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Le relevé des œuvres pariétales #1 : l’histoire

Publié le 31 mars 2011 par Fuzzyraptor

Le relevé « fonctionne comme une sorte de cartographie. Il sert à repérer les éléments présents sur la paroi (représentations, microreliefs, salissures modernes, écoulement de calcite…) et à établir les rapports qu’ils entretiennent entre eux » (1). Depuis le début du 20ème siècle, le relevé des œuvres pariétales est systématiquement effectué lors d’une étude de grotte ornée. Les relevés sont indispensables pour des grottes dont la durée d’étude in situ est limitée, ou l’accès impossible pour certains chercheurs (les archéologues non plongeurs dans le cas de la grotte Cosquer). Ces dernières années, « il y a eu une évolution plus que sensible dans le traitement technique et méthodologique des relevés, dans l’enregistrement des éléments graphiques et des éléments propres aux parois », note le préhistorien Patrick Paillet (2).

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Figures superposées du panneau 89 de la galerie C de la grotte de La Pasiega, au Mont Castillo près de Puente Viesgo (Cantabrie, Espagne). Relevé d’Henri Breuil, Hugo Obermaier et Hermilio Alcalde Del Rio, 1913). Source : Wikimédia Commons.

Dès la fin du 19ème siècle, les préhistoriens ont tenté de reproduire les œuvres pariétales afin de les étudier, comprendre leurs relations et celles qu’elles entretiennent avec leur support. Mais les difficultés sont nombreuses : « à quelques exceptions près, les peintures ont souffert des injures du temps et des hommes ; la roche s’est parfois effritée, des concrétions voilent les tracés… De nombreux paramètres viennent s’interposer entre l’œuvre et le regard » (3). De plus, à cette époque, « la photographie n’est pas d’un emploi courant ; coûteuse pour les publications, elle demeure peu pratique d’emploi dans le monde souterrain » (3). Les chercheurs ont eu de réelles difficultés pour reproduire et donc diffuser cet art. « Il fallut réfléchir à de nouvelles modalités de présentation, inventer de véritables techniques qui allaient permettre d’enregistrer les données et de les restituer au public » (3).

A leurs débuts, les préhistoriens décalquaient directement la figure sur la paroi. A l’époque, les calques étaient sensibles à l’humidité et peu transparents. Ils s’apparentaient au papier cristal de fleuriste, contrairement aux films plastiques actuels très fins de type polyane. Lorsque la roche ou la peinture sont trop fragiles, comme à Altamira, le chercheur effectuait un croquis à vue, en prenant des mesures.

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Reconstitution d’un panneau avec des bisons dans la grotte d’Altamira (Cantabrie, Espagne). Relevé d’Emile Cartailhac et Henri Breuil, 1906. Source : Wikimédia Commons

L’éclairage était très frustre (chandelle, lanterne puis lampes à carbure d’acétylène). Les crayons consistaient en une mine de graphite ou un crayon bleu gras. Des assistants aidaient le chercheur en tenant la lampe et soulevant le calque de temps en temps pour contrôler les tracés. « Les relevés étaient ensuite retraités en dessins réduits et mis en couleur devant l’original » (2). Enfin venait l’étape de mise au net des croquis lors de laquelle le préhistorien choisissait des papiers à fort grammage et de l’encre de Chine. L’abbé Breuil peut être considéré comme une référence en matière de relevés. « Il a développé sa technique de relevé dans des grottes du Périgord, à la Mouthe en particulier puis il a développé un travail remarquable dans Altamira, qui lui a mis le pied à l’étrier et lui a permis de consacrer toute sa vie à l’étude de l’art préhistorique » (2).

Breuil est à l’origine de conventions graphiques simples, toujours largement utilisées. Son travail « est admirable et très moderne mais un peu trop esthétique. Il a un peu trahi le style et la technique des magdaléniens en apportant sa propre vision « mentalement restaurée » de la fresque en faisant parfois abstraction de certaines figures parasites, de certaines superpositions, en gommant les effets des altérations naturelles sur le support, les dépôts de concrétions, les desquamations, les petites fissures » (2). L’intégration du support dans le relevé, ignoré jusqu’alors, a vu le jour avec l’abbé Lemozi, qui s’est consacré à l’étude des grottes de Pech-Merle et de Cougnac. Il a fait apparaître les volumes, les concrétions puis les caractéristiques structurelles de la roche, sa couleur, sa texture…

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Vue d’artiste d’un bison du plafond de la grotte d’Altamira (Cantabrie, Espagne). Source : Wikimédia Commons

Petit à petit, le relevé a physiquement pris de la distance avec le support. Le chercheur travaille sur une surface (calque, transparent, rhodoïd, plaque de plexiglas…) éloignée de la paroi. Mais comment reproduire l’irrégularité du support ? « Les grottes ne sont pas des galeries d’art avec des murs lisses et verticaux. Elles ont des reliefs, des creux, des bosses… Pour avoir le moins de déformations possible, on a construit des cadres, des systèmes de projection, des pinceaux lumineux pour pointer tel détail de la figure sur le calque… Ces techniques ont été développées par André Glory à Bara-Bahau (Dordogne), une grotte aux parois très fragiles en calcaire très altéré. Comme il est inconcevable d’appliquer quoi que ce soit sur la paroi, il a utilisé une grande plaque de plexiglas mise à distance et tenue par des assistants, où il pose des calques. Sa technique a été perfectionnée par Denis Vialou, Jean Clottes et Georges Sauvet qui a fait une étude complète de la grotte de Bédeilhac (Ariège) » (2).

Actuellement, les méthodes de relevés ont peu changé. Le chercheur commence par nettoyer la paroi avec beaucoup de précautions. Il enlève la poussière, les algues, les champignons et éventuels graffitis modernes. « Dans la grotte Margot, nous avons ôté les placages d’argile qui cachaient un rhinocéros gravé, à l’aide d’eau déminéralisée, afin de ne pas apporter de nouveaux déchets extérieurs. Une fois l’observation préliminaire achevée, les mesures effectuées, les représentations inventoriées et décrites précisément, le préhistorien les photographie et passe au relevé » (1).

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Une autre interprétation possible de l’art pariétal… Source : KayVee.INC, FlickR, licence CC

Mais les difficultés sont nombreuses : complexité des formes naturelles, manque des références géométriques habituelles, nécessité de lier le sol, la paroi et le plafond, nécessité du même ordre de précision pour relever la structure géologique et les peintures ou gravures. Faute d’outils adéquats, les relevés ont jusqu’ici été aléatoires. Les chercheurs se basaient sur les règles de la topographie souterraine, en s’orientant au théodolite et à la boussole. Les mesures de longueurs étaient tout aussi approximatives (double-décamètre ou nombre de pas). Quant au relevé, même avec l’utilisation de la photographie, omniprésente actuellement, les références spatiales étaient insuffisantes (4).

>> A suivre : les nouvelles techniques de relevés

Notes

  1. R. Pigeaud, Comment reconstituer la Préhistoire ? EDP Sciences
  2. Interviewé le 5 mai 2009 dans le cadre de mon mémoire de master
  3. G. Tosello, C. Fritz, Sur les chemins de la Préhistoire. L’abbé Breuil du Périgord à l’Afrique du Sud, éd. Somogy, 2006
  4. J. Brunet, J.Vouve (dir.), La conservation des grottes ornées, CNRS Editions, Juillet 1996

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