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Quand l’improbable devient possible

Publié le 31 mars 2011 par Hmoreigne

 Edgard Morin a raison : l’imprévisible est hautement probable. Les défenseurs du nucléaire “excusent” l’accident de Fukushima en avançant un défaut de conception. La centrale en cause n’aurait pas été conçue pour résister à un séisme de magnitude 8,9 et à un tsunami de 14 mètres. C’est justement parce que l’exceptionnel est imprévisible que la technologie nucléaire ne peut être considérée comme sûre. Parti pris.
L’enchainement des catastrophes qui a mené à l’accident nucléaire de Fukushima était hautement improbable, mais pas impossible. Prévoir l’imprévisible est un enjeu majeur pour nos sociétés interconnectées et totalement dépendantes de la technologie.

L’incertitude qui nous entoure mais que nous refusons de voir a été théorisée dans un livre : Le Cygne Noir. Son auteur, Nassim Nicholas Taleb part d’une métaphore. Parce que dans l’hémisphère nord, tous les cygnes sont blancs, les européens en avaient conclu que les cygnes noirs n’existaient pas. Jusqu’au jour où on en a découvert en Australie à la fin du 18ème siècle.

A partir de cet exemple, Nassim Nicholas Taleb, caractérise un cygne noir par trois éléments. La dissonance cognitive, le refus de croire ses yeux. Et enfin, outre les conséquences de l’événement, considérables et enfin dans le cas qui nous intéresse, la capacité de fournir après coup des explications qui laissent à penser que l’événement était prévisible. Selon cette théorie, nous construisons des raisonnements à partir d’informations incomplètes qui nous conduisent à des certitudes erronées.

Dans le cas de Fukushima, les signes annonciateurs de la catastrophe s’étalent désormais dans la presse. Mediapart a révélé qu’un sismologue avait mis en garde contre la sous-évaluation du risque, un peu comme ces financiers qui avaient annoncé la crise financière ou encore ces rapports d’agences de sécurité ignorés dans le cas du 11 septembre.

Le Monde de son côté a publié un document de Wikileaks selon lequel dès 2006 des diplomates américains pointaient très clairement les limites et les dangers de la filière nucléaire japonaise. Le rapport pointait les effets désastreux de la libéralisation du marché de l’Energie au Japon : baisse du niveau de sécurité au profit de la productivité, falsification de données, incidents dissimulés.

Puisque c’était prévisible, les défenseurs de l’atome avancent la parade dans un style « Ya qu’a » faussement rassurant. Ya qu’à augmenter la hauteur des murs de protection, ya qu’à relever le niveau de résistance par rapport aux séismes …

André-Claude Lacoste, président de l’Autorité française de sûreté nucléaire (ASN) , toujours dans les colonnes du Monde,  apporte pourtant un lourd bémol : “Je l’ai toujours dit : personne ne peut garantir qu’il n’y aura jamais un accident grave en France. Il convient de faire deux choses: essayer de réduire la probabilité que cela arrive, ainsi que les conséquences, si cela arrive. C’est toute la philosophie de la sûreté nucléaire”.

Le retour d’expérience préconisé par le dirigeant de l’ASN est sans doute nécessaire mais il ne saurait nous prévenir contre ce qui ne l’est pas. L’admettre c’est poser clairement la question du degré de risque que notre société est prête à accepter, le prix à payer pour un bonheur matériel immédiat. Carpe diem !

Et puis, quel retour d’expériences ? Fin connaisseur des risques majeurs, Patrick Lagadec, spécialiste de la gestion du risque, estime que nous sommes en panne d’analyse technique et que les conclusions de Three Miles Island et de Tchernobyl n’ont pas été tirées.

La leçon immédiate à retenir devrait être que la libéralisation pour des raisons dogmatiques du marché de l’énergie en Europe nous conduit au pire. Le retour d’EDF, exploitant des 58 centrales françaises dans le giron public serait une mesure de bon sens. L’entregent de son patron Henri Proglio devrait lui éviter ce genre de désagrément.

Sylvestre Huet, journaliste scientifique de Libération résume bien l’état d’esprit des nucléocrates lorsqu’il indique sur France Culture (Du grain à moudre) que  “le problème d’une centrale nucléaire ce n’est pas de garantir à 100% qu’il n’y aura pas d’incident au niveau du cœur mais de faire que si cela arrive il n’y ait aucune conséquence sanitaire pour les populations et travailleurs“. Un objectif possible à ses yeux à condition de ne pas avoir de fautes de conception qui consiste à sous-estimer un risque naturel qui peut impacter une centrale.

Une équation qui nous raméne au point de départ car elle a la grande faiblesse de reposer sur le postulat que nos scientifiques sont capables d’appréhender tous les scénarios.

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