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Champion national français

Publié le 05 avril 2011 par Egea

Dans le Monde éco d'hier soir, un édito très intéressant de Jean Pisani-Ferry sur la compétitivité comparée de l'Allemagne et de la France.

Champion national français
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1/ Quelle est la thèse ? Que le déficit de croissance est dû, certes à des consommations différentes, ou des coûts du travail : toutefois, un examen attentif ne rend pas ces explications si probantes. En fait, la différence tient surtout au rôle exportateur. Et là il faut regarder de plus près.

2/ En effet, selon JPF, les champions nationaux français sont souvent de taille mondiale. Mais du coup, ils sont tellement intégrés qu'ils ont une logique "mondiale" avec finalement peu de retours "nationaux". Ce qui fait la grande différence, c'est l'existence d'entreprises moyennes exportatrices en nombre en Allemagne, alors qu'elles n'existent pas en France.

3/ Une vraie politique économique de croissance viserait donc à encourager ces entreprises de taille moyennes, et pour tout dire ( je en crois pas me souvenir que JPF ait prononcé la chose, mais j'y vais des deux pieds) familiales : en effet, elles suivent une logique forcément patrimoniale de long terme, et elles ne dépendent pas des marchés financiers et de leur dictature de court terme.

4/ Cela me fait penser à un autre article, lu je ne sais plus où, qui remet en question les aides à l'emploi : trop souvent, elles sont tournées vers des emplois de service finalement peu productifs, et pas assez vers des emplois industriels ou exportateurs.

5/ Mais au fond, là n'est pas le vrai objet de ce billet : il s'agit surtout de constater ce goût français pour "les champions". En fait, on y voit là une "mesure de puissance" comme autrefois on aimait à compter nos canons. Quiconque a été aux États-Unis a été amusé par le nombre de panneaux, au fin fond de la moindre bourgade, "the biggest in the world". En fait, en France, on aime d'autant plus être les premiers qu'on a été bluffé, pendant cinquante ans, par le fait que les Américains l'ont été.

6/ C'est vrai en matière de sport (souvenez-vous, il fallait se "décomplexer mentalement") ou de défense (le retrait de 1966), ce le fut pour l'économie : nous aussi, nous allions nous adapter aux règles de l'économie de marché, et gagner des places à ce jeu fabuleux, auquel j'ai joué petit des heures et des heures, le "Richesses du monde", sorte de monopoly économique. Le premier déclencheur fut le tournant de la rigueur, en 1983. Le second tint aux débats sur la mondialisation, au milieu des années 1990.

Champion national français

7/ Deux fascinations qui nous poussèrent, collectivement, à construire ces grands groupes français, substituts de notre puissance nationale : on pouvait jouer le jeu, on n'était pas si mauvais. Du coup, l'effort collectif tourné vers le visible, vers "la France du rang et de la grandeur" version Wall Street, on a négligé la France moyenne, celle de province, celle des terroirs, la France intermédiaire. Au fond, on a joué au parisianisme en économie, et pas au décentralisateur. L'Allemagne, "fédérale", structurellement décentrée, n'a pas eu de mal à encourager ses entreprises moyennes, même si certaines sont devenues, selon une vieille tradition industrielle, des grands groupes mondiaux. Mais la taille mondiale était en Allemagne une résultante, quand elle était en France un objectif : big is beautiful, ou la vieille fascination française pour la puissance.

Au fond, les performances d'une économie reflètent aussi la géopolitique d'un pays.

O. Kempf

Réf : la fin de l'édito de JPF, tiré du Monde

Compétitivité française, LE MONDE ECONOMIE | 04.04.11 | 15h19

Deux raisons sont couramment données à cette évolution. La première est la faiblesse de la demande intérieure allemande. Depuis les débuts de l'euro, la consommation des ménages a progressé trois fois plus vite en France qu'en Allemagne. Cela ne peut cependant expliquer les écarts de performance sur les marchés tiers ni suffire à rendre compte du fait que les exportations françaises ont crû de moins de 3 % par an depuis 1999, contre plus de 6 % pour l'Allemagne.

La deuxième raison est le coût du travail. Mais si la rémunération des salariés français a progressé deux fois et demie plus vite qu'en Allemagne depuis 1999, les prix des exportations ont en revanche évolué de manière très similaire. Le recul français n'est donc pas le seul effet d'une concurrence par les prix.

Pour comprendre ce qui s'est passé, il faut s'armer d'un microscope. Les données fines révèlent, tout d'abord, la forte disparité des appareils exportateurs, comme le montrent les travaux de Lionel Fontagné (Centre d'études prospectives et d'informations internationales), Gianmarco Ottaviano (université Bocconi de Milan) et Nicolas Véron (Fondation Bruegel, à Bruxelles).

La France compte trois à quatre fois moins d'entreprises exportatrices que l'Allemagne. L'essentiel des ventes à l'étranger y repose sur un petit nombre d'acteurs (les mille premiers exportateurs font 70 % des ventes), quand la performance allemande s'appuie sur un tissu beaucoup plus dense.

Si la France exporte moins, c'est d'abord parce qu'elle compte moins d'entreprises, surtout de taille moyenne. Les mêmes données montrent que le nombre d'exportateurs a baissé de 15 % depuis dix ans, tandis qu'il augmentait de 20 % en Allemagne. Les groupes internationalisés ont tendance à exporter moins à partir du territoire national, parce que leur stratégie est de produire davantage là où ils réalisent leurs ventes.

Entre des grandes entreprises qui vont produire ailleurs et des entreprises moyennes trop peu nombreuses, la France souffre d'un déficit croissant d'exportateurs. C'est le coeur de son problème économique. Non qu'il faille à tout prix exporter, mais toutes les analyses montrent que les entreprises présentes sur les marchés internationaux sont plus productives, plus innovantes et paient des salaires plus élevés.

Si ce défi est désormais bien identifié, la réponse ne va pas de soi. Par tradition ou par facilité, les dirigeants politiques français ont tendance à assimiler intérêt national et prospérité des champions industriels. Ils sont donc enclins à promouvoir ces derniers en les défendant contre la politique de la concurrence européenne et en tentant d'arracher pour eux des contrats à l'exportation.

ENVERGURE MONDIALE

Cette assimilation n'a cependant plus guère de fondement. Certes, une partie des éclatants profits de l'indice CAC 40 revient aux résidents de l'Hexagone. Mais pour l'essentiel - et on ne peut le leur reprocher -, l'objectif stratégique de ces grandes entreprises est d'acquérir une envergure mondiale. Il n'est pas de promouvoir le territoire national.

L'intérêt de l'économie française est en revanche de faire naître, croître et prospérer de nouvelles entreprises, quitte à ce que celles-ci bousculent les champions établis. Cela suppose qu'elles soient suffisamment rentables pour engager et maintenir des efforts d'exportation, qu'elles aient accès à des financements de croissance, au lieu de dépendre excessivement du crédit bancaire, et qu'elles aient la capacité d'investir dans la recherche et l'innovation.

C'est à ce prix que l'économie française retrouvera une capacité de croissance au sein de la zone euro.


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