Le départ global est toujours banal pour apprendre à lire

Ces articles de Luc Cédelle montrent un festival de méthode d’apprentissage de la lecture avec une méthode a départ global et pas du tout syllabique, tout en prétendant être dans une voie moyenne :

Le profil de la maîtresse est celui d’une professionnelle aguerrie. Elle n’est pas du tout une marginale : son travail est en phase avec celui de ses collègues.Sa « ligne » pédagogique est moyenne, ni Freinet, ni « syllabiste », elle enseigne plutôt dans l’esprit des programmes de 2002… sans se placer pour autant en infraction par rapport à ceux de 2008. Elle est membre du syndicat majoritaire.

Ce lundi 3 septembre, depuis quelques minutes, l’année vient de commencer dans la classe de cours préparatoire (CP)

« Vous avez tous envie d’apprendre à lire, reprend la maîtresse. Pourtant, je suis sûre que vous savez tous déjà un petit peu lire… ». « Qu’est-ce qu’il y a au tableau ? C’est un dessin, que j’ai fait ? »
Au tableau, la date est suivie d’une phrase calligraphiée sur quatre lignes : Bonjour ! Bienvenue au CP. Je m’appelle Karine Dubuisson. Je suis la maîtresse du CP. Une grande règle en main, l’enseignante tâte le terrain. « Ce premier mot, il commence par quoi ? ». Plusieurs élèves, répondent « B » tout en se déhanchant, bras tendu vers le plafond.

« La lettre B, elle fait quel bruit, déjà ? C’est pas pareil, le nom des lettres et leur son… » Aïchatou, Maïmouna, Faouzia se succèdent au tableau, viennent montrer des mots ou des lettres. Karine, qui enseigne depuis vingt ans, dont huit en CP et cinq dans cette école, ne bloque pas les élèves lorsqu’ils devinent plutôt qu’ils ne lisent.

Au contraire, m’expliquera-t-elle après la classe, l’objectif de cette première séance, est de rassurer, « de montrer que lire, c’est possible »
Karine a distribué un « 4 pages » photocopié, intitulé – Mehmet le lit d’un trait – « Mon cahier de rentrée en CP ».
Il y a aussi un petit exercice. « Regardez bien tous : c’est très difficile ce que je vous demande, il faut regarder toutes les lettres, hein, j’ai mis plein de pièges ».
Il s’agit d’entourer le mot « Bonjour », caché au milieu de « Boujour », « Banjour » et « Donjour ». Lassana, totalement absent, roule sa trousse par terre. La maîtresse s’en aperçoit et, d’un geste, vient le calmer. Elle a mis aussi un peu de musique, du Bach, et parle en chuchotant.

Dans le CP banal-normal, bien qu’en ZEP profonde, un mois de classe, déjà.
Avant d’entrer dans le vif de l’exercice, il faut commencer par écrire son prénom sur la feuille. Jerry écrit le sien en majuscules d’imprimerie, et trace la courbe du J à l’envers, en remontant.

« Je vais maintenant vous donner un mot qui est sur les affiches, vous allez le trouver et le recopier sur l’ardoise en attaché. » Parmi les illustrations qui, comme dans toute classe, ornent les murs, elle désigne « l’affiche n°5 », dont la légende est cette phrase : « Oh, comme elle est jolie ! Comme elle te va bien ! dit la tortue à son ami. »

Au mot « a-mi ! », presque tous écrivent rapidement la réponse. Sauf Jerry (c’est le nom du petit) qui écrit « am… » puis stoppe, puis écrit un « l », puis efface… « Ni-che ! » Presque tous encore, sauf Jerry, qui fait passer le temps.

Nous sommes toujours dans la même matinée d’une classe de CP quelque part en ZEP et en région parisienne, un 2 octobre, après un mois d’école seulement. Si vous avez manqué les deux épisodes précédents, le premier est ici et le second est là .

Laurence, l’assistante pédagogique, accompagne au fond de la classe Jerry, le gamin qui vient de fondre en larmes quand la maîtresse s’est adressée à lui avec douceur.

Au fond, Jerry, en compagnie de l’élève qui était déjà là, est pris en charge par l’autre maîtresse.

Celle-ci leur fait travailler, à l’ardoise, des syllabes, comme « mu-re ». Jerry, qui a séché ses larmes, a l’air à l’aise mais l’autre rame dur. Il n’arrive pas à déchiffrer « ri ».