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La part du diable

Publié le 09 avril 2011 par Beniouioui

Image1Live from New York City

Depuis quelques jours, les médias américains sont excités comme des lycéennes avant le bal de fin d'année. Sur toutes les chaines d'infos, les breaking news cotoient les countdown pour accentuer la dramaturgie d'un étrange événement : le président démocrate Obama, le Sénat démocrate et la Chambre des Représentants républicaine n'arrivent pas à se mettre d'accord sur le budget 2011. Or en l'absence d'accord (shutdown), l'administration et ses services non-essentiels seraient paralysés à partir de vendredi (ce soir) à minuit, synonyme d'une suspension de 800.000 employés fédéraux.

Sur CNN, MSNBC, Fox News, une petite horloge tourne en live. Un décompte. Dans 24h, 12h, 5h, ce sera le drame. Jusqu'à l'apogée qui vient d'avoir lieu il y a quelques minutes : un accord a finalement été trouvé à 1h10 de la terrible échéance.

Au-delà du savoir-faire des médias américains qui ont ce talent, un peu ridicule parfois, de maintenir le téléspectateur et par extension le citoyen en alerte permanente, cette anecdote est une parfaite illustration du prix de la liberté.

Car l'enjeu de ce blocage n'était pas neutre.

Il y a quelques mois, les démocrates américains détenaient tous les pouvoirs. Présidence, Sénat, Chambre. Pourtant, ils ne réussirent pas à boucler leur budget. Patatras, les élections arrivèrent et l'immense vague républicaine leur ravit un contre-pouvoir : la Chambre des Représentants, bien décidée à l'utiliser. Et quel plus beau bras de fer que le budget qui est finalement le pivot des politiques publiques?

Aux yeux des républicains, encouragés par les nouveaux venus du Tea Party, ce budget avait deux tares. La première, économique, concernait le montant de la réduction des dépenses publiques nécessaires au redressement de l'économie du pays; la seconde, sociale, concernait certaines dépenses particulières, notamment le financement du Planned Parenthood (planning familial, très impliqué dans la promotion de l'avortement). Or il y a souvent, dans le jeu du compromis, la part du diable.

La part du diable, c'est celle du petit pas qui repousse au lendemain les vraies réformes en priant que le ciel nous aide; la part du diable, c'est celle qui noie dans un magma de décisions sérieuses, une mesure qui va contre nos valeurs fondamentales. La part du diable, c'est celle qui nous fait raisonner à court terme, égoistement ou électoralement, et qui nous fait oublier la vocation fondamentale de l'Homme. La part du diable, c'est celle que nous dévorons avec le sourire sans nous rendre compte qu'elle nous donnera la diarrhée.

BeniNews n'a aucune vocation à applaudir ou critiquer des décisions de politique intérieure américaine. Ou plutôt, BeniNews n'a pas la pleine connaissance et donc la pleine compétence. Mais dans ce bras de fer forcené de deux camps prêts à la paralysie pour défendre leurs idées et ne pas sombrer dans la tentation du diable, nous y voyons quelque chose à retenir.

En 1990, le roi Baudouin de Belgique refusait de signer la loi sur l'avortement pour des raisons de conscience; il y a quelques heures, les représentants républicains américains poussèrent le président Obama et le Sénat démocrate à des compromis; et hier, le Sénat français... eh bien, le Sénat français ne fit pas grand chose d'autre que dévorer le diable en amendant la loi bioéthique : ouverture très élargie de la procréation artificielle, autorisation de la recherche sur l'embryon, dépistage prénatal obligatoire, etc. Il y a bien des députés qui s'étaient battus et quelques sénateurs qui se sont à nouveau battus. Mais au fond, il y a tellement de gens qui haussent les épaules sur tellement de sujets depuis tellement longtemps...

Bien-sûr, chacun des camps, chacune des visions, chacune des convictions, partent souvent d'une intention généreuse. Mais c'est justement là la part du diable. La paresse, le manque de recul, la tentation de la facilité. Et nous y sombrons à chaque fois, devenant comme Faust, un peu plus liés au diable avec notre pari de petits dieux.

Les présidentielles 2012 approchent. La droite multiplie les candidats. Qui du centre, qui des valeurs chrétiennes, qui du libéralisme. La gauche, les écologistes, les extrêmes multiplent les candidats. Finalement, le bon candidat sera difficile à choisir.

En politique, il y a toujours eu la part du diable. Le vote de compromis pour le moins pire. Mais la cécité de la cité commence à nous lasser. Réapproprions-nous le débat public. Espérons enfin le meilleur. Ce candidat qui saura faire la part entre le pragmatisme du quotidien et la constante fondamentale. Celui qui osera un jour, comme le roi Baudouin, ne pas signer.


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