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Front républicain, cordon sanitaire et diabolisation

Publié le 22 mars 2011 par Variae

Ces derniers jours, on a un peu l’impression de voir se dérouler un scénario écrit d’avance et supputé depuis longtemps : un FN qui progresse et confirme en partie ses sondages flatteurs, une UMP qui s’enfonce et perd la tête (à tous les sens du terme), une gauche poussive qui ne profite qu’en partie de la situation. Il faudra analyser précisément ces données et notamment la sociologie et la géographie du vote FN et de l’abstention. En attendant, des questions bien plus pratiques sont ouvertes et en premier lieu celle de l’attitude à avoir, en cas – de moins en moins rare – de présence du FN au second tour dans un duel. La tradition du cordon sanitaire entre le FN et les autres partis (pas d’alliance), et de son corollaire le front républicain (appel à voter pour le parti en lice contre le FN), est aujourd’hui clairement attaquée ou mise en doute. C’est le cas, très officiellement, par Nicolas Sarkozy et Jean-François Copé avec leur « ni, ni », mais même à gauche, chez des responsables et chez les militants/sympathisants. Quelques arguments reviennent régulièrement pour défendre ce revirement. Premièrement, on explique que l’idée même d’un front républicain (et d’un cordon sanitaire) signifierait que le FN est en dehors de la République ; soit c’est vrai et alors il faut l’interdire ; soit c’est faux, et alors il convient de le traiter comme tout parti, sans crier au fascisme à tous bouts de champ. Deuxièmement, l’appel au front républicain n’aurait de sens, dans tous les cas, que si la République était vraiment en danger ; elle le serait sur un deuxième tour de présidentielle, mais pas sur une cantonale. Troisièmement, il serait malhonnête (et pour le coup antirépublicain) de priver par des montages artificiels 15 à 20% des électeurs français d’une représentation dans les assemblées et collectivités territoriales. Quatrièmement enfin, les opérations de ce type seraient contre-productives car donnant raison au FN et à ses imprécations contre une « UMPS » des tous pourris.

 

Front républicain, cordon sanitaire et diabolisation

Reprenons par le début. Il y a une ambivalence sur le terme républicain. Au sens faible, il s’applique à toute formation respectant les règles de la république et le « jeu des élections ». Au sens fort et moins formel, il désigne un parti défendant fermement la République et ses principes. On peut très bien respecter le premier réquisit et pas le second : jusqu’à sa très récente amorce de mue sous l’impulsion de Marine Le Pen, il n’y avait aucune ambiguïté sur l’usage par le Front de thématiques contraires aux principes fondateurs de la République (xénophobie, antisémitisme, racisme, anti-étatisme forcené, etc.). Il y a donc une certaine exagération à expliquer que le « front républicain » n’aurait de sens que dans un cas de danger réel et immédiat pour l’existence même de la République ; sans qu’il aille jusqu’à faire défiler des milices armées dans les rues, on peut considérer qu’un parti politique travailler à saper les principes républicains le plus légalement du monde, et dans ce cas on ne voit pas pourquoi il faudrait interdire à ceux qui les défendent, par-delà leurs divergences, de s’unir pour lui faire barrage.

S’ensuit une question sur la nature actuelle du Front National. Beaucoup font remarquer (et je l’ai fait précocement sur ce blog) que les prises de position de Marine Le Pen traduisent ou amorcent un changement de cap qui disqualifie les amalgames faciles servis, avec une efficacité variable et discutable, jusqu’à présent. Parmi eux l’équation « FN = fascistes », également entendue, à gauche, à l’égard de Nicolas Sarkozy. Non seulement ce genre d’accusation contribue dangereusement à banaliser et diluer une accusation aussi grave que celle fascisme, mais elle ne prend plus, et donne le sentiment que l’on cherche à se débarrasser, sans y répondre, des questions posées par le FN (sur la laïcité, sur l’immigration, etc.). Elle prend d’autant moins que Marine Le Pen a assez clairement rompu, verbalement du moins, avec certains des stigmates les plus saillants de son père, comme l’antisémitisme. Mais dédiabolisation n’est pas banalisation. Cesser d’utiliser la reductio ad Hitlerum comme argument universel contre le FN est une chose ; devancer son mouvement (ou apparence de mouvement) et accélérer sa banalisation en est une autre. C’est en ce sens que l’invitation précoce sur Radio J était une absurdité, tout comme les exhortations à traiter le FN comme n’importe quel parti « pour mieux le combattre » font preuve d’une naïveté certaine. Que le FN ne soit pas le Parti nazi ne veut pas dire qu’il est un parti parmi d’autres. Il ne suffit pas que Marine Le Pen refuse d’être dite d’extrême-droite, et condamne une fois ou deux le négationnisme pour qu’elle ait rompu avec tout ce que représentait son père ; on attend encore qu’elle fasse le ménage dans son parti des éléments les plus extrémistes, qu’elle clarifie ses liens avec des formations d’extrême-droite européennes, ou encore qu’elle prenne clairement position sur le racisme. On attend également qu’elle dévoile son projet réel pour la présidentielle. On notera que l’existence même d’un « cabinet secret » d’ouverture est la preuve de la résistance du vieil appareil à un recentrage réel. Il n’y a donc aucune raison, dans l’immédiat, de faire le cadeau au Front d’une introduction avec tous les égards dans la grande famille républicaine ; ce serait inverser la charge de la preuve, et céder à la confusion politique ambiante. Une hirondelle ne fait pas le printemps. Il y a un équilibre à trouver, en répondant précisément aux sujets abordés par le FN sans les balayer d’un revers de main « progressiste » et parmi eux – oui – l’immigration, la sécurité, le protectionnisme, l’Islam, l’identité nationale.

La question a évidemment été posée, réciproquement, de la nature de l’UMP. Peut-on faire un front républicain avec un parti qui se serait autant déporté sur sa droite que le FN sur sa « gauche » ? Ce déplacement était voulu par Nicolas Sarkozy en 2007 pour absorber l’électorat FN, il est aujourd’hui utilisé par Marine Le Pen pour normaliser le FN et reprendre des électeurs à l’UMP. Le dérapage d’Hortefeux, le discours de Grenoble, la sortie de Brunel sur les réfugiés à jeter à la mer viennent effectivement jeter le trouble. Mais dans la pratique, les faits sont plus nuancés. D’abord, depuis 2007, aucun dirigeant de l’UMP n’a jamais levé le tabou de l’alliance avec le FN, le fameux cordon sanitaire. Ensuite, le début de fronde chez les responsables de droite contre le refus d’appeler clairement au front républicain, et contre le débat sur l’Islam, montre bien que l’appareil de l’UMP reste globalement rétif à un rapprochement, thématique et partidaire, avec le FN. Même Nicolas Sarkozy a toujours pris grand soin de présenter ses sorties les plus droitières comme un moyen de combattre le Front, ce qui est un affichage fort instructif. Le front républicain n’implique pas une adhésion à ce que dit ou fait l’UMP, mais un calcul du « moins pire ». Il met en outre la majorité présidentielle devant ses responsabilités, et à cet égard le débat qui la traverse depuis dimanche apparaît comme une salutaire piqûre de rappel pour une formation qui dérivait depuis des mois dans des eaux de plus en plus troubles.

Restent posées les questions de la privation de représentation des électeurs frontistes, et de « l’UMPS ». Pour la première, il ne faut pas confondre manœuvres d’empêchement et accords politiques. Augmenter sans cesse le score-plancher à atteindre pour accéder au second tour des élections, refuser la proportionnelle aux législatives, tripatouiller les circonscriptions sont des méthodes à ranger dans la première catégorie et sont effectivement condamnables. En revanche, je ne vois pas ce qui devrait interdire à des partis libres de s’unir comme ils l’entendent en appelant à voter les uns pour les autres ; à eux de gérer ces accords en toute responsabilité, aux électeurs, ensuite, de prendre les leurs. Nous expliquera-t-on bientôt qu’il faudrait, par courtoisie démocrate et respect des électeurs, laisser volontairement des sièges au FN ? C’est faire preuve là encore de beaucoup de naïveté, sans compter que personne, étrangement, n’a les mêmes égards pour l’extrême-gauche par exemple. Quant à la réception de l’accusation « d’UMPS », elle est encore bien curieuse. Il est assez étonnant de voir les responsables politiques intégrer cette pique frontiste, au point de vouloir chercher à tout prix à l’éviter. Les Français ne sont pas sectaires au point d’être incapables de comprendre que des partis peuvent s’entendre par-delà leurs divergences, sur des objectifs précis et délimités dans le temps. La vraie interrogation porte sur l’identité politique des forces en présence. Peut-être les projets du PS et de l’UMP sont-ils trop proches ou indiscernables ; mais alors c’est un problème qui dépasse largement celui du front républicain. Des partis clairs avec eux-mêmes ne devraient éprouver aucun malaise à s’allier ponctuellement pour défendre un fonds de valeurs communes.

Je ne pense pas, à la lumière de ces quelques réflexions, que l’option d’un abandon du front républicain, ou pire du « cordon sanitaire » électoral, soit réellement défendable. Elle témoigne surtout d’une grande fébrilité et d’une sorte de mauvaise conscience, teintée de fascination-répulsion pour le FN. Le vrai enjeu est de reprendre pied, sans tabou, sur les sujets laissés à l’extrême-droite, et de reparler aux Français qui lui ont été abandonnés. Ne pas assumer le front républicain, dans une pulsion suicidaire, ouvrir les bras au FN (ou simplement lui laisser le champ libre) ne règlerait rien et ne ferait qu’accélérer un processus de décomposition politique dont on ne voit que trop combien il est déjà avancé.

Romain Pigenel


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