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Dircom (2.1.2.) La nécessité stratégique (leçons de crise)

Publié le 05 avril 2011 par Olivier Beaunay

C'est une nécessité de pouvoir sortir d'une crise à un moment ou à un autre, et le plus tôt est le mieux. Mais ce serait une erreur, du point de vue de l'analyse, de vouloir en sortir trop tôt dans la mesure où l'examen de la mécanique propre à la communication de crise fait ressortir avec force le besoin pour le dircom d'investir plus fortement le terrain stratégique.

Equipe, process, information

Lorsque l'on s'interroge sur les ingrédients d'une bonne communication de crise, on se rend compte en effet assez vite que ses éléments fondamentaux ne sont pas spéciquement liés à la communication elle-même, mais à un pilotage et à une mise en perspective qui constituent à la fois un préalable à son intervention, une condition de son efficacité et une conclusion utile à son action.

Sur le plan du pilotage, il faut à la fois une équipe, un process et un mode de traitement de l'information. L'équipe est pluridisciplinaire et constituée de gens expérimentés et complémentaires qui ont de préférence l'habitude de travailler ensemble, ce qui veut dire qu'ils partagent une culture de crise, une lecture des événements et des réflexes opérationnels. Le process est essentiel pour déterminer qui fait quoi selon quels objectifs et avec quelle cohérence d'ensemble - ce qui souligne bien, s'il en était besoin, la nécessité d'une coordination au niveau de la direction générale pour les crises les plus sérieuses. La qualité du recueil, de l'analyse et du traitement de l'information permet enfin à cette coordination de pouvoir être conduite sur mesure, au jour le jour, plusieurs fois par jour si nécessaire.

Risques, messages et reporting

Du côté de la communication elle-même, il faut une analyse des risques, des messages et un système de reporting. L'analyse des risques, souvent négligée (et d'autant plus facile à conduire que l'entreprise aura l'initiative du déclenchement), est à mener d'autant plus attentivement qu'elle peut sensiblement réduire la portée des problèmes en s'appuyant notamment sur des facteurs favorables externes (relier une attaque à un problème de société, rebondir sur une actualité positive, etc). A l'autre bout de la chaîne, la qualité du reporting et des remontées du terrain, en veillant là-dessus à assurer un minimum de diversité des sources, est évidemment indispensable en termes aussi bien de positionnement que de messages.

L'élaboration, mais aussi la diffusion et l'adaptation de ces messages sont un des coeurs de l'activité du dircom. Les médias restent de ce point de vue une cible privilégiée, mais ils sont loin d'être la seule compte tenu notamment de la prolifération des sources d'influence ; inversement, tous les grands groupes ont à présent intégré la nécessité de ne jamais négliger l'interne, y compris et même surtout sous l'effet d'une forte pression médiatique.

De ce point de vue, un message de crise s'articule toujours peu ou prou autour de deux ou trois éléments de base : de la compassion d'abord pour exprimer que l'on partage sur un plan émotionnel les conséquences de ce qui est en train de se produire, si possible en éprouvant ce que l'on dit et, au minimum, en montrant que l'on n'est pas indifférent à la situation.

Compassion, transparence, action

J'atténue ce point à dessein : je sais bien que c'est souvent un exercice difficile pour nombre de dirigeants qui perçoivent spontanément cette attitude davantage comme un risque (assimilé à une faiblesse et surtout à une forme de pré-reconnaissance de responsabilité sur un plan plus juridique) que comme un bénéfice. En réalité, je ne suis pas loin de penser que l'engagement personnel du dirigeant dans la communication de crise en général et dans l'expression d'une forme de compassion en particulier est un facteur décisif de l'acceptation par le public de la crise et de ses conséquences.

Pour prendre un exemple américain récent, la façon dont Robert Murray, le propriétaire de la mine Crandall Canyon (Utah), a piloté la communication autour de la crise qui a suivi l'effondrement de cette mine au cours de l'été 2007 est un bon exemple de ce type de compassion active, l'un n'allant en effet pas sans l'autre. A la limite, il a alors sur-compensé une situation qui, sur le plan factuel, était aussi criticable du point de vue du respect des règles que critique du point de vue des conditions de travail des mineurs.

Il est évident ensuite qu'une composante transparence s'impose en montrant que l'on coopère avec diligence et de façon ouverte avec les autorités pour mener à bien les enquêtes nécessaires. Montrer, enfin, que l'on est mobilisé sur le terrain pour trouver des solutions immédiates, notamment lorsqu'il s'agit d'un incident, s'impose comme un des passages obligés de l'exercice.

A ce stade de l'analyse, la trilogie : compassion, transparence, action ne conduit pas nécessairement à sortir de l'arène du court-terme. Elle atteste surtout de la nécessité d'établir un lien manifeste et engagé entre communication et action selon deux logiques qui ne peuvent pas exister l'une sans l'autre. Une action efficace mal communiquée peut conduire à un désastre - voyez BP dans le Golf du Mexique. Inversement, une bonne communication de crise qui finit par couvrir les approximations ou les lacunes de l'action est une communication dangereuse qui explose, tôt ou tard, à la figure de ses instigateurs. L'absence des deux est un pur désatre, leur combinaison fait des miracles - voyez EDF lors de la tempête de 1999.

"You never want a crisis to go to waste"

Mais cette trilogie suffit-elle ? J'ai eu là-dessus des désaccords marqués avec des dircoms chevronnés de grands groupes qui, confrontés alors à des crises majeures liées notamment à des retraits de produits, s'en tenaient essentiellement à la mécanique du process et à des logiques de court-terme. Avec une telle approche, on peut assurément faire tourner une cellule de gestion de crise ; mais on peut aussi bien la faire tourner à vide, autrement dit, on ne se donne guère les moyens de s'en dépêtrer.

Or le but d'une crise n'est pas de s'en défendre, c'est d'en sortir, si possible par le haut. On se souvient du mot célèbre de Rahm Emmanuel, l'ex-chef de cabinet d'Obama : "Il ne faut jamais gaspiller une crise" (3). C'est tout à fait juste, et plus elle est sérieuse, plus il faut l'utiliser comme un levier de changement. Ce qui signifie qu'une quatrième composante est requise dans toute communication de crise digne de ce nom qui consiste à mettre les événements en perspective et à les utiliser pour mettre en place les actions de progrès qui vont permettre d'éviter de reproduire les mêmes problèmes à l'avenir. L'équation complète ajoute donc à la trilogie : compassion, transparence, action, un objectif de progrès fondamental à la fois pour trouver des issues et utiliser la crise que l'on vient de traverser.

Ce que révèle au total la crise comme situation limite, c'est un impératif stratégique qui relèverait non d'une mise à jour annuelle mais d'un façonnage de tous les instants - à commencer par les pires d'entre eux. Il y a donc urgence à remettre la stratégie au centre du métier : la stratégie de communication pour piloter et adapter les messages de l'entreprise, mais aussi la stratégie de l'entreprise pour l'irriguer et la servir. En ce sens, on ne peut envisager la communication indépendamment du management et de la gouvernance.

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(1) La thèse de Tom Peters, c'est que lorsque l'on a le choix entre faire et rendre compte, il faut faire. C'est un propos aussi sensé qu'il peut se révéler risqué (Voir son interview dans le FT : "It's about getting stuff done", en date des 22-23 novembre 2008).

(2) "You never want a serious crisis to go to waste", formule prononcée à une conférence du Wall Street Journal le 21 novembre 2008.


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