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Une brève histoire du sérigraphisme…

Publié le 28 mars 2011 par Dezzig @Zigouiman

Le sĂŠrigraphisme par Dezzig

Le sĂŠrigraphisme (sĂŠrigraphie + graphisme) est un vĂŠritable mode d’expression artistique et le cercle de ses crĂŠateurs s’agrandit de jour en jours. Il faut dire que lassĂŠ par le mercantisme des « tireurs » de reproductions numĂŠriques, il y avait un manque : retrouver de vĂŠritables Ĺ“uvres originales pas trop chères qui renouent avec la qualitĂŠ de l’impression artisanale. Leur style graphique atypique, minimaliste voire rĂŠtro (ou vintage) a fait le reste, il est maintenant très Ă  la mode.

Affiche Inglourious Basterds - Canal+ 2010
Affiche Dexter en sĂŠrigraphie par Ty Mattsons

Même si les affiches de film de Canal+ ne sont pas imprimÊes en sÊrigraphie contrairement à celles de la sÊrie Dexter illustrÊes par Ty Mattson’s, il y a comme un esprit de famille : couleurs en applat, simplicitÊ et composition.

Aux USA et ailleurs, la plupart des graphistes pratiquent la sĂŠrigraphie sur un coin de table, une vraie religion ! Des ĂŠcoles comme la CalArts Ă  Los Angeles ont participĂŠ Ă  redonner tout son prestige Ă  la sĂŠrigraphie artistique. En France, les ĂŠcoles de design et Beaux Arts commencent tout juste Ă  prendre conscience que la sĂŠrigraphie est un outil d’expression idĂŠal pour les graphistes : un juste retour des choses après des annĂŠes d’oubli.

La renaissance de la sĂŠrigraphie
MĂŞme si traditionnellement, la sĂŠrigraphie est en grande partie un processus industriel (affiches et panneaux publicitaires), dans les annĂŠes 1960 avec Andy Warhol et Robert Indiana, Roy Lichtenstein puis Keith Harring dans les annĂŠes 80, elle est enfin devenu le moyen reconnu pour produire des impressions de haute qualitĂŠ artistique issue du Popart. Mais si pour vous, la sĂŠrigraphie, c’est juste Andy Warhol et ses soupes Campbell et autres Marylin, alors oubliez tout : la sĂŠrigraphie contemporaine a une nouvelle histoire et elle commence Ă  New York et en Californie !

Les affiches de Seymour Chwast

« A New York dans les annĂŠes 60, Seymour Chwast a inventĂŠ une forme d’expression libre et contestataire : un trait sec, de l’humour, des couleurs vives en applat (propre aux contraintes de la sĂŠrigraphie). “La relation entre Seymour Chwast, ce grand-père des graphistes contemporains, et les graphistes californiens actuels m’apparut surprenante. Une espèce d’invention ludique permanente se joue entre les dĂŠtails qui foisonnent et, finalement, une extrĂŞme simplicitĂŠ graphique. Le Push Pin Studio [qu'il a crÊÊ‌] ĂŠtait considĂŠrĂŠ Ă  l’ĂŠpoque comme les Beatles du graphisme : leur style ĂŠtait copiĂŠ dans le monde entier. » (Michel Bouvet dans Earthquake & aftershocks Presse universitaire de Rennes).

Paul Rand
Vertigo par Saul Bass - 1958

Originaires Êgalement de New York : Paul Rand est le premier graphiste superstar de la publicitÊ amÊricaine, Saul Bass (il a rÊsidÊ à Los Angeles jusqu’en 1996) est archi(re)connu pour ses affiches imprimÊes en milliers d’exemplaires pour l’industrie cinÊmatographique. Les affiches originales sÊrigraphiÊes et numÊrotÊes (entre 100 et 400 ex chacune) ont ÊtÊ rÊalisÊes en quantitÊs très limitÊes sous la direction personnelle de Saul Bass (jusqu’en 1984). Elles constituent la version dÊfinitive voulue par l’artiste : c’est dire leur valeur ! Vertigo, West Side Story, The man with the golden arm, Anatomy of a murder‌ Il a inventÊ un style intemporel et vertigineux de simplicitÊ : un maÎtre absolu !

« Qu’est-ce qui fait la diffĂŠrence entre le graphisme europĂŠen et le graphisme amĂŠricain, le graphisme californien en particulier ? La typographie occupe une place en AmĂŠrique qu’elle n’occupe absolument pas en Europe [..]“ (Michel Bouvet dans Earthquake & aftershocks Presse universitaire de Rennes).

Emigre - Fact Twenty Two
Emigre - Bob Aufuldish

Les graphistes californiens (Reverb, Jeff Keedy, Stripe, Gail Swanlund, David Carson) ont la surf attitude ! Leur expression graphique possède une respiration, une technicitÊ et une aisance de la composition particulière. ForcÊment : la cÊlèbre revue Emigre prend ses vague au pied de la Silicon Valley au cœur de la rÊvolution numÊrique et informatique des annÊes 80. D’abord à grand renfort de photocopieuse (!) puis l’utilisation du Macintosh leur donne enfin les moyens d’explorer l’image pour renouveler le design typographique.

Affiche sĂŠrigraphiĂŠe par Jon Sueda - 2002

Affiche sĂŠrigraphiĂŠe par Jon Sueda – 2002

MalgrĂŠ tout, les amĂŠricains ont cette culture, cette envie de produire pour le papier et la sĂŠrigraphie : un usage ludique des techniques d’impression qui donne une fraĂŽcheur, une douce fantaisie dans les mises en page et la disposition des textes. Cette façon de triturer la typo, de jouer avec l’espace de la feuille en crĂŠant des rythmes, des cassures… Cette façon aussi de tourner le dos au tout numĂŠrique Ă  grande renfort de bidouillage et de collages, d’Êcriture manuelle : tout cela le typographe Barry Deck ou le graphiste Jon Sueda (d’origine hawaĂŻenne) l’incarnent aujourd’hui Ă  merveille… L’ordinateur est un outil qui ne remplace pas le crayon : la contre-culture et le mĂŠtissage sont en marche !

Jim Philips - photo Matt Barnes via Hypebeast

Le Surf skate & rock art “monstrueux� du graphiste Jim Philips connu aussi pour ses “screaming hand�. Photo : Matt Barnes via Hypebeast.

Le Californa dreamin’ des annÊes 80 puis 90, c’est surtout la culture skate : un style issu du surf, potache, rock, colorÊ et dÊcalÊ. Elle rÊussit à ressusciter la pratique de la sÊrigraphie (sur planche et sur autocollant), la contrainte d’un nombre limitÊ de couleurs imposant le choix de l’illustration : mÊlange de style cartoon, hip-hop, graff, art urbain, pochoir, mangas et messages contestataires. Toute l’iconographie des fameuses têtes de mort (qu’on voit partout aujourd’hui) vient de l’influence du punk/hard rock.

Rock the Bells par Estria Miyashiro - 2007
Buff Monster

Estria Miyashiro & Buff Monster

De la “World industriesâ€� de Steve Rocco (skategraphiste) aux sĂŠrigraphies actuelles de Buff Monster : l’illustration contemporaine, la bande dessinĂŠe, la musique et plus gĂŠnĂŠralement le street-art, se rencontrent et se confrontent aujourd’hui dans un mĂŠlange savant de “violenceâ€� urbaine et de culture populaire

Vintage, vous avez dit vintage ?

Coca Cola version soviet par Diego Lauton
&M’s Red revolution’Ad Candydate 2008 par BBDO Australia

Quand la publicitÊ s’enpart de l’affiche de la propagande (Coca Cola version soviet par Diego Lauton et M&M’s Red revolution’Ad Candydate 2008 par BBDO Australia).

En union soviĂŠtique, LĂŠnine s’est rĂŠvĂŠlĂŠ en pionnier redoutable de la propagande moderne. L’utilisation massive de la sĂŠrigraphie pendant la seconde guerre mondiale a permis aux USA de produire Ă  elle-seule environ 2500 modèles d’affiches pour 20 millions d’affiches en un peu plus de 2 ans, rien que ça ! Pendant ce temps, la sĂŠrigraphie a suivi l’Êvolution de la publicitĂŠ en faisant ĂŠmerger de grand affichistes (Savignac, Morvan, Villemot, Pintori, Key , etc.). Cette production commerciale des annĂŠes 50/60 quelque fois drĂ´le et inventive, souvent dĂŠsuète ou caricaturale a donnĂŠ dĂŠfinitivement Ă  la sĂŠrigraphie le style vintage qu’on retrouve aujourd’hui.

Knave, Verona Walls & Thieve par Adam Hill
Gary Taxali

Adam Hill, designer graphique vivant à Cape Town, compose des affiches aux style très rÊtro sous le nom de Velcro suit. Gary Taxali, un pur cartooniste canadien au ton subversif, a lancÊ en 2005 son premier ArtToy : le Singe Toy, qui comprenait une Êdition spÊciale avec une sÊrigraphie commandÊ par Le Whitney Museum of American Art à New York. Encrage faussement vieilli et abÎmÊ, couleurs passÊes : impossible de faire plus vintage !

Obama par Shepard Fairey
Obbey par Shepard Fairey

Obbey Giant, un gÊant de la propaganda

Si la rĂŠclame est un jeu pour stimuler et renouveler le dĂŠsir, la propagande est une arme bien plus puissante encore ! Depuis 1996, elle prend vie dans les mains de Shepard Fairey sous forme d’affiches de catcheur « hypnotiques » qui interpellent le chaland d’un slogan unique : « OBEY ». Pour dĂŠjouer la suprĂŠmatie des marques (en imposant la sienne), il a crĂŠĂŠ sur le site obeygiant.com une ĂŠtonnante collection de visuels très ĂŠlaborĂŠs sous forme de stickers, pochoirs et affiches sĂŠrigraphiĂŠes.

Le design typographique

A to Z - sĂŠrigraphie 2 couls - par Bless - 2009

SĂŠrigraphie A to Z par Bless – 2009


La typo, c’est suisse ? MĂŞme si la cĂŠlèbre helvetica doit beaucoup au mouvement Bauhaus Ă  partir de 1919, l’utilisation d’ÊlĂŠments typographiques en noir et blanc, son style raffinĂŠ et strict prĂŠdominant dans le graphisme annĂŠes 70 continue d’exercer son influence aujourd’hui. La typographie est devenue une expression graphique Ă  part.

Public Theatre NYC par Paul Scher - 1999
Public Theatre NYC par Paul Scher - 1994

Paula Scher en rejoignant Pentagram à partir de 1991, n’a cessÊ de juxtaposer photographie, lettres et couleurs vives très pop. Ses affiches et ses compositions typographiques puissantes et sophistiquÊes sont une rÊfÊrence.

Jessica Hishe
Parra

On trouve chez Marian Bantjes ou dans la nouvelle gÊnÊration avec Jessica Hishe un revival passionnÊ pour la sÊrigraphie et l’Êcriture caligraphiÊe. Seul ou mÊlangÊ à l’illustration chez Nate Williams ou Parra, on voit partout ce goÝt immodÊrÊ pour la typographie dessinÊe à la main.

L’affiche c’est rock !


Bob Dylan par Milton Glaser - 1967
Smashins Pupkinks par Joshua Smith

Bob Dylan par Milton Glaser et Smashins Pupkinks par Joshua Smith

Un exemple cĂŠlèbre est l’affiche de Milton Glaser 1967 “Bob Dylan insert albumâ€�. ou celle de Woodstock. Après la vague d’affiches psychĂŠdĂŠliques dans les annĂŠes 1960/1970, les T-shirt sont longtemps restĂŠ le dernier support de la sĂŠrigraphie, puis les affiches de rockband sont revenus au goĂťt du jour après les annĂŠes 90. La fin du rock cotĂŠ grunge y est pour beaucoup : le jeans trouĂŠ est parfait pour pratiquer la sĂŠrigraphie au fond du garage !

Monsters of folk par DKNG Studios,
Affiche Flatstock 2010 par Idiot or genius

Monsters of folk par DKNG Studios, Flatstock 2010 par Gregg Blackstock

FlatStock est Le festival (aux USA) qui regroupe depuis 2002 des centaines de « poster-makers » autour de la mĂŞme passion pour la sĂŠrigraphie et la musique. Lorsque Clay Hayes a crĂŠĂŠ GigPosters en 2001, il ne se doutait pas qu’il allait alors relancer la mode des affiches de concerts et crĂŠer un vĂŠritable engouement autour du sĂŠrigraphisme : le Rock Paper Show ĂŠtait nĂŠ ! (GigPoster compte aujourd’hui plus de 8000 artistes designers, c’est phĂŠnomĂŠnal‌).

sĂŠrigraphies de Jason Munn

Jason Munn, le summum du minimalisme ?

Ce graphiste qui a fondÊ le studio Small Stakes en 2003 s’est fait remarquer sans faire de bruit, pourtant il a crÊÊ quelque 150 affiches de concert ! Tous ces posters sont sÊrigraphiÊs à la main, leur ÊlÊgance et leur simplicitÊ apparente ne cesse d’Êtonner et dÊtonne dans l’univers des rock posters.

La french touch’


Si en France, l’utilisation de la sĂŠrigraphie dans l’art est plus rĂŠcente (Ă  partir de 1950), les artistes et lithographes Toulouse-Lautrec ou Alphonse Mucha ont ĂŠlevĂŠ dès le dĂŠbut du XXe siècle, le statut de l’affiche Ă  l’Êtat de beaux-arts : l’art nouveau. Puis de nouveaux mouvements d’art moderne apparaissent : cubisme, futurisme, Dada, constructivisme (Bauhaus), expressionnisme. Ils auront une profonde influence sur la conception graphique de l’Art DĂŠco. Comme Cassandre (son affiche imposante du paquebot “Normandieâ€� est une icĂ´ne de l’ère industrielle), Raymond Savignac fait parti des grands affichistes français. Ses crĂŠations vont Ă  l’essentiel. Simples, colorĂŠes et drĂ´les, elles sont universelles et font sourire jusqu’au dĂŠbut des annĂŠes 80 avec ses publicitĂŠs pour CitroĂŤn.

Mai 1968
Haunch of venison par M/M - 2006

Presque 40 ans sĂŠparent ces deux affiches sĂŠrigraphiĂŠes. Les graphistes ont complètement renouvelĂŠ l’utilisation de la technique jusqu’à obtenir des visuels comme “Haunch of venisonâ€� par M/M (2006 – SĂŠrigraphie 3 couleurs : noir + phosphorescente + or).

Si la sĂŠrigraphie d’art prend enfin son essor, le renouveau de l’art populaire issu de mai 1968 n’y est pas pour rien. A l’Êpoque ce procĂŠdĂŠ d’impression ĂŠtait rudimentaire et bon marchĂŠ. C’est donc tout naturellement que les ĂŠtudiants des Beaux Arts l’ont utilisĂŠ pour diffuser leur propagande dans un style très reconnaissable et mĂŞme dĂŠtournĂŠ aujourd’hui par la publicitĂŠ ! De nombreux graphistes français comme le collectif M/M ou Philippe Apeloig on su inventer un fourre-tout gĂŠnial oĂš l’on dĂŠcouvre une recherche permanente de l’ĂŠquilibre entre les contraintes ĂŠditoriales et une certaine dose de dĂŠlire typographique et autres gribouillages ĂŠnervĂŠs‌ Tout cela est ÂŤ anarchiquement Âť structurĂŠ, dĂŠcomposĂŠ en sĂŠquences par des lignes, des aplats d’encre, des blocs typographiĂŠs qui s’adaptent parfaitement au ÂŤ bricolage Âť sĂŠrigraphique.

Geneviève Gauckler

On comprend bien que la sÊrigraphie est particulièrement adaptÊ aux illustrations (la bande dessinÊe l’utilise largement) mais aussi au graphisme. Comme dans le travail de Genièviève Gauckler, les grandes masses de couleurs donnent une certaine simplicitÊ, le dessin au trait associÊ à un travail typographique forme le style typique des affiches faites pour la sÊrigraphie.

Nohara par Koa - 2006
Sunday at home par McBess

D’autres graphistes comme Koa ou Grems s’approprient un style colorĂŠ peuplĂŠ de “monstersâ€�. Les coulures, les boursouflures du trait, les couleurs vives : une violence esthĂŠtique directement inspirĂŠe de la culture urbaine amĂŠricaine et manga. Mc Bess au contraire dĂŠcline celle-ci Ă  l’encre noire dans des illustrations potache (rĂŠalisĂŠes finement) au style très “rock’n rollâ€�.

Mais elles sont oĂš ces affiches ?
Depuis quelques annĂŠes, la Galerie Anatome de Paris a crĂŠĂŠ un vĂŠritable conservatoire du graphisme pour redonner toute sa vitalitĂŠ Ă  l’affiche, il ĂŠtait temps ! Un peu partout des boutiques indĂŠpendantes comme le Lazzy Dog deviennent des lieux de dĂŠcouverte de la “scèneâ€� graphique française autour du street art ou de l’illustration comme Ă  la Galerie Issue. Le festival de graphisme d’Echirolles et le Festival de l’affiche de Chaumont sont autant de point de rencontre pour la crĂŠation internationale.

Finalement c’est quoi une affiche ?
Une affiche c’est juste du texte et de l’image. Une affiche a donc un message : il peut ĂŞtre contestataire, politique ou juste annoncer un ĂŠvĂŠnement : expo, spectacle, concert, etc. Qu’importe ! Aujourd’hui on parle mĂŞme de “lecture lenteâ€� pour certaines affiches complexes, voire peu lisibles , parce que ce ne sont pas des affiches Ă  but commercial mais juste prĂŠtexte Ă  expĂŠrimentation et jeu de construction graphique ĂŠlaborĂŠ. C’est l’association du texte et de l’image qui crĂŠe le graphisme, le style, le ton, l’univers. Et dans une affiche, il y a toujours une idĂŠe, un jeu de mot, un dĂŠtournement visuel, un code. La richesse d’expression y est incroyable ! Parce que pour un graphiste, ĂŞtre affichĂŠ, c’est exposer ses idĂŠes et s’exposer.

Š StĂŠphane Constant – mars 2011


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