Rhissa Rhossey : Désert rebelle, poèmes de la rébellion touarègue

Publié le 02 avril 2011 par Yasida


 


Rhissa RHOSSEY  Photo H. Lemaréchal

Humanités touarègues

" Récemment certains jeunes auteurs ont eu recours à l'écriture pour fixer leurs textes. Les tifinagh, alphabet touareg, ne servent traditionnellement qu'à transcrire des messages confidentiels, graver des inscriptions sur roche pour marquer une étape de voyage ou établir des comptabilités fastidieuses. Pourquoi ce passage soudain à l'écrit ? Le contact avec le monde moderne n'explique pas tout. En fait, lorsque le tissu social se déchire comme aujourd'hui chez les Touaregs écartelés entre cinq États différents. la mise en scène littéraire devient impossible : le public qui faisait écho aux œuvres a disparu, la circulation des idées et pensées qui accompagnait celle des hommes est entravée, les valeurs guerrières ne peuvent plus se réaliser, l'honneur est bafoué.

On comprend le figement et le dépérissement progressif des genres littéraires classiques tandis que les nouveaux courants n'ont pu naître qu'en se dégageant des registres anciens . "

Hélène Claudot-Hawad : LES TOUAREGS  Portraits en fragments 

Poèmes de la rébellion touarègue

RHISSA RHOSSEY

La parole d’un rebelle est sacrée pour les peuples du désert et du vent. C’est ainsi qu’au Niger le poète Rhissa Rhossey est honoré tout à la fois pour son lyrisme et son courage, lui le combattant de la liberté face aux menaces, aux vexations et à l’enfer d’un quotidien dont les grandes lignes sont écrites ailleurs, au-delà du désert.

Post-face du recueil de poésie de  Rhissa Rhossey

Jour et Nuit Sable et Sang, poèmes sahariens (Ed transbordeurs)

Timia, cascade

JE N'OUBLIERAI JAMAIS

Je n'oublierai jamais / Un enfant de l'AÏR  / Qui mourut un soir / De grande gloire  / Un jeune homme du terroir  / Qui parlait le langage / De la terre  / Partout il semait des étoiles  / Aux enfants il parlait d'école  / Aux femmes de machines à coudre / Aux hommes de chantiers  / De grands champs de blé / Aux jeunes de son âge  / Dans son langage sans nuage / Il ordonne la résistance / Jusqu'au bout du souffle  / La lutte et le sacrifice  / Marquèrent en lettres immuables  / Son éphémère passage sur la terre / Étrange prophète de l'amour et du travail  / Qui arrosa de son sang / Ses rêves innocents / Et nourrit de son corps  / La glaise maternelle  / Pour l'éternité

Il mourut un soir  / Le cœur plein d' espoir / Au milieu des cris et du vacarme / En démontant le rambour-:major / D'une fête barbare / Où le sang coulait à  flots /  Rougissant encore plus  l' aurore / Où la chair valsait avec le fer / Où le feu déchirait l'aube / Les années ont  passé / Le Martyr demeure /  Si vous voulez le sentir / Allez à TIMIA  / Quand  l'oasis sort de  de son sommeil / Comme une coquille qui s'ouvre / Sur sa perle du matin / Offrant sa beauté à L'Espoir / D'un jour naissant / Là au milieu des jardins / Dans les sables  / Ou sur les montagne / Il est dans chaque grenadier / Dans chaque dattier / Dans chaque battement d'ailes / Il fait partie du paysage / Comme la cascade / Comme l'humus qui nourrit la fange / Comme le chant des petites bergères / Qui perce les nuages

Si vous voulez le sentir  / Allez à TIGGUIDA / Là  il est dans chaque épi de blé  / Qui défie le ciel bleu  / Si vous voulez le sentir / Allez à TIGGUIDIT  / Là il est dans chaque poignée de main  / Qui construit demain  / Je n'oublierai jamais  / La sentinelle fantôme / D'un enfant dans l'AÏR  / Qui veille sur le sommeil des petites gens / Par-delà les ténèbres

pour Almoudou Introudourène  Zinder, 22 février 1999

Rhissa Rhossey

Acharif el Moctar

 Ce  site  est dédié aux centaines des milliers de Touaregs, hommes, femmes et enfants, dont de nombreuses familles entières, qui ont souffert et sont morts au cours des dernières décennies au Niger, en raison de l'action délibérée du gouvernement : pratiques d'exclusion quiles privaient de l'allégement de la censure, de la nourriture, soins médicaux, et le développement. Le gouvernement a cherché à faire taire les plaintes légitimes des Touaregs, par l'intimidation, les arrestations, les viols, la torture, les exécutions extrajudiciaires et de massacres, et à les isoler des médias et de l'aide humanitaire. Voici un hommage au peuple touareg qui a courageusement continué à lutter pour la justice.  Que sa voix soit entendue par le monde entier.

En reconnaissance du génocide


   photo A. Tambo

FOULE

Foule, Foule / Je t'aime dans ton docile / Mouvement / Dans ton harmonie / Dans ta cohérence

Foule, Foule / Fais corps avec Mon corps / Fais de mon âme / Ton Esprit

Foule, je te crains / Dans ta folie / Quand Furieuse /Tu foules du pied / Ce que tu as construit

Foule, Foule / Tu es belle / Quand tu foules la tyrannie

Foule / Tu es à l'image / De l'homme / Insaisissable / Dans ton élan / Imprévisible /  Dans ton surgissement

Foule / Tu es femme / Quand tu aimes / Et l'Amour / Coule / De tes mains / De tes yeux / De ton cri

Foule / De tous les continents / De toutes les couleurs / J'aimerai toujours / Voir s'écraser / À la face des tyrans / Ton cri / Mon cri / Ton poing / Mon poing

Foule, fais foule avec mes Rêves

Rhissa Rhossey

peur  A. Tambo

BLESSURE

Vendredi 28 août 1992 / Un jour macabre s'est levé / Sur la cité au Minaret millénaire / Comme un fleuve en crue / La haine a déferlé / La haine Nue / Sauvage / Tumultueuse / Une meute désemparée / Sans chef ni subordonné / S'est ruée vers la ville / La ville innocente et docile. / Alors commença la danse barbare / Des proies faciles / Maison par maison / La horde écumait la ville / Mettait dans ses fourgons / Des civils innocents. / La peur s'installait / Les miens traqués / Rasaient les murs. / Partout on arrête / On torture sans murmure / Sous des yeux douloureusement / Indifférents / Exultant, applaudissant le carnage /  Le deuil s'installait / La douleur incommensurable.

Dans les gares / Sur les routes / Dans les rues / Et jusqu'au fond des case / Sinistrement silencieuses / Ils arrêtent les miens / Tous les miens / Tapis  à l ' ombre de la terreur / Les miens entassés / Dans la honte / Dans la sueur / Dans les larmes. / Les miens /  Au creux des cellules sordides / Puantes / Puantes de mille pourritures..

Oh Seigneur!  De quel  crime / Répondaient les miens ! / Pourquoi endossent-ils les péchés / De tout l'univers ? / Le fils et le père enchaînés / À la même chaîne de la honte. / Les frères rampant dans la sueur et le sang / Sous les caresses cruelles / Des lumières brûlantes.

Seules les femmes / Debout dans la tourmente / Le poing dur / L'insulte à la bouche / Femmes / Je vous salue / Roseau fragile mais tenace / Canne sur laquelle s'appuyait /  Mon peuple quand il chancelait : Et titubait dans les dédales : Du mépris,. :Femme, cœur d'airain : Bouclier de fer  / Salut femme / Gardienne inlassable des rejetons /  Orphelins d'un père / Qui ne répond plus à l'appel.

Salut mère /  Toi qui jugulas la haine des temps amers : Pour tes prières sincères /  Salut sœur / Toi qui bravas le fer / Pour nous un peu de lumière / Jusqu'au de nos sombres tanières / Salut femmes amazones des temps pénibles

Août 1992 - août 1994 / Deux ans déjà que la folie / A foulé la face de mes cités / Elle est passée comme un tourbillon / Dans les rues on voit encore / Quelques filles au rire sonore /Les pères retrouvent / La paix paix des maisons / Sur les terrasses / Les moineaux chantonnent / La clameur haineuse / A fait place à l'Assalam / De la paix / Le sang et les larmes / Ont séché

Mais dans mon cœur une fibre / A lâché pour toujours/ Avide l'Horizon plus libre ..

Rhissa Rhossey


eckad  A. TAMBO

THINGALÈNE

Salut THINGALÈNE / Remparts où butent / Toutes les basses volontés / Tour au sommet / Réservée aux âmes pures / Tu es mon ARC DE TRIOMPHE / Monument divin / Tu es pétri de la pierre / De la pierre pure et dure / Larmes de feu / Vomissures des sables / Ou pilier de la terre / Dis-moi montagne qui es-tu / Vestige des hommes de prestige / Sommet aux grandeurs de vertiges / Kaocen et Dayak t'ont habité /Jamais je ne cesserai de te chanter

 Souvenir de lune 

HOMMAGE A AIMÉ CÉSAIRE

La situation économique et sociale que connaissent les Touaregs du Nord-Niger n'a pas permis à Rhissa Rhossey de rédiger et de transmettre ses textes dans des conditions acceptables. les lignes qui suivent ont été tirées de rares échanges téléphoniques que nous avons pu établir avec lui.

Note de l'éditeur  

Poésie de langue française Seghers

Devant la crise qui secoue aujourd'hui le Nord du Niger et du Mali, devant le sort qui est fait à une poignée de Touaregs au cœur du Sahara, devant les guerres qui déchirent si atrocement l'Afrique, devant la question ethnique, devant les problèmes que posent la répartition des richesses et l'accaparement du pouvoir par quelques familles héritières de la colonisation, devant les pouvoirs donnés à la police et à l'armée d'abattre tout suspect, d'arrêter les journalistes, d'interdire aux Défenseurs des Droits de l'Homme de circuler dans la zone des conflits, devant les lumières qui s'éteignent et la barbarie qui refait surface, je ne peux que prononcer à mon tour ces paroles du commandant Ahmad Shah Massoud :

La vie sans la liberté n'est pas la vie.

La vie sans art n'est plus la vie.

Le combat de l'époque c'est le combat pour la liberté

d'être, de rêver, de créer.

Peu importe ce qu'en pensent ou écrivent les soumis

puisque nous sommes à jamais de la race des insoumis.

Rhissa RHOSSEY


deuil  : photo  A. Tambo

LE SILENCE DU TAMBOUR-MAJOR

Jeudi 16 avril 2008 / Au bout du petit matin... / L'immensité du désastre / L'humanité retient son souffle / Des larmes sur les cinq continents / Les océans stagnent / Les fleuves suspendent leurs cours / Tambours, koras et balafons / Ravalent leurs sons / Les rois des forêts, savanes et déserts / Retiennent leurs gestes / Qui se figent / Et même les oiseaux au fond du ciel / Immobilisent leur envol / Les chiens se taisent .../ La tragédie des rois... / La tempête sanglote, / LUMUMBA tourne dans sa tombe / Un Nègre / Un très grand Nègre / Se retire / Un poing ferme et dur / Un poing de fraternité et de dignité / S'en va / mais la Révolte / La Révolte demeure / Aimé Césaire

Rhissa Rhossey

POÈME POUR CÉLÉBRER LA PAIX

Nigériens, mes frères / Quelle est donc cette brise / Qui souffle sur la terre /Du Moro Naba / Ce vent si frais gui souffle / Du pays des " hommes intégrés / Ce vent aux relents de paix ? / Oh patrie / Patrie aimée / Patrie mienne / Rectifie ta marche / Va droit sur le chemin / De la paix et de ]'amour / À la haine, à la violence / Fais volte-face pour toujours / PAIX

PAIX sur toutes les faces de chagrins / Tant de vallées ont baigné dans le sang / Tant de koris  où ne coulent plus / Que des larmes / Tant de morts sans nom / Tant de haine dans les cœurs / Tant de chaînes sans raison / Tant d'innocents dans les fournaises / Des prisons / Souviens-toi PATRIE / Oh PATRIE / Des fuites éperdues des familles traquées / Ah ! Les songes inachevés / Des nuits saturées de mensonges !

PAIX / Paix pour l'âme de mes morts / Pour les blessés dans leur corps / Pour les blessés dans leur cœur / Pour les mutilés / Pour les déportés / Pour les prisonniers / Pour les exilés / Pour les égarés / Pour tous, PAIX et espoir / Oh Patrie regarde / Regarde autour de toi / Ce monde sans loi / Ce monde qui brûle / Qui hurle, hurle, hurle / J'ai dit : Liberia Taylor la mort ! Taylor la torture !  / Horreur ! / Les longues files / Des orphelins et veuves qui enfilent / Les labyrinthes inhospitaliers des exils / J'ai dit: Burundi !

Ces frères qui s'entre-déchirent !

Rhissa Rhossey

Écouter l'émission consacrée à Rhissa Rhossey   Canal Académie

 Écouter l'émission consacrée à   Bruno Doucey

Ibrahim Manzo Diallo

SILLAGE DE VENT

Sobres souffles errants / se consument / En s’arc-boutant / Sur le vide / rennes lâchées /à la folie du vertige / Ils sillonnent brisent, écrasent / poulies et tentes / Au cœur du désert /Embrasés par les flammes / désolation et chagrin / sépultures de visages ridés /Par la colère / Dans les entrailles / Du précipice / Leurs gémissements / Chambardent et / tremblent de rage / L’écho des vagues / Les dunes s’étouffent / Les grains bifurquent / Pourchassant les grèves /  endeuillées / Brûlures mêlées / aux anonymes douleurs / Dans l’extase / Du souffle / Comme l’orage puéril / Sur les cimes des falaises

Les cortèges funèbres / S’essoufflent / pleurs de veuves / colères d’orphelins / Dans l’onde précaire / Qui s’ébranle La chevelure divine / charrie le mirage : les mille cicatrices / Du cosmos ! / Longue fibre vénéneuse / Qui chatouille / Les lointaines cambrures / De l’horizon / Pour s’abîmer les yeux / Alourdis de sacrilèges / Ils heurtent / Les flots d’éclairs / Dans le vide nocturne le vent cajole / Les falaises caverneuses / Dressées / Dès l’aurore des Pharaons / Déchirement de la toile céleste / Qui crépite, / Pour enfanter sur ses pas / Éclairs et tonnerre

TABLETTES ÉCRASÉES

Des aigles voltigent / En tourbillonnant / Au-dessus / des dunes / Regards  fixés / A l'horizon

De leur nids / Cachés / A la crête des falaises / Il ne reste / Que ruines / Raflées par les vents

Sur les traces / De leurs ombres / charcuterie /  et bûchers / Cris de douleur d'âmes  / rougies au fer

Les aigles chassés / lacèrent / de leurs ongles / la toile maudite / Et de battements d'ailes / se moquent du sourire /  Des dieux impies

Gavés de douleurs / Ils rappellent / à l'oreille du vent / les pleurs et l'errance / D'enfants aux tablettes / écrasées.

Que ramène la nuit / Sur le giron de la terre ? / Chanson de chagrin / Écho du deuil / Essoufflement / Des crépuscules macabres

Ibrahim Manzo DIALLO

Yunus OCQUET

  Yunus

LIBERTÉ A VENIR

Loin se trouve l’

horizon de l’espérance, / Dépourvu de prières et de sollicitude maquillée… / N’en demeure que le mal qui souffle dans les cornes de / l’ego / Où se figent la douleur et les pleurs enroués.
La nuit durant, point de sommeil pour la mère / Qui écoute d’une oreille les borborygmes révoltants
des ventres vides, / Et de l’autre les complaintes des sorciers repus de / sang, de sueurs, / De cette masse électorale qui a vendu ses voix pour un / paquet de thé !
Demain, un autre jour semblable à ceux qui viendront / Un jour de peine et d’endurance et de doute / Un jour où le foyer sans feu dormira dans le froid de / ses cendres / Et la marmite et le panier qui ont  / oublié le nom de / tous les légumes…
Je vois venir l’impétueux tsunami de milles haines / charriées / Engloutir l’instant d’une journée de mars / Les certitudes artificielles, les villas de marbre et / les basins surbrodés / Ce jour là seulement naîtra la République entre les / mains d’honorables

Sages - femmes …

Yunus OCQUET

 

 photo Assam Midal 

J’aimerais vivre dans une coquille / Ne plus me regarder dans les miroirs sans tain de la mondialisation / Ne plus avaler des steaks de vache folle / Et courir sur des plages sans m’attrister  sur des oiseaux maquillés au brut. / J’aimerais contempler un ciel sans trou / Me parfumer sans aérosol et sans nuage atomique / Vivre sans zapper sur des canaux bouchés / J'aimerais bien être candidat mais pas pour un troisième mandat ni dans un fauteuil roulant  / J’aimerais sortir mon portefeuille sans encaisser quatorze plombs dans ma peau / J’aimerais naviguer longtemps sur FREEDOM

Avez – vous le mot de passe ?

 Yunus OCQUET