On aurait pu croire que l'accident nucléaire de Fukushima aurait a minima favorisé un accord européen sur le contrôle de nos propres installations atomiques. Pour l'instant, il n'en est rien. Les dirigeants européens, qui se retrouvent à Bruxelles pour un sommet dès jeudi soir, se disputent sur les éventuelles mesures de sécurité à prendre. L'agenda est aussi chargé par l'actualité libyenne, ou la probable faillite portugaise. Les prétextes de diversion ne manquent pas, surtout pour la Sarkofrance peu encline à discuter de ses 58 réacteurs.
Le danger nucléaire
Au Japon, la situation ne s'améliore pas. Mercredi, la consommation d'eau du robinet était prohibée pour les nourrissons de Tokyo. Uune nouvelle fumée noire s'était échappée du réacteur 3. Ce dernier avait déjà explosé et son coeur avait été exposé à l'air libre. Trois employés de la centrale ont été hospitalisés pour irradiation. Jeudi, un bateau russe revenant du Japon a été relevé avec 3 fois la radioactivité normale. A Hong Kong, on a même trouvé des traces de particules radioactives sur des légumes en provenance du Japon.
L'Union européenne compte 143 réacteurs, dont 40% en France. 30% de l'électricité européenne provient des centrales. La transition, si transition il y a, sera longue. Depuis l'accident de Fukushima, conséquence du tremblement de terre et du tsunami, les réactions européennes ont été quasiment unanimes, ... sauf en France. Partout on s'inquiète de sécurité, sauf en France où on l'on espère sauver ce qui peut être sauver de la filière nationale
Les autorités françaises doivent en effet lutter sur un double front, national et international. Nicolas Sarkozy n'a cessé de pratiqué une diplomatie atomique. Mais dans certains Etats, comme la Turquie, regrette désormais les projets de centrales, initiés en 2008.
La singularité française
Les enjeux du débat, provoqué par la catastrophe de Fukushima, sont aisément compréhensibles : (1) quel niveau de risque atomique accepte-t-on ? Quel est le niveau de risque N'y-a-t-il pas des alternatives ?
La réaction des autorités françaises se singularisa, malheureusement. On tarda d'abord à reconnaître l'ampleur de la catastrophe japonaise, avant de louer coûte que coûte les avantages de la filière française. Sous la pression, François Fillon concéda, le 15 mars, un audit des installations, dont les premières conclusions ne seront livrées qu'en fin d'année. Jeudi 24 mars, il a enfin transmis sa lettre de mission au président de l'Autorité de Sûreté Nucléaire : « je vous demande de réaliser une étude de la sûreté des installations nucléaires, en priorité les centrales nucléaires, au regard de l’accident en cours dans la centrale de Fukushima. Cet audit portera sur cinq points: les risques d’inondation, de séisme, de perte des alimentations électriques et de perte du refroidissement ainsi que la gestion opérationnelle des situations accidentelles. Il est complémentaire aux démarches de sûreté mises en œuvre par les exploitants nucléaires sous votre contrôle. Je souhaite que vous examiniez, installation par installation, si des améliorations sont nécessaires à la lumière des enseignements qui seront tirés de l’accident de Fukushima.»
Cet « audit » est une opération de communication. L'ASN et la filière dans son ensemble réévaluent en permanence les dispositifs de sécurité à l'aune des évènements récents. Dimanche dernier, Eric Besson rassurait : « ma conviction profonde c'est que nous allons à l'avenir (...) protéger davantage nos systèmes de secours.» Notez la précision. C'est sa conviction profonde, pas une décision officielle du gouvernement dont il est pourtant le ministre.
Depuis le 11 mars dernier, date du tsunami, Nicolas Sarkozy refusa également tout débat sur le nucléaire. Jeudi 24 mars, il a répété son crédo devant des représentants des Académies des sciences des pays des G8 et G20 qu'il recevait à l'Elysée. Il a ainsi « rappelé les choix faits par la France en faveur de l'énergie nucléaire, tant pour assurer son indépendance énergétique que pour participer à l'effort planétaire de lutte contre les émissions de gaz à effets de serre.»
Cette attitude caricaturale et irresponsable tranche avec celle de nos voisins. Angela Merkel a immédiatement décidé de geler pour trois mois le programme de rénovation de ces centrales. Elle a aussi ordonné la fermeture dans son pays de sept de ses plus vieilles centrales nucléaires. Ce jeudi, elle a considéré que l'accident nucléaire de Fukushima « est un événement qui bouleverse le monde et va le changer. Et c'est pourquoi je pense qu'il est juste d'observer une pause de réflexion. (...) Plus tôt on sortira de l'énergie nucléaire, mieux ce sera.» Les partisans du nucléaire précisent que la chancelière tente de redresser son image à quelques jours d'élections locales. Mais la chancelière a aussi taclé son grand ami Nicolas Sarkozy. « Discuter de façon rationnelle, cela signifie qu'il ne sert à rien de fermer des centrales nucléaires si c'est pour importer de l'énergie nucléaire de chez nos voisins.» Et paf ! Voici un débouché commercial qui se ferme à la filière française.
L'impasse européenne ?
Lundi dernier, les ministres européens en charge de l'énergie s'étaient réunis pour discuter des « récentes évolutions internationales et leur impact sur les marchés mondiaux de l'énergie et sur l'UE ». Eric Besson, représentant la France, s'est pointé avec quelques certitudes : pas question de discuter de l'âge des centrales - la France serait mal placée -. Inutile également d'évaluer la résistance des centrales aux chutes d'avion et aux actes terroristes. Mieux vaut discuter de normes de sécurité « exigeantes », comme celles que respecteraient ces fameux EPR, hors de prix et pas encore en fonctionnement. Pas sûr que ce débat soit si aisé : « en l’espace de dix ans, le nombre d'incidents mineurs et d'anomalies sur les installations nucléaires françaises a doublé » avait révélé Europe1 la semaine dernière.
Le ministre était confiant, ou têtu : « Nous sommes en pointe sur le nucléaire, en pointe en matière de transparence (...) et nous sommes en pointe en matière de sûreté.» Au final, Eric Besson a précisé que la France n'accepterait de « stress tests » que sur quatre critères : risque d'inondation, risque sismique, risque lié à la perte de refroidissement et mesures limitant les conséquences d'un accident.
Les ministres ont bien conclu qu'il faudrait garantir des normes européennes plus élevées en matière de sécurité nucléaire. On attendait le passage du nuage radioactif japonais cette semaine en Europe. Mais le commissaire européen à l'Énergie, Günther Öttinger, en est sorti pessimiste : « Il y a peu de questions en Europe sur lesquelles les gouvernements et les parlements nationaux ont une divergence de vues aussi importante que sur l'énergie nucléaire.» C'est encourageant ! Öttinger a été critiqué par les autorités françaises pour son « alarmisme.» Les Allemands voulaient des tests obligatoires. La France a refusé. La Lituanie a expliqué qu'il fallait associer les pays limitrophes de l'Europe, comme la Russie. Bref, l'impasse est totale.
En arrivant à Bruxelles, le Monarque Nicolas avait d'autres chats à fouetter que la crise nucléaire. Depuis presque 7 jours, il était chef de guerre et chef du monde. En Libye, ses Rafales venaient d'abattre un avion libyen. Et le Portugal vient de perdre son gouvernement. Le premier ministre Socrates a démissionné, et les spéculateurs ... spéculent contre la dette portugaise.
A Bruxelles, Sarkozy a bien d'autres sujets que le sort de quelques centrales nucléaires vieillissantes. Le sujet nucléaire, lui, engage pourtant des générations entières.