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Christophe Barbier : « Le rejet de la classe politique construit un abstentionnisme structurel »

Publié le 29 mars 2011 par Délis

 

Dimanche soir, la majorité présidentielle a vécu une nouvelle défaite, laquelle a pemris un renforcement du PS et une perçée du FN. A un an du scrutin présidentiel et alors que les citoyens n’auront plus l’occasion de se rendre aux urnes, Délits d’Opinion a sollicité Christophe Barbier, directeur de la rédaction de l’Express, pour dresser un état des lieux des forces en présence.

Délits d’Opinion : Les élections cantonales nous avait habitués à des taux de participation relativement faibles. Pourtant, on aurait pu penser que le débat de l’entre deux tours allait remobiliser les électeurs. Comme interprétez-vous l’abstention du second tour ?

Christophe Barbier : L’abstention s’est située à un niveau équivalent entre les deux tours de ces élections cantonales, on n’a donc pas assisté à un retour aux urnes massif. Cependant, on a évité le scénario de 2008 quand celle-ci avait progressé entre les deux tours (de 35% à 44%). Pourtant, si le niveau d’abstention est proche, elle a sans doute changé de nature, provoquant du même coup un chassé-croisé entre électeurs. Sur ce point, il faudra consulter et analyser les listes électorales pour identifier les principaux mouvements.

Il sera, à ce titre, particulièrement intéressant d’analyser la structure de l’électorat du Front National afin de voir si les progrès enregistrés dimanche 27 mars l’ont été du fait de nouveaux renforts venus de l’abstention ou d’électeurs des autres partis. De la même façon, il sera nécessaire de préciser le parcours de vote de certains électeurs de droite dans des cantons où le duel opposait le FN à la Gauche.

Lors de ce scrutin, l’abstention a été de trois sortes. Tout d’abord il y a eu l’abstention résultante du type de scrutin. La bataille pour le canton ne mobilise plus et les Français ont témoigné ici de l’impératif de réforme électorale telle que la droite l’a prévu pour 2014. De plus, cette abstention a également démontré la bouderie d’une partie du corps électoral, en particulier les personnes âgées de droite, comme on avait pu le vérifier lors des élections régionales de 2010. Enfin, il y a l’abstention de rejet. Rejet de la politique et de l’ensemble des dirigeants dont l’action ne semble plus en mesure de changer la vie. Ce type d’abstention, hautement problématique, avait déjà pu se vérifier lors des différents scrutins intermédiaires depuis 2007 et contribue à construire un abstentionnisme structurel, véritable fléau de notre démocratie.

Délits d’Opinion : Une nouvelle fois la Gauche emporte une élection partielle. Ce succès laisse cependant un goût d’inachevé tant le PS espérait une vague rose. Qu’a-t-il manqué au PS ?

Christophe Barbier : Ce qui a manqué c’est l’enthousiasme. Cependant, les Français ont soutenu la Gauche et ont confirmé l’emprise territoriale du PS ce qui, malgré les commentaires qui nuancent cette victoire, constitue un véritable succès politique. Alors que le parti envisageait la conquête de près de 70 cantons il y a un mois, il doit se contenter d’une victoire moins triomphante, handicapé qu’il a été par le manque d’envie de gauche confessé par les Français.

Tout cela s’explique relativement facilement. Premièrement, le parti a un chef mais pas de candidat comme cela a été rappelé par les présidentiables socialistes eux-mêmes. Deuxièmement, le parti ne dispose pas d’un programme et ce n’est pas celui - très consensuel - du 5 avril qui viendra apporter des réponses aux Français. Troisièmement, il n’a toujours pas été redéfini ce qu’est le socialisme français, son idéologie et la direction qu’il entend prendre. Enfin, le parti de la rue de Solferino ne donne pas envie, en particulier à cet électorat populaire aujourd’hui éclaté sur tout l’échiquier politique.

Délits d’Opinion : Le FN existe enfin politiquement après être parvenu à faire élire quelques conseillers généraux. Le nombre très modeste d’élus du parti de Marine Le Pen est-il un coup d’arrêt ou au contraire le signe que le parti poursuit sa progression ?

Christophe Barbier : Il faut garder en tête que l’évolution amorcée par Marine Le Pen n’en est qu’à ses prémices ; le phénomène n’ayant que quelques mois d’ancienneté.  Si la fille du fondateur a su lisser son discours et son image, elle évolue toujours dans un parti aux traditions fortes et où la lourdeur semble être un vrai handicap, en particulier lorsqu’il s’agit d’octroyer un peu d’indépendance aux candidats. Ainsi, le vote protestataire a fonctionné à plein mais ces électeurs ne sont pas tous favorables à la mise en place d’une vraie politique frontiste. Le vote FN n’a pas été, cette fois encore, un véritable vote d’adhésion.

L’UMP a opéré des vrais changements dans son approche du FN mais plus que jamais, il semble que le destin du FN ne soit pas conditionné par sa propre stratégie mais par celle du candidat Sarkozy qui, selon ses choix politiques, pourra conforter le poids du FN ou au contraire le siphonner comme en 2007. Pour franchir ce cap décisif qui ferait du FN un potentiel parti de gouvernement, Marine le Pen doit espérer une défaite de la droite en 2012 et l’explosion de l’UMP après une guerre interne rue de la Boétie. A l’inverse, si la séquence électorale du printemps 2012 est bien négociée par l’UMP, alors Marine Le Pen reprendra le flambeau de la protestation qu’avait porté son père, redevenant une force politique plus marginale.

Délits d’Opinion : Après ce nouveau revers local, comment l’UMP peut-il se mettre sur le droit chemin à douze mois de l’élection présidentielle ?

Christophe Barbier : Malgré cette défaite, le candidat Sarkozy conserve toutes ses chances car le PS n’a pas encore déterminé qui sera son candidat. Cette situation a pour conséquence de cristalliser les critiques sur sa personne alors qu’au PS, aucun candidat potentiel ne doit supporter les remarques faites contre le parti.

Pour remonter la pente, Nicolas Sarkozy doit avant tout renouer les fils du dialogue avec son électorat de base, celui-là même qui a fait le choix du FN ou de l’abstention ce dimanche. Pour ce faire, il devra donc continuer à labourer le terrain politique sur les thèmes de l’insécurité et l’immigration pour mieux séduire la frange droite de son électorat.

Pour reconquérir l’électorat âgé, il devra également s’appuyer sur la réforme fiscale dont l’orientation pourrait lui attirer de nouveaux soutiens face à la Gauche. Enfin, pour reconquérir l’électorat populaire il lui faudra trouver une solution « miracle » au problème de l’emploi en France ou tout du moins, apporter des garanties pour qu’en 2012 celui-ci puisse trouver une solution.

Délits d’Opinion : Enfin, au-delà de la bataille entre ces trois partis politiques pour le second tour, pensez-vous que 2012 permettra aux plus petites formations de jouer un rôle susceptible d’influencer les résultats ?

Christophe Barbier : Le contexte ne condamne pas les petits partis, au contraire. Les Verts ont d’ailleurs réalisé des progrès importants lors de ce scrutin ce qui conforte l’existence d’une vraie sensibilité retrouvée pour ce parti qui avait su rassembler lors des européennes et des régionales. L’accident de Fukushima devrait ainsi leur apporter un sujet de campagne tout trouvé même si la volonté du nouveau parti EELV est bien de dépasser la seule thématique environnementale.  Reste à voir si ce sera Nicolas Hulot ou Eva Joly qui portera le parti ; l’un et l’autre incarnant des familles et une vision différente de l’écologie politique.

A l’extrême gauche, le PC n’est pas mort et la possibilité de voir le PS retenir un candidat de centre gauche plus « libéral » pourrait laisser un espace important pour un leader comme Mélenchon.

Enfin, le centre semble avoir disparu même si, contrairement à ce que Claude Guéant affirmait, de nombreux élus divers droite ne sont pas des UMP « déguisés » mais bien des centristes. La bataille pour le centre qui s’était engagée en début d’année a eu pour conséquence un éclatement important. Eclatement que le contexte actuel et la faiblesse du candidat Sarkozy dans les sondages ne devrait pas résoudre. Que cela soit du côté de Morin, de Bayrou ou de Borloo, le centre n’a pas saisi une thématique forte et éprouve de grandes difficultés à identifier le sujet qui pourrait lui attirer des suffrages comme ce fut le cas avec l’Europe lors d’élection précédentes. Dans l’hypothèse d’une candidature DSK, Bayrou ne pourra émerger, le président du FMI devant dévorer l’espace au centre. Si c’est Martine Aubry qui incarne la candidature socialiste, alors le scénario de 2007 pourrait se reproduire pour le centre. Néanmoins l’avenir du centre semble s’assombrir.

Propos recueillis par Raphaël Leclerc


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