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Lecture (poésie) : POETES POUR HAÏTI.

Par Ananda

Anthologie « POETES POUR HAÏTI », sous la direction de Dana Shishmanian et Khal Torabully, Coll. Témoignages Poétiques, Editions L’Harmattan, 2011.

Le tremblement de terre qui frappa Haïti (sans doute le pays le plus pauvre du monde) le 12 janvier 2010 a immédiatement fait réagir les poètes du monde entier. A cela, des tas de raisons : comme le rappelle Ernest Pépin A Port-au-Prince les poètes sont légions , et le lien qui relie ce pays à la poésie est d’une force tout à fait spéciale ; ensuite (mais ne devrait-on pas dire plutôt en premier lieu), Haïti a une image qui ne peut laisser personne indifférent : pays des enfants des enfants des enfants de Spartacus  (François Brouers, Belgique), première terre noire à avoir eu le courage de défier une puissance coloniale et de secouer le joug de l’esclavagisme et donc, à ce titre, paré d’un immense prestige, mais aussi peuple martyr de sa propre Histoire ( Pourquoi la terre, mère nourricière / S’est retournée contre les plus pauvres…les plus démunis ?  ne peut s’empêcher de crier le Mauricien Vishwamitra Aashutosh Ganga, avec toute la ferveur que lui inspire son sentiment d’injustice et de révolte).

Le sort, c’est le moins que l’on puisse dire, n’a pas gâté Haïti et voici qu’il s’acharne encore, cette fois suprêmement, sur la malheureuse île.

Mais comment réagir à un pareil désastre ? Ne laisse-t-il pas sans mots ?

Jean-Luc Maxence (France) n’a-t-il pas, au fond, raison quand il souligne, en un tel cas, le dérisoire de la parole pour affirmer : Les poètes devraient pour une fois se taire / Discrètement // Il est des fractures qui ne se payent pas de mots ?

Et pourtant…Malgré l’horreur du séisme destructeur, la vie reprend ses droits. Haïti reste Debout dans la cendre et la poussière (Pierre Cadieu, Canada), fidèle à elle-même : digne et profondément, viscéralement attachée à la vie, à l’espoir.

Il fallait TROUVER LES MOTS.

Les 95 poètes qui figurent dans cette anthologie se sont efforcé de les trouver.

Au départ, sous le choc, ils ont répondu à l’initiative lancée par le poète mauricien Khal Torabully et la poétesse roumaine Dana Shishmanian, donnant ainsi le jour au tout premier livre humanitaire virtuel (www.haiti2010-secourspoetique.net).

Un an après l’anthologie en ligne doublée d’un appel à dons, les éditions L’Harmattan viennent de publier la version sur papier, avec le même but : utiliser le produit des ventes à des fins d’aide aux sinistrés.

Cela nous donne deux cent pages où des poètes issus d’à peu près tous les horizons de la sphère francophone (parmi lesquels – ça vaut la peine de le signaler – on compte une importante proportion d’auteurs de l’Océan Indien) expriment, pour ainsi dire « à chaud » leurs réactions, leur stupeur, leurs peine, leur colère, leur abattement, leurs paroles de réconfort, leur foi têtue et persistante en l’avenir, leurs exhortations, leurs pensées pour les enfants, leurs respectueux hommages dédiés à « l’île des poètes », en bref, leur cri.

Atome d’espoir / Cette voix d’ange / qui perce les décombres (Jeanne GERVAL-AROUFF) ; Les noirs de poussières sont gris […] Les habitants du val liés par la même souffrance / Gestion des cas d’havres, qui ne sont pas de paix / Malgré l’odeur pestilentielle / Pestent-ils en ciel ? (Jean-Yves BERTOGAL) ; Je regarde Haïti la belle secouer d’un rire ardent les masses humaines accrochées à son flanc // Je regarde Haïti la belle écraser ses enfants dans une gésine terrifiante (Catherine BOUDET) ; Ceux qui se nourrissent de viandes…de produits laitiers…de desserts / Ne peuvent t’estimer à ta juste valeur // Même si la pierre se fendait, tu ne peux pas leur faire ouvrir / Les fenêtres de leur ferme… / Des gens comme toi ne font pas partie de leur centre d’intérêt / Tu n’existes pas… / Dorénavant tu dois savoir / Qu’ils n’ont pas de temps à te consacrer ! (Üzeyir Lokman CAYCI) ; La tendre convoitise / amère ricane. […] et ce peuple démembré / se dresse, digne et fier / et pousse en ciel / son chant d’espoir / déchirant (Laurent CHAINEUX) ; L’espoir erre tel un chien en mal de viande (Fabian CHARLES) ; Tes rues désertes / Sont pavées de morts. […] Pourtant, demain tu renaîtras (Joël CONTE) ; Comment réparer tes flancs / Par la douleur, broyés / Belle Île ? (Maggy DE COSTER) ; Un homme à la peau noire s’accroupit / L’écorce mangée de survivances (Arnaud DELCORTE) ; Petit oiseau […] Envoie un chant / Pour dire à tous les hommes / Qu’il y a une femme / Assise sur ses mâchoires / dans l’attente d’un abri / pour ses entrailles (Anderson DOVILAS) ; Le tumulte du monde est en toi. Tu ne vois plus que la douleur de cette femme devant son enfant mort. Doucement tu lui prends la main. // Tu ne fais qu’un avec le monde… (Denis EMORINE) ; Le sable, le sang, la terre, la chair des hommes, formèrent un corps immonde sous les jours terribles des cruautés humaines, des monstres politiques, des avatars géologiques. […] Haïti […] la nocturne […] avait aiguisé l’art de souffrir en assurant seule la conjuration de ses cauchemars. […] il faut juste tout recommencer […] s’accroupir au dessus du cratère de l’avenir pour y puiser la force de son eau vive (Nadine FIDJI) ; Faille sous l’océan et fêlure de l’âme : le temps de rebâtir la dignité est venu […] Une minute a suffi / Pour détruire Haïti (Adrien GRANDAMY) ; Jean Métellus pose sa voix sur les ondes. / Il faut qu’Haïti meure pour que l’avis d’un poète se dise. […] Que reste-t-il sinon la poésie comme un chant, repris de gorges en gorges ? […] Un poète parle qui dit ce que tout le monde sait. / Qui dit la misère endémique et le désespoir quotidien. (Xavier LAINE) ; Mon cri / a pris racine dans les chaînes / […] aux quatre vents des Caraïbes (José LE MOIGNE) ; Notre histoire est une mangue amère (Jean-Yves LOUDE) ; Je recouds les failles de la fraternité / En attendant le prochain Soleil…(Alain MABANCKOU) ; Sauf les gouttes de rosée / Entre mes doigts / Il m’a tout pris (Thélyson ORELIEN) ; souffrant du mutisme / des mots ensevelis sous les décombres // je ne fais qu’en moi traduire sans répit / l’étonnement de la voyelle O…(Jean-Robert PAUL) ; A Port-au-Prince les poètes sont légions / Ils ont les yeux crevés des voyants / Les mains percées de mots / Et le visage tatoué par les griffes de la nuit / […] Ils vont entre amour et colère / Dénoncer les pluies assassines / Et les soleils en uniforme de vampires […] A même les veines ouvertes des matins […] Ils sont la voix du peuple des peuples […] Haïti ne mourra pas trop de poètes l’ont créé […] Haïti soleil des carrefours et qui va son chemin de lumière convulsée, d’imprévisible survie parmi les cimetières et la graphie des vents (Ernest PEPIN) ; 12 janvier 2010 16 heures 53 minutes / […] ta chair meurtrie portera longtemps les traces / […] comme un acharnement / Encore toi (André ROBER) ; terre / Pourquoi m’as-tu frappé / […] Es-tu jalouse de la mer / qui elle a déjà balayé mes champs / es-tu jalouse du ciel / qui a déjà ruiné mes maisons / es-tu jalouse de moi / qui ai déjà fait trembler / la tyrannie (Dana SHISHMANIAN) ; déchirure // sanglot brutal // […] leur cri rauque nous déchire (Hélène SORIS) ; Il faudra bien / Retrouver le chemin // Même si // […] ces maux qui t’assaillent sans cesse (Richard TAILLEFER) ; afflue la nudité / la langue illimitée des disparus […] Peut-on dire ce que scandent les ruines / au ciel ulcéré d’histoire ? / Peut-on souffler ce que la poitrine brisée / fait entendre sous la cendre ? (Philippe TANCELIN) ; Haïti aux-pieds-plats / Toi la proue muée en poupe / Toi le pourtant soleil // Tu clochais clopinais / Dans ta sueur dans ta fange […] Voici que les furies t’intiment de ramper / En silences de houille ! (KOUAM TAWA) ; l’enfant, / l’enfant, / l’enfant, […] laissons donc aux autres le soin des discours / la vie est un merdier dénué de sens (Umar TIMOL) ; Le regard de l’enfant s’enfonce dans le plancher, […] Le soleil à genoux, pour toi, supplie. […] Que l’aveugle oublie sa cécité pour te voir en face (Khal TORABULLY).

On le constate, les mots sont trouvés.

Des mots forts, des images saisissantes, de bouleversantes évocations, seuls échos possibles à ce drame, qui, bien sûr, exacerbe l’émotion.

La sensibilité des poètes ne pouvait pas rester de marbre.

Fasse, maintenant, que ses mots atteignent de plein fouet le cœur de ceux qui vont les lire !

P.L


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