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Dogon et relativité

Publié le 10 avril 2011 par Egea

Ce matin, j'ai enfin réussi à visiter le musée du quai Branly, projet que je formais depuis longtemps et qui peinait à se concrétiser. En même temps, il y avait l'exposition sur l'art Dogon (cette peuplade africaine du centre du Mali). Ce qui amène, forcément, à quelques commentaires.

Dogon et relativité
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1/ Tout d'abord, et j'avoue mes préjugés, mon ignorance, ma méprise méprisante, j'ai découvert que ces œuvres dataient du XIV° au XVI° siècle. Oh! l'on sait que l'Afrique a une histoire, et qu'elle est méconnue de ce côté-ci de la Méditerranée (je pense notamment à ces bibliothèques du désert, entre Niger et Mauritanie, si ma mémoire est bonne, et qui mériteraient d'être sauvegardées...). Mais elle est méconnue, à tout le moins.

2/ Ce qui frappe, c'est à la fois la profonde unité et en même temps la variété des sculptures : les groupes ethniques du plateau développent chacun un "style" reconnaissable, avec de curieuses patines ajoutées qui ont, souvent, l'allure d'un cambouis brûlé. La morphologie est toujours humaine, avec par moments de splendides cavaliers, à d'autres des couples ou des figures sur tabouret, et le plus souvent des individus, souvent hermaphrodites.

3/ Kempf junior, ado bougon comme on sait l'être à cet âge ("c'est nul !") me dit qu'il n'aime pas, parce que ce n'est pas de l'art "comme chez nous". Je ne réponds pas en évoquant ces sculptures grecques primitives, avec ces divinités (Cybèle ?) couvertes de seins, évoquant pareillement la fertilité débordante : il y a pourtant une analogie évidente. Il reste que je ne le blâme pas, et que sa réaction traduit, dans son langage, la surprise devant la distance culturelle.

4/ En effet, je n'ai cessé (comme mon fils) de me poser la question "pourquoi?" : pourquoi sculptent-ils ? pourquoi sculptent-ils cela, et comme cela ? la réponse est bien sûr collective : cet art est le reflet d'une organisation sociale (celles de populations qui se réfugient sur un plateau escarpé pour maintenir leurs croyances animistes face à l'expansion musulmane). Au fond, l'individu ne compte pas, et l'art est une expression collective : peu importe son auteur (ou plutôt, il importe qu'il appartienne à la classe des forgerons, ce qui est une fonction sociale particulière), il remplit un office commun.

5/ On est bien loin de l'art occidental contemporain, où justement, reflet de la société environnante, l'artiste affirme son individualité : c'est toute l'invention moderne depuis la renaissance, évidente en art.

6/ Mais je pense qu'il faut aller encore un peu plus loin. L'art Dogon, comme tous les arts collectifs, diffère profondément de ce que nous faisons aujourd'hui. Car ce qui frappe, c'est la diversité entre ce que l'on voit quai Branly, et ce qu'on voit aujourd'hui dans "l'art contemporain", qui n'est que marchandisation. Au fond, nous allons au musée, rassurés d'y voir de l'art authentique, même 'il est "curieux" en ce qu'il ne nous est pas "proche". Ce voyage vers de "l'authentique" nous plaît par le contraste. Il confirme notre relativité occidentale.

7/ L'art collectif part du prémisse que "tout le monde y croit". Le monde occidental contemporain part d'un principe relativiste étendu : "tout se vaut, toute opinion est respectable". Mais si l'on relativise tout, cela signifie qu'on place le relativisme comme principe, et donc qu'il devient un absolu. Et en cela, l'art occidental contemporain, qui n'a "pas de sens", est l'exact reflet de notre époque.

8/ Pour le coup, Kempf junior avait bougrement raison : ce n'est pas de l'art "comme chez nous". Mais chez nous, est-ce encore de l'art ?

Réf

O. Kempf


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