Magazine Société

Horresco referens

Publié le 10 avril 2011 par Assouf
Horresco referensIl en fut un qui oublia d’être Laocoon. Ce sera donc mon saint patron. Lao qui ? Laocoon ! La guerre de Troie ! Que ce brave homme ait oublié d’être con, sa seule qualité de prêtre de Neptune suffirait à le démontrer mais il se trouvera des esprits tatillons qui estimeront qu’il en faut davantage, le moine ne faisant pas l’habit – ces esprits soi-disant tatillons confondent d'ailleurs les moines et les prêtres : où allons-nous Je pourrais balayer ces objections d’un gasquet de la main, mais je préfère relever le gant que je ne portais assurément pas : quitte à perdre au tennis, autant ne pas pratiquer l'auto-handicap. Ainsi les rusés Achéens ont-ils avant de partir laissé sur la plage un Cheval – il mérite sa majuscule, ce cheval est le cheval – en offrande à Athéna : courageux mais pas téméraires, mieux valait à leurs yeux s’assurer les bonnes grâces de la Déesse pour rentrer par la mer. Les Troyens hésitent mais finissent par faire rentrer Cheval en la ville au lieu de le brûler comme des sauvages. La suite est connue et voilà ce qu’il en coûte de se comporter en civilisé. « Et alors ? » me direz-vous, soucieux de bien comprendre où je veux en venir et gardant encore un espoir que je veuille en venir quelque part, naïfs que vous êtes. Et alors mon ami Laocoon avait prévenu, grave et sentencieux comme tous les prêtres de Neptune connus à travers les siècles, et ils furent nombreux : « Timeo Danaos, et dona ferentes » ! C’était sagement s’exprimer. Je crains les Grecs, et même quand ils apportent des présents. Évidemment ! Le plus invraisemblable dans cette histoire, c’est que notre ami, sans même avoir jamais lu Les mains sales, n’en est pas resté au Verbe mais a bel et bien empoigné son javelot pour le lancer dans le Chêne sacré. Le Chêne sacré est Cheval, concluront ceux qui suivent. « Mais, de par mon bâton à physique ! objecteront ceux qui ont lu aussi bien Virgile qu’Alfred Jarry, l’auteur n’hésite-t-il pas entre le chêne, le pin et le sapin ? » Si, l’auteur hésite, mais là, à ce moment précis, il parle de chêne et ce n’est tout de même pas pour rien que je vous parle de ce passage et non d’un autre : que vaudrait cette histoire avec du pin sacré Elle ne passionnerait guère que les théo-anthropophages catholiques. Ces bavardages intempestifs, bien qu'un temps festifs, me gênent dans ma narration et la décence impliquerait qu’ils cessassent séance tenante : ces agissements sont choquants. Je reprends, après avoir placé un imparfait du subjonctif. Le javelot se plante, Cheval sonne creux, les Troyens s’en moquent, voire ne le remarquent même pas, les fous. Un esclave grec confirme la thèse du sacrifice à Athéna. Là dessus, notre prêtre hérétique immolait son taureau avec toute l’évidence de la chose que cela suppose. Ici, je vais laisser chanter Virgile (L’Enéide, chant II, vers 204-224) pour des événements d’une extrême gravité qui décideront les Troyens à faire rentrer Cheval (lisez cette parenthèse après l’extrait si vous n’avez rien compris : cet épisode les décide à faire rentrer Cheval puisque le prêtre qui s’y opposait a été puni ! Est-ce clair ? Dorénavant, suivez !) : Or voici que de Ténédos, sur des flots paisibles, deux serpentsaux orbes immenses, (je frémis en faisant ce récit), glissent sur la mer, et côte à côte gagnent le rivage. Poitrines dressées sur les flots, avec leurs crêtes rouge sang, ils dominent les ondes; leur partie postérieure épouse les vagues, et fait onduler en spirales leurs échines démesurées. L'étendue salée écume et résonne ; déjà ils touchaient la terre ferme, leurs yeux brillants étaient teintés de sang et de feu, et, d'une langue tremblante, ils léchaient leurs gueules qui sifflaient. À cette vue, nous fuyons, livides. Eux, d'une allure assurée, foncent sur Laocoon. D'abord, ce sont les deux corps de ses jeunes fils qu'étreignent les deux serpents, les enlaçant, les mordant et se repaissant de leurs pauvres membres. Laocoon alors, arme en main, se porte à leur secours. Les serpents déjà le saisissent et le serrent de leurs énormes anneaux. Deux fois, ils lui ont entouré la taille, deux fois autour du cou, ils ont enroulé leurs échines écailleuses, le dominant de la tête, la nuque dressée. Aussitôt de ses mains, le prêtre tente de défaire leurs nœuds, ses bandelettes souillées de bave et de noir venin. En même temps il fait monter vers le ciel des cris horrifiés : on dirait le mugissement d'un taureau blessé fuyant l'autel, et secouant la hache mal enfoncée dans sa nuque.  Imagine-t-on spectacle plus effrayant Je frémis d’horreur en le racontant. Horresco referens. Enfin ! Enfin nous y voilà. Ces chroniques – que Vialatte, Desproges et Cavanna, plantes qui fleuriraient partout où on les porterait, me pardonnent, je leur rendrai hommage partout où je marcherai – n’auront d’autre but que de frémir en racontant comment l’Homme déroge à la Bienséance, car l'Homme ne fait que déroger à la Bienséance. C’est pourquoi je couve une misanthropie galopante (Rossinante oblige). Je me propose donc de jouer ce rôle : passer la moitié de mon temps à méditer au sommet du mont Ararat, et l’autre moitié à écarteler les insensés en place publique. Un tel programme n’apparaitra démesuré qu’à celui qui ne sait rien des aventures du Chevalier à la triste figure, parcourant la Mancha au nom de sa Dulcinée, auteur de mille folies uniquement animé par cet objectif ; avouons-le : il a ouvert la voie. Ce n’était plus que combats contre géants, errances, enchantements et désenchantements, littérature, amour imaginaire et fidélité. Car l’Homme erre et c’est pourquoi lui vient à tout moment l’idée de vivre sa vie telle une odyssée et pire encore, de la raconter. Nietzsche disait assez que l’on pense avec ses pieds. On ne connaît pas diablerie plus vraie. On voit par là que la différence entre l’Homme et l’animal n’est plus ce qu’elle était et même que les animaux semblent avoir repris l’avantage : l’Anglais arrête de manger son chapeau pour le mettre à ses pieds ; l’araignée fait des bonds dans sa toile, et tombe puisque sa toile est verticale ; le mille-pattes, fier de sa nouvelle et incontestable supériorité, envisage l’invasion de l’Iran. A l’inverse, les poissons en sont pour leurs frais, pour la plus grande joie d’Ordralfabétix ; quant aux oiseaux, ils demeurent aussi cons que Chaval le prétendait : ils préfèrent utiliser leurs ailes. Pauvres pauvres oiseaux. Partout je poursuivrai les profanateurs de la Bienséance, et la sentence sera terrible, assénée sous forme de points exclarrogatifs, je veux dire d'interrobangs : Ce symbole provient de la superposition du point d’exclamation (un o surmonté d’un i) et du point d’interrogation (un q surmontant un o) et fut inventé en 1962 par le sieur Martin K. Speckter sur lequel la déesse Shiva – sans la moindre raison, nous considérerons que Shiva est une déesse et non un dieu – devait veiller avec attention tant cet apport est considérable pour l’humanité même si elle ne s’en est pas rendue compte, toujours pas. Il est en effet de première évidence que cet interrobang est le signe de ponctuation par excellence de qui se prétend défenseur de la Bienséance.A la furieuse question : « Que fait l’Homme ? », on ne saurait répondre qu’en s’interrogeant autant qu’en s’exclamant. Car l’homme est stupéfiant et ne parlons pas de la femme. Ces chroniques ne seront donc plus qu’interrobangs en pagaille, livrés partout où ce sera nécessaire et non pas seulement là où l’obligation de réserve l’eut permis. J’aime l’obligation de réserve.

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Assouf 938 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine