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Réflexions sur la tradition

Publié le 28 mars 2011 par Ivan

tradition-modernite-budo.pngLa tradition des arts martiaux est souvent écornée par toutes les transformations que lui font subir les inventions successives de l'occident. Mais l'extrême-orient est également responsable de cette évolution. Posons quelques questions sur ce qu'est la notion de tradition avant de juger trop vite.

S'il est bien un domaine où l'on peut facilement imaginer ce qu'est la tradition c'est bien la fabrication des lames de sabre. On imagine très vite un vieil homme, détenteur d'un savoir faire ancestral, en train de forger sa lame avec passion, attention et détermintation. Seul devant son fourneau, il forge peu à peu l'acier qui deviendra un jour une lame, non sans s'arrêter de temps en temps pour remercier les esprits et les divinités pour leur aide dans la transformation de son matériau. Cette image est belle. C'est celle que nous présente le célèbre reportage d'Arte sur le "Katana, le sabre du samouraï" (42 min) que je vous invite à visionner tranquillement si vous ne l'avez pas déjà vu.

Voici le même thème de reportage, réalisé cette fois par la chaîne Al Jazeera, sur le dernier maître de forge de lames traditionnelles à Taïwan. Si le ton est le même, les images également bien léchées, en revanche un certain nombre d'images peuvent heurter notre notion de tradition. Je vous laisse découvrir ce reportage (4 min) en anglais.

Le visionnage de ces images fait toujours comme un choc et on peut facilement dire qu'on est très loin de la tradition. Ici les images du marteau mécanique qui pilonne le métal, puis celles de la machine qui l'aide à aiguiser sa lame sont assez terribles. On est bien loin de l'artisan que l'on s'imagine. Mais en est-on si loin ? Il faut tout d'abord reconsidérer le contexte. D'un côté le Japon, farouche gardien des traditions millénaires. Et pourtant les maîtres forgerons ne sont qu'une poignée. Le reste des lames se fabriquent mécaniquement, il ne faut pas se leurrer. D'un autre côté Taïwan, avec son esprit pragmatique à la chinoise. Si des outils efficaces permettent de remplacer commodément des ouvriers pourquoi s'embêter ? Le risque est bien sûr de voir disparaître la tradition si personne ne forme des apprentis, mais bon. Chacun ses choix. Alors qui a raison ?

Culturellement il faut savoir que l'extrâme orient n'a pas pour habitude de conserver coûte que coûte une tradition. Encore faut-il distinguer des degrés dans cette affirmation. Par exemple en Asie, les monuments n'ont pas vocation à durer éternellement. Les Japonais ou les Chinois n'ont jamais considérer comme un problème le fait de détruire un palais, un pavillon d'or ou un temple extraordinaire, afin de le refaire. A l'identique ? C'est un casse-tête que l'UNESCO doit affronter tous les ans dans son travail de préservation du patrimoine de l'humanité. Les monuments, le matériel, dans l'esprit asiatique, n'ont pas vocation de durer. Alors détruire pour reconstruire, oui. Mais si le bêton est plus pratique que le bois pourquoi s'en priver ? Du moment que l'apparence extérieure reste la même, où serait le problème ? Notre esprit occidental est bien loin de cette manière de penser et cela nous heurte profondément. Les Japonais à la différence des Chinois, sont davantage crispés sur la préservation du savoir-faire, c'est à dire de l'immatériel. Mais là encore, il faut bien comprendre que c'est une poignée de gardiens de la tradition qui perpétuent les gestes et les connaissances. Le reste du Japon s'est détourné depuis longtemps de méthodes traditionnelles pour devenir un pays industriel et commerçant de premier ordre.

Qu'est-ce que la tradition alors ? Dans l'humanité, l'acte de transmettre et l'acte d'inventer sont deux choses différentes et complémentaires à la fois. Ne pas transmettre une nouvelle invention serait un comble par exemple. Nous sommes la seule espèce animale à pouvoir faire cela (ou presque, voire les grands singes). C'est pourquoi la tradition ne se borne pas à la seule conservation des éléments d'une culture sous vitrine, d'une image, d'un savoir-faire ou d'un objet. Une invention non transmise devrait être réinventée sans cesse, ce qui ne nous permettrait pas d'avancer technologiquement par exemple. Bref, on en serait encore à l'âge de pierre.

La capacité passive d'une tradition à répéter des gestes peut choisir de rester telle quelle ou s'accompagner de l'évolution des techniques et de l'intégration des outils récents. Ses inventions d'ailleurs ne sont pas uniquement cristallisées autour d'un équipement matériel. Les idées, les morales, les croyances font aussi partie des évolutions. Si on imagine les tout premiers forgerons de l'antiquité qui découvraient les métaux, ou encore ceux du moyen-âge qui produisaient de façon quasi-intensive des armes métalliques pour fournir les armées combattantes, on peut douter que les prières étaient absolument nécessaires au bon accomplissement d'une lame. En revanche, l'imprégnation du shintoïsme (ou du taoïsme) dans la société est venu s'ajouter à la tradition mécanique pour offrir une nouvelle dimension à l'art de la forge. Il en va de même pour toutes les traditions.

La question est donc où commence et où finit une tradition ? Quelles sont ses limites ? Qu'est-ce qui la définit ? Mais surtout quels sont nos préjugés, nos idéaux et nos images d'épinal sur la tradition martiale ? Enfin, qu'est-on prêt à accepter comme évolution culturelle, intellectuelle, morale, religieuse, technique au sein d'une tradition ? Vaste débat. 


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