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Conte soufi : Le puits du lion

Publié le 05 avril 2011 par Unpeudetao

Les animaux vivaient tous dans la crainte du lion. Les grandes forêts et les vastes prairies leur paraissaient comme trop petites. Ils se concertèrent et allèrent rendre visite au lion. Ils lui dirent :
   “Cesse de nous pourchasser. Chaque jour, l'un de nous se sacrifiera pour devenir ta nourriture. Ainsi, l'herbe que nous mangeons et l'eau que nous buvons n'auront plus cette amertume que nous leur trouvons.”
   Le lion répondit :
   “Si ceci n'est pas une ruse de votre part et si vous tenez cette promesse, alors ceci me convient parfaitement. Je ne connais que trop les ruses des hommes et le prophète a dit : “Le fidèle ne répète pas la même erreur deux fois.”
   - Ô Sage ! dirent les animaux, il est vain de vouloir se protéger contre le destin. Ne sors pas tes griffes contre lui. Prends patience et soumets-toi aux décisions de Dieu afin qu'il te protège !
   - Ce que vous dites est juste, dit le lion, mais il vaut mieux travailler que prendre patience car le prophète a dit : “Il est préférable d'attacher son chameau !””
   Les animaux :
   “Les créatures travaillent pour le boucher. Il n'y a rien de mieux que la soumission. Regarde le nourrisson ; pour lui, ses pieds et ses mains n'existent pas car ce sont les épaules de son père qui le portent. Mais quand il grandit, c'est la vigueur de ses pieds qui l'oblige à se donner la peine de marcher.
   - C'est vrai, reconnut le lion, mais pourquoi boiter quand nous avons des pieds ? Si le maître de maison tend la hache à son serviteur, celui-ci comprend ce qu'il doit faire. De la même manière, Dieu nous a pourvu de mains et de pieds. Se soumettre avant de parvenir à ses côtés me paraît une mauvaise chose.
Car dormir n'est profitable qu'à l'ombre d'un arbre fruitier. Ainsi le vent fait tomber les fruits qui sont nécessaires. Dormir au milieu d'un chemin où passent les bandits est dangereux. La patience n'a de valeur qu'une fois que l'on a semé la graine.”
   Les animaux répondirent :
   “Depuis l'éternité, des milliers d'hommes échouent dans leurs entreprises car si une chose n'est pas décidée dans l'éternité, elle ne peut pas se réaliser. Aucune précaution n'est utile si Dieu n'a pas donné son accord. Travailler et acquérir des biens ne doit pas être un souci pour les créatures.”
   Ainsi, chacune des parties développa ses idées par maints arguments mais, finalement, le renard, la gazelle, le lapin et le chacal réussirent à convaincre le lion.

Donc, chaque jour, un animal se présentait au lion et celui-ci n'avait plus à se préoccuper de la chasse. Les animaux, sans qu'il soit besoin de les contraindre, respectaient leur engagement.

Quand vint le tour du lapin, celui-ci se mit à se lamenter. Les autres animaux lui dirent :
   “Tous les autres ont tenu parole. À ton tour. Rends-toi au plus vite devant le lion et n'essaie pas de ruser avec lui.”
   Le lapin leur dit :
   “Ô mes amis ! Donnez-moi un peu de temps afin que mes ruses vous libèrent de ce joug. Ceci vous restera acquis, à vous et à vos enfants.
   - Dis-nous quelle est ta ruse, dirent les animaux.
   - C'est une ruse ! dit le lapin, quand on parle devant un miroir, la buée trouble le reflet.”
   Ainsi le lapin ne se pressa pas pour aller au-devant du lion. Pendant ce temps, le lion rugissait, plein d'impatience et de colère. Il se disait :
   “Ils m'ont abusé de leurs promesses ! Pour les avoir écoutés, me voici sur le chemin de la ruine. Me voici blessé par une épée de bois. Mais, à compter d'aujourd'hui, je ne les écouterai plus.”
   À la nuit tombante, le lapin se rendit chez le lion. Quand il le vit arriver, le lion, sous l'emprise de la colère, était comme une boule de feu. Sans montrer de crainte, le lapin s'approcha de lui, l'air amer et contrarié. Car des manières timides vous font soupçonner de culpabilité. Le lion lui dit :
   “J'ai déjà renversé les boeufs et les éléphants. Comment se peut-il qu'un lapin ose me narguer ?”
   Le lapin lui dit :
   “Permets-moi de m'expliquer : j'ai eu bien des difficultés pour parvenir jusqu'ici. Je suis parti dès l'aube pour te rejoindre. J'étais même parti avec un ami. Mais, sur le chemin, nous avons été pris en chasse par un autre lion. Nous lui avons dit : “Nous sommes les serviteurs d'un sultan.” Mais lui a rugi : “Qui est ce sultan ? Peut-il y avoir d'autre sultan que moi ?” Nous l'avons supplié longtemps et, finalement, il a gardé mon ami, qui était plus beau et plus gras que moi. Voici que désormais un autre lion s'est mis en travers de nos arrangements. Si tu souhaites que nous tenions nos promesses, il te faut nous dégager la route et détruire cet ennemi, car il n'a aucune crainte de toi.
   - Où est-il ? fit le lion. Vas-y ! Montre-moi le chemin !”
   Le lapin conduisit le lion vers un puits qu'il avait repéré auparavant. Quand ils arrivèrent aux abords du puits, le lapin resta en arrière. Le lion lui dit :
   “Pourquoi t'arrêtes-tu ? Passe devant !
   - J'ai peur ! dit le lapin. Vois comme mon visage a blêmi !
   - De quoi as-tu peur ?” demanda le lion.
   Le lapin répondit :
   “L'autre lion habite dans ce puits !
   - Avance, dit le lion. Jette juste un coup d'oeil pour vérifier s'il est bien là !
   - Je n'oserai jamais, dit le lapin, si je ne suis pas protégé par tes bras.”
   Le lion serra donc le lapin contre lui et regarda dans le puits. Il vit son reflet et celui du lapin. Prenant ce reflet pour un autre lion et un autre lapin, il laissa le lapin de côté et se jeta dans le puits.

Voici le sort de ceux qui écoutent les paroles de leurs ennemis. Le lion a pris son reflet pour un ennemi et a dégainé contre lui-même l'épée de la mort.

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