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Artisan taxi, mon amour

Publié le 02 février 2008 par Guy Deridet
Artisan taxi, mon amour Le chauffeur de taxi est aujourd'hui à l'honneur, et ce n'est que justice. Non pas le chauffeur de taxi qui est attaché, tel le serf à son seigneur, au volant d'une automobile d'un groupe financier et qui vit au quotidien les délices du libéralisme, mais l'artisan taxi ! Notre bon artisan taxi qui fleurit en province, mais aussi dans la capitale, et avec lequel nous avons tant de merveilleux souvenirs en commun.

Combien de délicieux discours, durant des trajets encombrés, sur les arabes, sur ces fainéants de fonctionnaire, sur les flics qui s'acharnent contre eux, sur les deux roues qui font n'importe quoi, sur les trente-cinq heures, sur ces types qui foutent rien et qui touchent des aides, sur tous ces privilégiés dont ils ne font pas partie… Et combien de savoureuses balades pleines de charmants détours pour nous faire découvrir sa ville dès lors que notre bon chauffeur a le pressentiment que vous ne la connaissez pas !

Il me revient aussi ce merveilleux moment récemment passé avec une trentaine d'autres personnes, au demeurant fort sympathiques, place du Châtelet à Paris, entre cinq heures et six heures et quart de l'après-midi, à attendre dans un froid glacial une voiture avec son enseigne allumée… Et nos petits cœurs de battre à l'unisson chaque fois que l'une d'entre elles apparaissait venant du quai de la Mégisserie, et nos âmes de se serrer de la voir filer vers le boulevard de Sébastopol sans s'arrêter.

Puis-je vous livrer un témoignage plus personnel : j'habite en province, à quinze minutes à pied de la gare, mais lorsqu'il pleut fort ou qu'une lourde valise m'encombre, j'ai tendance à prendre un taxi pour m'y rendre. Hélas, je ne le fais plus depuis longtemps, car je ne supporte plus de faire de la peine à notre excellent artisan et de voir sa mine déconfite. Et de l'entendre se lamenter. Une course de trois minutes, vous pensez, alors qu'il attend depuis demi-heure. Et ce moment pathétique où son compteur affichant 5 euros, il se voit obligé de vous réclamer 18 € en ronchonnant tant il est gêné… moi évidemment, stupide que je suis, je lui fais remarquer avec un étonnement poli que le compteur indique 5€, et de sa voix blanche de rage, il décrète, le brave homme, que ça fera 12 €, chose à laquelle je n'ose rien répliquer puisque là, ce serait vraiment chercher à le blesser.

Des souvenirs de cet ordre, si émouvants, j'en ai tant et tant que j'ai renoncé à prendre des taxis dans ma petite ville. Je ne m'offre ce plaisir singulier que lorsque je suis à Barcelone ou à Séville… La discussion est alors sympathique, j'apprends mille choses, je ne discute jamais le prix, je suis heureux de payer ce qui est convenu et de laisser un pourboire.

Bien sûr j'entends déjà le chœur des effarouchés jurer la main sur le cœur qu'il y a des brebis galeuses dans tous les troupeaux, qu'une infime -ô le bel adjectif- partie ne doit pas jeter l'opprobre sur l'ensemble, et que les nombreuses heures au volant usent les meilleures volontés. J'en conviens… tout en regrettant de tomber plus souvent qu'à mon tour sur l'infime partie. Qu'il doit être agréable de voyager avec la majorité ! Me laisserez-vous cependant ajouter pour finir, que j'ai pris un jour à Paris un taxi avec un chauffeur iranien qui me joua de la flûte durant un long embouteillage, et un autre avec un agrégé de math syrien à la belle humanité. Ni l'un ni l'autre n'étaient artisans. Il n'empêche, ce furent deux beaux moments.

Le site d'Alain Monnier

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