. C’est très évident, là-bas aussi, dans le pays islamique le plus ouvert, nous sommes devant un pays islamisé. Devant la croissance de l’islamisme fondamentaliste, les gouvernements ne savent pas comme procéder. On pense à des solutions radicale (« coupons la tête du serpent »), on a fait ça en Syrie (Assad), en Iraq (Saddam), en Turquie (des origines, avec Ataturk), souvent avec des régimes autoritaires. Nasser avait l’autorité absolue et envoyait chaque Frère Musulman en prison. Récemment, au contraire, on est allé vers les compromis. La majorité des pays fait ça. Le risque est que chaque année ces mouvements gagnent un peu plus de terrain, ils gagnent sur un point et ils en préparent un autre. Quand le gouvernement n’est pas fort, il fait des concessions, de plus en plus. Ben Ali interdisait ces tendances, mais dans les faits il y avait des concessions. A Tunis, à l’université, j’ai vu des filles avec le voile, qui en théorie était interdit. Des professeurs disaient que beaucoup feignaient de ne pas voir qu’il y avait des filles avec le voile. Ce n’est pas simple d’aller contre cette tendance, à moins d’utiliser la dictature. En Egypte, par exemple, il y a des microphones partout, actifs dès 5h du matin, même si la prière à l’aube est interdite. Le gouvernement n’ose pas bloquer ça, il ne peut pas risquer un mouvement massif. Ils bloquent la rue, comme s’est passé à Milan. Bloquer, par ex., la rue est interdit, au Caire les autos et les piétons doivent trouver des autre solutions pour passer. Si on permet une petite violation, si on cède sur un petit point, on va céder sur un autre et un autre encore. La loi ne joue plus son rôle : elle n’est plus certaine. (C’est pareil pour l’Eglise, au cas où elle voudrait faire une procession sans autorisation).
GL : En général, pensez-vous que la période Moubarak a connu un accroissement des tensions interconfessionnelles ? Tout cela a-t-il été « téléguidé » par l’État ou d’autre groupes ou est-ce venu de la population ?
PS : Nous pouvons parler d’un double mouvement de détérioration. D’un coté, il y a une progression de l’islamisme dans tout le monde musulman : ici il faut voir les causes et les corriger, et d’un autre côté les régimes moins populaires doivent faire moins de concessions. Nasser pouvait imposer des règles écrites, il en avait le pouvoir. L’autorité naturelle acquise par Nasser pouvait lui faire affirmer « nous sommes un État laïque » : quand j’étais jeune, je voyais des grandes écritures dans la rue qui disaient « la religion à Dieu, la patrie à tous ». C’était exaltant, c’était le mot de la révolution, nous faisant sentir comme un seul peuple, qui nous faisait créer une nouvelle société qui comprenait Dieu, mais pas si Dieu venait à s’opposer aux idéaux nouveaux de la révolution. On proposait une convivialité positive. Comme tout le monde rappelle les événements du 1919, quand évêques et imams marchaient ensemble contre les anglais, et puis en 1922, en portant des drapeaux avec la croix et le croissant, avec l’Evangile et le Coran, on prenait conscience d’un ennemi commun. Aujourd’hui il n’y a plus cet esprit, le gouvernement n’est plus assez fort. Il y a d’une part la faiblesse du seul parti au gouvernement (qui veut seulement des avantages matériels) et d’autre part la force du mouvement islamiste, qui va envahir de tout le monde musulman. La question est « pourquoi y a-t-il un tel mouvement ? ». Là, j’ai l’impression que nous n’avons pas réfléchi suffisamment sur ce point. La faiblesse politique, militaire et culturelle du monde musulman mène à l’extrémisme : les États ne peuvent se faire respecter des islamistes. Il y a une motivation éthique contre l’occident, que nous ne connaissons pas : les islamistes ne voient pas nos droits d’égalité entre homme et femme, par ex. Ils voient seulement une société de prostituées et d’athéistes n’ayant pas de valeurs. Pour eux, les islamistes doivent diffuser la vraie religiosité de l’islam et ce qui en découle, dans le reste du monde. L’occident, aux yeux d’un islamiste, est la pire société, qui utilise sa grande puissance pour violer chaque loi religieuse. Ces idées sont enseignées aux jeunes de chaque génération, tous les moyens sont justifiés pour combattre la société occidentale. L’occident n’a pas encore compris que l’idéologie que ne peut pas être combattue seulement avec la force, mais défiée à sa racine en tant qu’idéologie. Mais cela nécessite beaucoup d’autocritique.
Moubarak et les autres chefs sont pris dans ce mouvement, contre lequel ils n’ont pas de projet à opposer : ils ont un projet islamique vu comme positif et faisable. Le voile est une étape. Dans cette vision, nous voyons que les choses religieuses tombent en premier lieu sur les femmes. Les actions des talibans – on pense à la dernière bombe lancée sur une école – ne sont pas la vraie violence : on interdit aux jeunes filles d’aller à l’école pour maintenir les femmes dans l’ignorance et leur faire mieux accepter la suprématie de la religion. Il y a des stratégies communes : on diffuse l’idée de considérer comme impurs les chrétiens et les hébreux, même au Liban et en Jordanie.
GL : Quel futur, donc, pour l’Egypte et les Coptes ? Vous croyez qu’on peut arriver à l’objectif d’une société de citoyenneté et non fracturée sur les divisions religieuses ?
PS : Il y a eu nombreux actes de solidarité parmi musulmans et chrétiens, dans les derniers jours, mais je ne sais pas jusqu’à quel point ils sont partagés par tout le peuple. Il y a beaucoup de réactions différentes, en lisant les journaux. La réflexion sur la liberté religieuse, dans l’islam, n’a pas fait aucun progrès. Beaucoup d’intellectuels diront que ça est le fondement de la société, mais dans le cadre religieux les imams disent que la seule vraie religion est l’Islam et qu’il est correct de l’imposer avec les « bonnes manières », mais aussi avec la pression. La question est là : jusqu’à quel point on peut imposer ce « bien supérieur » ? Est-ce légitime, est-ce moral ? Vous qui cherchez la moralisation de la société, jusqu’à quel point pouvez-vous arriver ? Nous devons montrer la liaison qu’il y a, la liberté religieuse ce n’est pas « un bien », c’est LE BIEN, le fondement des autres libertés et des autres points moraux. Si j’ai compris ce point profond, qui permet à chacun de choisir quelque chose d’incorrect aussi, je ne vais pas à l’encontre de la liberté des autres citoyens. Jusqu’à quel point la loi peut interdire une chose moralement considérée comme péché ? Exemple : quand l’islam punit l’homosexualité (avec une peine de prison ou de mort), je pourrais être d’accord que l’homosexualité n’est pas le « bien » – c’est à dire que selon la religion cela s’appelle un péché – mais je ne suis pas d’accord quand ça devient punissable. Le champ juridique n’est pas le camp moral. En même temps, je ne peux pas punir un non croyant ou un adultère. Je peux dire : « cette chose ruine la société ». La société peut dire « je ne veux avoir rien à faire avec celui ou celle qui se comporte de cette manière », mais elle doit s’arrêter ici.
(...) Pour moi, le Coran fait toutes ces discriminations entre homme et femme, croyants et non croyants, même si les musulmans disent le contraire. Un peu comme en Inde, avec les castes. Si je reconnais ça, sans l’interpréter, je dis « c’était la société de l’époque », le Coran a interprété/adapté de telles choses sans les abolir. Quand la loi donne à l’homme la chance d’avoir plusieurs femmes mais non le contraire, même si on a des explications génétiques, ça n’a pas de sens.(...) Il faut avoir des principes valides pour l’humanité, non valides seulement pour une ethnie ou une religion.


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