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Déficit de la balance commerciale ? Et alors ?

Publié le 31 mars 2011 par Copeau @Contrepoints

Alors voilà, il parait que notre balance commerciale est déficitaire ce qui signifie que nous importons plus que nous n’exportons et que c’est grave puisque ça veut dire que nous nous appauvrissons. Nous sommes en 2011, ça fait donc 166 ans que Frédéric Bastiat, dans ses Sophismes économiques, a expliqué en termes clairs et intelligibles par tous que cette idée est d’une stupidité sans nom mais l’actualité politique récente suggère qu’il est loin d’être inutile d’en remettre une couche.

Déficit de la balance commerciale ? Et alors ?
Paul et Jacques sont – comme leurs prénoms l’indiquent – français et vivent tous les deux à Strasbourg. Paul, pour des raisons qui lui appartiennent, souhaite acheter un demi souverain d’or tandis que Jacques – coup de chance ! – en a un qu’il souhaite vendre. Ils se rencontrent, se mettent d’accord sur un prix et échangent le demi souverain contre €130. Qui a perdu dans cet échange ? Paul voulait sa pièce d’or et l’a eu tandis que Jacques voulait la vendre – c’est-à-dire l’échanger contre des euros – et a pu le faire. Comme nous sommes fondés à penser que €130 en billet de banque ne valent pas plus que €130 en or, aucun de nos deux protagonistes ne s’est appauvri. Par ailleurs, si la transaction a eu lieu, c’est bien que Paul et Jacques estimaient l’un et l’autre que les termes de l’échange étaient mutuellement satisfaisants, n’est-ce pas ? Bref, aucun des deux ne s’est appauvri et les deux sont satisfaits de cette opération. Imaginez maintenant que Paul n’ait pas acheté sa pièce d’or à Jacques mais à Franz, un allemand qui vit à Kehl, de l’autre coté de la frontière. En quoi cela change-t-il les données du problème ? Paul et Franz ont échangé des euros contre de l’or, aucun des deux ne s’est appauvri et chacun d’eux a de bonnes raisons d’être satisfait de cet échange. Seulement voilà : cette opération, considérée du point de vue de la comptabilité nationale, correspond à une importation nette de €130. Autrement dit, l’échange entre Paul et Franz creuse le déficit de notre balance commerciale avec l’Allemagne de €130. Question : pensez-vous que la France se soit appauvrie dans cette opération ?

Mais, me direz-vous, l’or est un métal précieux ; c’est un cas particulier qui n’est valable que pour les métaux précieux (ou les machins précieux d’une manière générale). D’accord, imaginons que Paul cherche un manteau pour l’offrir à son épouse et que Franz tienne justement une boutique de vêtements à Kehl. Considérez-vous que €130 d’or ont plus de valeur qu’un manteau « made in Germany » à €130 ? Si c’est le cas, j’ai une mauvaise nouvelle : vous êtes atteint du « syndrome de l’oncle Picsou » qui fait que vous attribuez à l’argent une valeur supérieure à ce qu’il vous permet d’acquérir. Par exemple, quand vous êtes malade – même gravement – vous préférez garder votre argent plutôt que de vous soigner parce qu’échanger quelques euros contre un médicament ou une visite chez le médecin risque de vous « appauvrir ». De la même manière, vous préféreriez mourir de faim avec votre or plutôt que d’acheter quelque chose à manger… Bref, c’est grave : consultez. Dans le cas qui nous occupe, l’épouse de Paul ne s’habillant pas avec des pièces d’or et les hivers de Strasbourg pouvant s’avérer relativement rigoureux, Paul n’a que des bonnes raisons d’estimer que €130 de manteau valent bien €130 en billets de banque qui valent eux ni plus ni moins que €130 d’or.

Bref, un déficit de la balance commerciale, ça n’est rien d’autre que de l’argent qui sort et des biens et services d’une valeur équivalente qui rentrent. Vous trouverez certainement un jour un génie de l’économie domestique pour vous expliquer que c’est « comme un ménage ; on ne peut pas indéfiniment dépenser plus qu’on ne gagne ». C’est exact, sauf que ce que gagne Paul ce n’est pas ce qu’il exporte mais le salaire qu’il se verse (il est boulanger) et qu’il dépense beaucoup plus d’argent en France qu’en Allemagne sans avoir jamais réussi à convaincre son banquier de ne pas débiter son compte. Ce que nos génies de l’économie domestique n’ont manifestement pas bien compris, c’est qu’une économie crée de la richesse même si elle fonctionne en parfaite autarcie pour la même raison que le PIB planétaire augmente année après année sans que nous ayons encore exporté la moindre queue de cerise vers Mars.

Quand on y réfléchit un peu, cette idée selon laquelle « un pays qui importe plus qu’il n’exporte s’appauvrit » est une source inépuisable d’idioties. Imaginez que Jean achète pour €100 de vins français pour les vendre €250 dans son magasin de New York – soit €150 de marge par produit – et utilise le produit de ses ventes pour acheter du matériel informatique qu’il réimporte en France pour le vendre €300. Résumé des opérations : Jean génère €200 de valeur ajoutée avec lesquels il va payer des salaires, des factures de téléphone, des impôts et se verser un dividende ou réinvestir dans le développement de son affaire. Que nous dit la comptabilité nationale ? Eh bien Jean a exporté pour €100 et réimporté pour €250 : ça fait donc un déficit commercial de €150. Quelqu’un peut-il m’expliquer où est le problème ?

Toujours pas convaincu ? Pas de problème : j’ai un plan radical pour résorber le déficit de notre balance commerciale. Voici les grandes lignes : je propose que le gouvernement français me verse chaque année une somme équivalente au montant du déficit de notre balance commerciale en contrepartie de quoi je m’engage à aller vivre en Chine et à dépenser jusqu’au dernier centime la subvention du gouvernement en produits français. Vous le voyez bien, cette manœuvre subtile et originale permettra d’augmenter nos exportations vers la Chine d’un montant égal à notre déficit – c’est-à-dire que nous comblerions ledit déficit – et qu’il n’en coutera rien au pays puisque chaque centime versé par le gouvernement sera remboursé par la richesse créée par mes importations. Vous noterez aussi que je n’en tire aucun enrichissement personnel puisque – encore une fois – je m’engage à dépenser tout, jusqu’au dernier centime.

Je vous laisse réfléchir là-dessus.


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