L’âne et l’éléphant, par French Fry
Deux candidats ont raccroché les gants. Le premier désistement n’est pas une surprise : le républicain Rudy Giuliani avait tout misé sur la Floride et l’avait annoncé. Il perd, il sort. C’est carré. Sa campagne n’avait jamais véritablement décollé et la Floride était un dernier tour « pour voir ». Il quitte la course en apportant tout son soutien à John McCain. Ce rapprochement ne doit pas étonner car les deux presque « indé » sont du même courant républicano-forte tête. Il fait de ce dernier, notre « vétéran », le leader de l’« anti-Mitt ». Car monsieur Romney, dit « Coco-belle gueule », semble en effet en agacer plus d’un dans le troupeau des éléphants : trop père, trop beau, trop riche, trop mormon.Le second retrait est plus étonnant : John Edwards semblait pouvoir durer encore un peu. Après l’annonce mercredi, le mystère reste entier quant à ses préférences. De la dame ou de Monsieur O, qui remportera les suffrages d’un candidat qui allait si bien à l’Américain moyen et qui savait parler aux plus modestes d’entre eux ? Car si Obama ressemble au candidat d’une certaine gauche (attention, les démocrates sont toujours « à la droite de la gauche » par rapport à nos appellations) dite « caviar », Madame H est elle aussi marquée par un parfum de pouvoir et de technocratie, malgré ses costumes mal coupés d’avocate et ses photos de jeunesse, avec lunettes et appareil dentaire, elle fait figure de « lady » pour le peuple, pas de passionnaria. Edward était le candidat des petits, des malheureux, d’une Amérique du quotidien, à qui les grands élans font peur et qui garde le nez sur ses déboires, timidement.
Ce mouvement inattendu nous invite à faire un point, tandis que les primaires américaines sont à un tournant avec l’abandon de la plupart des « petits » candidats, et avant le super mardi. Petit tour de piste médiatique :
Les « petits » démocrates méprisés : Il est reproché aux grands networks américains d’avoir oublié certains candidats, invités parcimonieusement dans les premiers débats et disparus avec l’eau du bain. Citons Mike Gravel et Denis Kucinich, côté démocrate, qui a été l’objet– charisme des deux leaders oblige- d’un écrémage à grande vitesse au profitdu sénateur de l’Illinois et la sénatrice de New York. Le jeu très incertain au sein du GOP ( « Grand Old Party », autre nom du parti républicain) que la coloration de l’actuel président attise, a mieux inspiré les médias : Mike Huckabee, ancien « petit » à qui on a bien tendu le micro (il faut dire qu’il aime ça), est devenu « grand », obtenant une investiture àforce de bagou… Même Tom Tancredo et Duncan Hunter, désormais oubliés, ont bénéficié d’un bon morceau de la couverture médiatique que les petits ânes ont tiré en vain pendant que Mister O et Lady H dormaient encore.
Le règne des sondages, une envie de spectacle : Les chaînes de télévision ont décidé de l’important et de l’accessoire, tissant le buzz d’une primaire à l’autre en déclarant que le vote de certains états allait tout déterminer pour d’autres, etc. L’échec des sondages du New Hampshire, qui donnaient Barack Obama vainqueur, est un parfait exemple de ce pilotage et de l’envie irrépressible de la presse de faire vite mousser les personnalités plutôt que de restituer l’exhaustivité des débats. Ces sondages avaient une forte chance de se révéler complètement faux, car plus de la moitié des électeurs de cet Etat n’est inscrite dans aucun parti et a même pour tradition de ne choisir son champion qu’au dernier moment.Mais les nuances embarrassent la titre de presse, qui se tirent la bourre. C’est un peu comme au cinéma : « Simplifiez moi ce script ! faites répéter deux vraies stars ! et mettez moi quelques bonnes cascades ! … ».
Des citoyens lassés : Les Américains – quele matraquage de sondages assomme- ont brouillé les pistes avec des votes radicalement différents en butinant différents pollens d’un caucus à une primaire et d’un état à l’autre. Ils ont ainsi donné une chance à chacun des quatre principaux républicains. Un sondage publié par CNN, il y une quinzaine de jours, montre que 94% des Américains se disent fatigués de lire des reportages portant sur le charisme et les filiations plutôt que sur les positions et idées des candidats. Vous me direz… : encore un sondage. Oui.
Des partis sous adré : Les premiers États à voter se sont battus pour anticiper leur élection afin de les positionner avant le Super Tuesday et ainsi attirer l’attention sur eux. L’envie frénétique d’être l’état « diapason » de la campagne a conduit plusieurs d’entre eux à déplacer des élections qui ont lieu traditionnellement en février ou mars. Seule la Caroline du Sud a conservé en partie ses dates : les démocrates n’ont pas suivi les républicains qui y ont avancé d’une semaine leurs primaires. La Floride et le Michigan au contraire ont été sanctionnés pour la décision des représentants démocrates d’anticiper les votes : cet été, ils ne pourront pas envoyer de délégués lors de la convention nationale qui délivrera le « ticket » aux ânes.
Bref, avec la complicité des élus et des partis, on assiste aux USA (comme ici et ailleurs…), a un problème de qualité du traitement de l’information et à une showmania, corollaire du rôle de plus en plus important que tiennent les médias. Signalons dans ce registre que le Gouverneur-acteur Arnold Schwarzenegger vient d’apporter officiellement son soutien-qui-tue à Mc Cain. Si Monsieur O perd cette fois, gageons qu’il retrouvera Terminator dans quatre ans pour un combat singulier.
Aux USA, en 2008, la politique est définitivement devenue un spectacle, un combat d’individus, charismes dos-à-dos. Cela n’appauvrit pas la qualité des compétiteurs, mais n’élève pas le débat. À ce jeu-là, n’en reste que quatre : La dame, le noir, le soldat et le millionnaire. Des « types » en somme. On voit que ceux qui n’avaient pas su donner un peu de chair à leur « personnage » sont obligés de quitter la scène.
See ya !