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Assad, un domino qui refuse de tomber

Publié le 02 avril 2011 par Jcharmelot

Le vent de contestation dans le monde arabe qui s’est levé en Tunisie, et s’est propagé à l’Egypte et à la Libye, a atteint la Syrie. Des manifestants ont bravé l’état d’urgence, en place depuis la prise du pouvoir par le parti Baas en 1963. Et la répression a fait des dizaines de morts, dans plusieurs villes du pays. Le président Bachar el Assad, dont le père Hafez avait pris le pouvoir en 1970, est intervenu pour apaiser la tension. Et il a accusé un complot étranger d’être à l’origine des troubles, mais il n’a pas annoncé l’ouverture attendue. Sans doute, les Syriens se débarrasseraient-ils du Baas, de la dynastie des Assad et de la police politique, s’ils pouvaient voter librement. Mais les conditions d’un soulèvement populaire en Syrie, et d’un changement de régime à Damas comme à Tunis ou au Caire, ne sont pas réunies. Et Bachar el-Assad, arrivé au pouvoir en 2000, devrait s’y maintenir. Il s’était donné au début de son règne l’image d’un réformiste, mais il a tenu à rappeler à ses concitoyens et au reste du monde que c’était lui qui décidait du rythme du changement dans un pays qui a su se rendre indispensable.

 Au coeur du Moyen Orient

La Syrie, pauvre en ressources énergétiques, a pour elle la géographie et l’histoire. Dans un entretien prémonitoire avec la quotidien américain The Wall Street Journal, le président Assad, le 31 janvier, déclarait : « la Syrie est géographiquement et historiquement au centre du Moyen-Orient ». Et il avait raison. Quelque soit le dossier évoqué –Israël, la Palestine, la Turquie, l’Egypte, l’Irak, l’Iran et bien sûr le Liban– Damas a son mot à dire. Lorsque deux mois après cet entretien, Bachar a pris la parole devant le Parlement syrien, il l’a fait avec l’assurance d’un homme qui se voit comme un acteur-clef. Plus utile debout au centre du terrain, qu’éliminé comme Hosni Moubarak et Zine El Abidine ben Ali, par un mélange de colère arabe et d’intérêts occidentaux.

Le bon voisin

La Syrie partage avec Israël une frontière disputée. L’état hébreu a conquis en 1967 puis annexé en 1981 un pan de territoire syrien, le plateau du Golan. Position stratégique, à moins de 80 km de Damas, et qui sert aujourd’hui de véritable chateau d’eau à l’état hébreu. Le régime syrien a fait de la restitution de ces hauteurs une condition préalable de toute négociation de paix. Des générations d’émissaires américains se sont succédés dans la capitale syrienne pour entendre sur la question les doléances d’abord d’Hafez, puis de Bachar. Mais rien n’a bougé.
   La paralysie diplomatique sur ce front reflète sa totale neutralisation militaire. Depuis la guerre de 1973, pas un coup de feu n’a été tiré par les Syriens dans cette région. La Syrie a appris à ses dépends qu’elle n’est pas de taille à affronter l’état hébreu. D’autant moins depuis les paix séparées signée en 1979 par l’Egypte, et en 1994 par la Jordanie. Et pour Assad, la guerre n’est plus une option. L’opération « Verger » l’a encore démontrée: En 2007, le 6 septembre à minuit, des avions israéliens ont bombardé des installations syriennes à Der ez Sor, à 450 km au nord-est de Damas. Rien n’a pu les arrêter. Israël a assuré que la cible était un réacteur nucléaire en construction. Damas a démenti. Et Bachar est apparu à la télévision pour se gausser des accusations israéliennes, mais pas pour crier vengeance.
   Il a en a été de même pour le Liban, pays ravagé par des conflits où souvent les protagonistes locaux servent les intérêts de maîtres régionaux. La Syrie y est intervenue en 1976, et a dû le quitter sous la pression internationale en 2005. Elle a toujours cherché à éviter qu’une faction locale ne déclenche une réaction israélienne qui ne la touche directement. Et lorsqu’en 2006, l’armée de l’état hébreu a tenté d’en finir avec le Hezbollah qui l’avait provoqué, Damas a joint sa voix à la réprobation internationale mais n’est pas entrée en lice. Le Liban et sa population civile ont payé le prix fort de l’audace des miliciens chiites, qui ont résisté à Tsahal. La réaction dévastratrice d’Israël n’a pas éliminé le Hezbollah, mais elle a démontré qu’il était prêt à punir un pays tout entier pour châtier une faction trop téméraire.
   La leçon a été entendue à Damas. Moins de deux ans aprés l’épisode de l’été 2006, le 13 février 2008, une explosion a secoué le coeur de la capitale syrienne. La déflagration a mis en pièce un végicule tout-terrain, et son conducteur fut déchiqueté. Il s’agissait de la bête noire du Mossad et de la CIA, Imad Mugniyeh, le cerveau des prises d’otages au Liban, et celui qui avait fait du Parti de Dieu une formidable machine de guerre. Assassiné en plein Damas, sans que ceux qui l’y protégeaient aient pu –ou voulu– intervenir.

Le gel des frontières

Cette neutralisation du front syrien face à Israël est un des piliers de la stratégie américaine au Moyen-Orient. Tout comme le gel de la frontière du Sinaï entre Israël et l’Egypte. Lorsque les Etats-Unis ont dû envisager le départ d’Hosni Moubarak, ils pouvaient compter sur l’armée égyptienne pour y garantir la tranquillité. Elle joue les gendarmes aux confins avec l’état hébreu depuis 1979, et reçoit en échange chaque année 1,5 milliard de dollars. Cette aide s’accompagne de programmes d’échanges qui ont établi des liens étroits entre les militaires américains et égyptiens. L’homme fort du nouveau régime au Caire, le général Sami Anan, est d’ailleurs choyé par le Pentagone. Mais en Syrie, l’option d’un militaire de confiance de cette trempe n’existe. Les Etats-Unis n’ont pas pu créer des liens de partenariat avec des militaires syriens, et ils ne peuvent garantir à Israël une transition sans à coup chez son voisin. La possibilité d’assister à l’émergence de groupes extrémistes hostiles à l’état hébreu est bien réel, et face à ce risque, le seul choix pour Washington et Jérusalem reste Bachar el-Assad.

L’ami perse

Au delà de ses frontières, la Syrie s’est assurée un partenaire qui lui donne la profondeur stratégique qui lui manque : l’Iran. Ce lien est fondé sur une fraternité religieuse entre les allouites, minorité chiite en Syrie, dont les 22 millions d’habitants sont en majorité sunnites, et la république islamique, seule théocratie chiite. Il s’est renforcé pendant la guerre Iran-Irak, de 1980 à 1988, lorsque la Syrie a été le seul allié arabe de l’Iran. La rivalité entre Hafez el-Assad et Saddam Hussein explique cet alignement. Mais pas seulement : pour le « Lion » de Damas, la guerre déclenchée par Bagdad fut un désastre. Un ouragan qui a noyé les espoirs arabes de présenter un front uni contre l’état hébreu, pour obtenir une paix qui réglerait la question du Golan et des Palestiniens.
   Deux ans aprés la fin de ce conflit, Hafez crut pouvoir sauver la mise en participant à la coalition qui allait chasser Saddam Hussein du Koweit. Il pensait que, de cet appui, allait naître un engagement plus déterminé des Etats-Unis à jouer les intermédiaires impartiaux en faveur d’un réglement global entre les Arabes et Israël. Le processus de Madrid fut lancé en octobre 1991, mais ce nouvel effort ne mena à rien, au moins pour Damas. Et les Syriens en garderont un sentiment de trahison.
   Ce que Damas considère comme de la duplicité de la part des Etats-Unis explique la prudence avec laquelle Bachar a accueilli les ouvertures récentes de Washington. Derrière le rapprochement opéré depuis 2009, avec le retour cette année-là à Damas d’un ambassadeur américain, se profilait un objectif ouvertement déclaré par des conseillers de Barack Obama. Obtenir de Damas une rupture avec Téhéran, en échange d’une normalisation positive avec les Etats-Unis et, qui sait, d’un accord sur le Golan avec Israël. Mais au lieu de céder à cette perspective, le pouvoir à Damas l’a retourné à son profit, usant de son rôle d’intermédiaire obligé pour plaider en faveur de l’ouverture d’un dialogue entre les Etats-Unis et l’Iran, les deux puissances dont le différend vieux de plus de 30 ans menace le Moyen Orient et le Golfe.

La leçon de Hama

Versés dans l’histoire de leur nation et de leur région, les dirigeants syriens savent qu’ils ne peuvent survivre que s’ils se rendent indispensables. Moubarak et ben Ali étaient devenus des alliés embarrassants pour les Etats Unis et l’Europe. Le colonel Mouammar Kadhafi est loin d’être indispensable. Et le sort du président Ali Abdallah Saleh se décide sans doute plus à Ryad que dans les rues de Sanaa, où défilent depuis des semaines des dizaines de milliers de manifestants. Avec Assad, « le printemps arabe s’arrête », écrivait récemment un fin connaisseur de la région, Robert Fisk. On peut le regretter mais, sans doute, a-t-il raison.
   Damas qui abrite la mosquée des Omeyyades, et fut le siège du première empire musulman, sait que la marche du temps est lente. Le président Hafez aimait à le rappeler à ses visiteurs lors de longs soliloques qui épuisaient la patience de diplomates aussi chevronnés qu’Henry Kissinger. Son fils ne l’a pas oublié: les appels aux changement sont des slogans faciles qui font souvent fi des réalités qui résistent à l’attrait de la nouveauté. Le chaos en Libye ou les troubles au Yémen donnent un avant gout de ce que peut être une explosion non contrôlée. Dans son entretien avec le Wall Stree Journal, Bachar tirait une leçon des révoltes arabes : « si vous n’avez pas compris le besoin de réformes avant les évènements d’Egypte et de Tunisie, il est trop tard pour entreprendre des réformes. Et si vous faites des réformes juste à cause de ce qui s’est passé en Tunisie ou en Egypte, alors c’une simple réaction. Et parce que c’est une réaction, vous allez échouer ».
   Les Syriens, eux aussi, ont lu l’histoire, et se souviennent de Hama. En 1982, Hafez el Assad a assiégé cette ville au nord de Damas pendant trois semaines, rasé un quartier tout entier et sans doute tué quelque 20.000 habitants pour étouffer une révolte des Frères Musulmans. Son fils ne répéterait pas le même massacre, mais avant de céder le pouvoir il a les moyens de se faire craindre.

The Wall Street Journal


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