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[France Nucléaire] Tout savoir sur le MOX !

Publié le 04 avril 2011 par Yes



Plutonium et COMBUSTIBLE MOX

Bernard LAPONCHE et Jean-Claude ZERBIB – 1er avril 2011*

1. Le Plutonium

Le plutonium est un élément chimique de numéro atomique 94 et de symbole « Pu » qui n’existe dans la nature qu’en quantités infimes et qui est produit en quantités importantes dans le cœur des réacteurs nucléaires, à partir de l’uranium (numéro atomique 92 et symbole U).

Le plutonium produit dans les réacteurs est constitué d’un ensemble d’isotopes. Les uns, les plutoniums 239, 240, 241, 242, 243 sont produits à partir de la capture d’un neutron par un noyau d’U238 et l’isotope Pu 238 est produit à partir de l’U235.

Comme l’U235, le Pu239 est fissile (le Pu241 également) et contribue à la réaction en chaîne dans le réacteur au fur et à mesure de sa création.

2. Production et utilisation du plutonium

A la fin de leur utilisation dans le réacteur nucléaire d’une centrale électrique (après trois ans environ), les combustibles irradiés sont stockés sous eau dans des « piscines » situées à proximité des réacteurs. Ils sont constamment refroidis par circulation d’eau afin d’évacuer la chaleur produite par la radioactivité des produits de fission et des transuraniens (dont le principal est le plutonium) qu’ils contiennent.

La solution adoptée dans la majorité des pays équipés de centrales nucléaires (Etats-Unis, Allemagne, Suède, Corée du Sud…) est de garder les combustibles irradiés en l’état, de les laisser dans les piscines de stockage, et plus tard éventuellement dans des sites de stockage à sec lorsque leur radioactivité et la chaleur qu’ils dégagent auront suffisamment diminué.

En France (La Hague) et au Royaume-Uni (Sellafield) par contre, le plutonium est extrait des combustibles irradiés dans une usine dite de « retraitement », aujourd’hui essentiellement à partir des combustibles de leurs propres centrales, mais aussi, dans le passé, pour des combustibles « étrangers » (Allemagne, Suède, Japon1…).

La technique du retraitement consiste à séparer par voie chimique les trois grands composants du combustible irradié : uranium, plutonium, produits de fission et transuraniens (autres que le plutonium). Cette technique a été historiquement développée durant la seconde guerre mondiale pour la production de plutonium à des fins militaires (la « bombe atomique », également développée avec de l’uranium 235 obtenu par « enrichissement » de l’uranium naturel). Puis la production de plutonium a été poursuivie et amplifiée pour fournir du combustible à la filière des « surgénérateurs »: Phénix et Superphénix en France.

En parallèle à cette utilisation, un nouveau combustible a été imaginé pour se substituer au combustible classique à uranium enrichi en U235 (3,5% contre 0,71% dans l’uranium naturel) dans les réacteurs à eau ordinaire et uranium enrichi (PWR et BWR). Ce nouveau combustible est appelé MOX (oxyde mixte d’uranium et de plutonium : UO2-PuO2) qui contient de l’uranium appauvri en U235 et en moyenne 7% de plutonium (5 à 12,5% suivant la position dans le coeur). Superphénix ayant été définitivement arrêté et la filière abandonnée, le MOX s’est trouvé être le « débouché » pour une partie importante du plutonium produit par le retraitement (il reste cependant des quantités importantes de plutonium entreposées à l’usine de retraitement de La Hague, de l’ordre de 70 tonnes).

Les combustibles MOX neufs et usés sont beaucoup plus chauds que les combustibles UO2 classiques. L’entreposage en piscine des combustibles MOX usés nécessite une compensation pour l’évaporation plus importante que celle des piscines qui contiennent des combustibles UO2. Enfin, le temps de séjour en piscine des combustibles MOX usés est beaucoup plus long que celui des combustibles UO2 et ces combustibles ne sont pas retraités2 (il reste en fin de vie du combustible environ 4,5% de plutonium). On estime généralement qu’il faut entreposer 50 ans en piscine un combustible irradié à base d’uranium avant stockage définitif mais 150 ans un combustible MOX irradié (les piscines devant être en permanence refroidie par circulation d’eau).

Du combustible MOX est utilisé dans 22 réacteurs en France. Le rechargement annuel des réacteurs avec du combustible MOX est d’environ 7,4 tonnes par réacteur et par an. De 2006 à fin 2010, 740 tonnes de MOX ont été déchargées.

Fin 2010, l’entreposage dans les piscines de La Hague de combustibles irradiés issus des réacteurs à eau était de 9670 tonnes, dont 1380 tonnes de MOX. La capacité de ces piscines a été portée de 12000 à 18000 tonnes, après renforcement de la protection neutronique des « paniers » contenant les combustibles.

Du combustible MOX avait été chargé récemment dans des réacteurs japonais, dont le réacteur 3 de la centrale de Fukushima au Japon, aujourd’hui très gravement accidenté.

3. Radioactivité du plutonium

Du fait du rôle principal du Pu239 fissile, on oublie généralement les autres isotopes. Dans le cas d’un réacteur à eau et uranium enrichi, le Pu239 représente en poids 59 % du plutonium contenu dans le combustible usé et le Pu241, 11%, ce qui porte à 70% la proportion d’isotopes fissiles, soit plus des deux tiers du Pu total.

Si le Pu239 est sur le plan « pondéral » l’isotope majeur du plutonium produit dans le réacteur, il n’en va pas de même en termes de charge radioactive (voir annexe 2).

Tous les isotopes et composés du plutonium sont toxiques et radioactifs. La radioactivité d’une quantité de plutonium dépend de sa composition en différents isotopes, chacun ayant un « durée de vie » différente et un type différent d’émission de particules3.

Ainsi, le Pu239 a une « demi-vie » (temps au bout duquel la moitié de la quantité initiale de cet isotope s’est transformée) de 24 110 ans, tandis que celle de Pu241 est de 14,4 ans et celle de Pu238 de 87,7 ans.

Dans le plutonium couramment produit dans les réacteurs des centrales nucléaires, la radioactivité4 provient surtout de Pu241 (émetteur « bêta », électrons) et de Pu238 (émetteur « alpha », noyau d’hélium). De plus, le Pu241 se transforme en américium 241, émetteur « alpha » de 433 ans de demi-vie5. L’activité massique très élevée du plutonium 238 produit, par absorption des « alpha » dans le combustible, un fort dégagement de chaleur.

Si des particules de plutonium sont inhalées ou ingérées, elles irradient directement les organes où elles se sont déposées : le poumon dans le cas d’une inhalation et dans le cas d’une ingestion le foie et les surfaces osseuses notamment. La période biologique du plutonium est très longue car l’élimination de 50% de la charge de l’organisme nécessiterait 100 ans environ. Il peut donc affecter l’ADN et provoquer des cancers.

Pour ces raisons, les installations industrielles traitant du plutonium (usines de retraitement, usines de fabrication de combustibles au plutonium, transports de plutonium) nécessitent des barrières de protection épaisses (béton, hublots épais…) pour se protéger des émissions de rayonnements « gamma » et « neutrons » (neutrons qui proviennent des réactions nucléaires dans l’oxyde de plutonium qui est la matière ouvragée).

En termes de radioprotection, la limite de dose annuelle, fixée par les autorités de radioprotection pour le public (1 millisievert6/an) peut se traduire en limite d’incorporation du plutonium par voie respiratoire ou digestive. Ce calcul donne, pour un adulte du public exposé à l’inhalation de Pu239, environ 1/100ème de millionième de gramme (1/100ème de microgramme).

Un combustible MOX (« neuf ») est composé d’environ 7% de plutonium issu du retraitement des combustibles irradiés et de 93% d’uranium appauvri. L’activité « alpha-bêta » du MOX est complètement dominée par celle du plutonium. L’activité « alpha » est, elle, dominée par celle du 238Pu, tandis que l’activité totale est essentiellement constituée par l’activité bêta du 241Pu (voir Annexe 2).

L’activité de 1kg de MOX ( environ 30,7 TBq) est de l’ordre d’un million de fois plus importante que celle d’un kg d’uranium naturel (environ 2,5 10-5 TBq).

4. Risques accrus dû fait du MOX, en fonctionnement et en cas d’accident

a) Du fait de sa plus grande radioactivité alpha, un élément neuf de combustible MOX a une température de surface (paroi de la gaine du combustible) de 80 degrés, alors qu’un combustible neuf à l’uranium est à la température ambiante. Le maniement des combustibles neufs MOX nécessite donc des équipements particuliers.

La présence de combustibles MOX dans un réacteur nucléaire (en général un tiers ou un quart du chargement total) rend donc la manipulation des combustibles (chargement et déchargement) plus difficile.

b) La présence de combustibles MOX dans le réacteur rend le contrôle plus délicat (combustibles de natures différentes) et réduit l’efficacité des barres de contrôle.

c) Les températures de fusion du plutonium (640°C et 2400°C pour le PuO2) sont plus basses que celles de l’uranium (1135°C et 2 865°C pour l’UO2).

d) En cas de détérioration et de fusion des combustibles, le risque de « criticité » (emballement de la réaction en chaîne) est plus grand car la masse critique du plutonium est le tiers de celle de l’uranium 235 (celui-ci n’étant d’ailleurs pas séparé des autres isotopes en cas de fusion et ne représentant au maximum que 3,5% de la masse totale de l’uranium du combustible UO2).

Ce risque de criticité peut se présenter également dans les usines de fabrication du combustible MOX ou dans les usines de retraitement.

Ce risque est présent également dans les piscines de stockage des combustibles irradiés en cas de perte du refroidissement, détérioration et fusion de combustibles.

e) La quantité de plutonium est beaucoup plus importante dans un combustible MOX (dans un réacteur ou dans une piscine de combustibles irradiés) que dans un combustible uranium. En cas de détérioration ou de fusion du cœur ou d’explosion ou d’incendie (dans le cœur ou dans les piscines de stockage), la quantité de plutonium pouvant être projetée dans l’environnement, qu’il s’agisse d’un combustible usé ou plus encore s’il est neuf, sera donc beaucoup plus importante.

Non seulement le MOX rend le réacteur plus difficile à piloter mais encore, en cas d’accident, sa présence facilite la mise à nu des combustibles (plus de chaleur donc plus d’évaporation de l’eau), la détérioration et la fusion des combustibles (dans le réacteur lui-même et dans les piscines des combustibles irradiés) et, en cas d’émissions radioactives, ce qui est le cas à Fukushima, des particules de plutonium peuvent être dispersées dans l’environnement (terre et eau principalement).

Annexe 1

Les 20 réacteurs qui utilisent du combustible MOX en France

2 réacteurs à la Centrale nucléaire du Blayais (2 x 910 MWe net)

  • 4 réacteurs à la Centrale nucléaire de Chinon (4 x 905 MWe net)
  • 4 réacteurs à la Centrale nucléaire de Dampierre (4 x 890 MWe net)
  • 4 réacteurs à la Centrale nucléaire de Gravelines (4 x 910 MWe net)
  • 2 réacteurs à la Centrale nucléaire de St Laurent (2 x 915 MWe net)
  • 4 réacteurs à la Centrale nucléaire du Tricastin (4 x 915 MWe net)

Les 4 réacteurs en attente de 1er chargement MOX en France

  • 2 réacteurs à la Centrale nucléaire du Blayais (2 x 910 MWe net)
  • 2 réacteurs à la Centrale nucléaire de Gravelines (2 x 910 MWe net)

Annexe 2 : Calcul des activités comparées Uranium naturel (Unat) et MOX

Activité massique, exprimée en becquerel par gramme, des isotopes de l’uranium naturel

Isotope

U 234

U 235

U 238

Bq/g

2,30.108 8,0.104 1,24.104

L’uranium est un élément naturel constitué de trois isotopes : les234U et 238U qui sont à l’équilibre et l’235U. Dans une masse donnée d’uranium naturel, les activités des 238U et 234U sont donc égales, maisleurs masses respectives, très différentes, sont dans le rapport inverse de leur activité massique (la masse de l’234U est 18 550 fois plus petite que celle de l’238U).

Du point de vue pondéral, c’est l’isotope 238 qui constitue la quasi-totalité de la masse de l’uranium naturel (99,29%). Nous calculons donc, pour 1 g d’uranium naturel, l’activité de l’isotope 238U qui est égale à celle de l’234U. Pour obtenir l’activité de l’uranium naturel, il suffit alors d’ajouter aux activités de ces deux isotopes à l’équilibre, celle l’activité de l’235U.

Activité d1 g d’Unat :

=2x(0,99287 g d’238Ux1,24.104)+(0,713.10-2 g d’235U x 8,0.104)= 2,52.104 Bq/g

Soit pour1kg d’Unat = 2,52.107 Bq ou 2,52.10-5 TBq.

Pour fabriquer du MOX, l’on utilise de l’uranium appauvri et du plutonium issu du retraitement des combustibles « usés«  d’un réacteur,chargé initialement en combustible à uranium (enrichi à 3,5%).

En prenant les compositions isotopiques du plutonium calculées à La Hague nous pouvons estimer l’activité d’un kg de plutinium :

Répartition pondérale moyennes annuelles en kg par tonne retraitée

Isotope

Activité spécifique (Bq/g)

Activité combustible (TBq/t)

Poids

(kg/t)

Poids

(%)

238Pu alpha

6,34.1011

150,8

0,237

2,58%

239Pu alpha

2,296.109

12,45

5,422

59,06%

240Pu alpha

8,40.109

21,11

2,513

27,37%

241Pu bêta

3,81.1012

3,837.103

1 ,007

10,97%

Total

4 172,3

9,180

100%

Composition de 1kg de Pu : 25,8g de 238Pu + 590,6g de 239Pu + 273,7g de 240Pu + 109,7g de 241Pu

Activité de 1 kg de Pu :

= (25,8 x 6,34.1011) Bq + (590,6 x 2,296.109) Bq+ (273,7 x 8,40.109) + (109,7 x 3,81.1012) Bq

= (16,36 + 1,36 + 2,30 + 417,96) x 1.1012 = 437,98.1012 Bq, soit 438 TBq

Si l’on admet que le MOX est composé de 7% de Pu et de 93% d’uranium appauvri, l’activité de 1kg de MOX sera de 438.1012 x 0,07 = 30,66.1012 + l’activité de l’uranium appauvri dont la valeur est beaucoup plus faible (de l’ordre de 2,5.107 x 0,93 ). L’activité du MOX est complètement dominée par celle du plutonium tout seul etl’activité alpha par celle du 238Pu

L’activité totale du combustible MOX (« neuf« ) est essentiellement constituée par l’activité bêta du 241Pu.

L’activité de 1kg de MOX ( environ 30,7 TBq) est de l’ordre d’un million de fois plus importante que celle d’un kg d’uranium naturel (environ 2,5 10-5 TBq).

1 Après le démarrage d’une usine de retraitement pilote d’une capacité de 100 t/an (Tokai Mura) en 1977, le Japon devait également démarrer à Rokkasho une usine de retraitement construite depuis avril 1993 par Japan Nuclear Fuel Limited (JNFL) avec l’appui industriel d’AREVA. Ce complexe industriel produirait du combustible MOX à partir du plutonium fourni par l’usine de retraitement (1200t/an). Cette construction a connu de nombreux retards et son coût a été multiplié par plus de trois (de 8 à 29 milliards de dollars). Les premiers tests de retraitement ont démarré en avril 2006 mais la fabrication du MOX pose problème. Les reports de démarrage se sont multipliés et il était question récemment de mi-2015.

2 Entre 1998 et 2009 les usines de La Hague ont retraité 68,5 tonnes de MOX alors que dans le même temps, les combustibles UO2 concernaient 12445 tonnes. Le retraitement des MOX ne concerne que 0,55% de l’ensemble des combustibles retraités.

3 Les isotopes du plutonium sont des émetteurs alpha à 100% à l’exception du plutonium 241qui est un émetteur bêta pratiquement « pur » (émission additionnelle alpha de 2,3 millième de %).

4 Le becquerel (Bq) est l’unité de mesure de l’activité d’une source de rayonnements. 1 Bq correspond à une désintégration de noyau par seconde. Cette unité est très petite et on utilise couramment ses multiples, dont le térabecquerel (TBq : 1012 Bq ou mille milliards de becquerels).

5 Voir Annexe 2.

6 En cédant de l’énergie à une quantité de matière, on délivre une dose de rayonnement physiquement mesurable. Si cette dose et délivrée à une personne il est possible d’évaluer l’effet biologique néfaste de cette dose au moyen d’un calcul, faisant intervenir des coefficients de pondérations liés à la nature du rayonnement incident et aux types de tissus et organes atteints. Le sievert (Sv) est l’unité de dose biologique utilisée pour mesurer les effets sur le corps humain de cette absorption de rayonnement (alpha, bêta, gamma, X, neutron). La valeur en sievert d’une dose de rayonnement est calculée à partir de l’intensité de la source de rayonnement externe à l’organisme ou de l’activité incorporée dans l’organisme (exprimée en becquerels) par voie respiratoire ou digestive.


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