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Chapeau (haut de forme)

Publié le 11 avril 2011 par Philippe Thomas

Poésie du samedi 23 (nouvelle série)

Divers soucis prosaïques, accentués par mes nouvelles fonctions (temporaires) de garde-malade, ont considérablement retardé ma quête poétique. Mais un message d’un instituteur vendéen en quête de poésies pour ses élèves, lecteur éclairé de la Poésie du samedi 91 « Ultime question » , m’amène à me replonger dans Ernest Pérochon. J’y trouve cette petite pépite dans un poème foutraque, bizarrement intitulé «Vieilles filles » quoiqu’il s’agisse bien au début de vieilles dames saisies dans leur intérieur, avec l’empreinte du temps qui a passé sur elles. Ca commence un brin théâtral et gazon rustique :

« La fenêtre s’ouvrait autrefois sur les champs 

Et l’âme était béante en dépit des méchants. »

La suite fait un écho direct, me semble-t-il, à ma méditation sur le sens qu’il y a à porter le chapeau. On voit ici comment le Créateur invente cette modalité particulière du galurin qui est le haut de forme, autrefois dénommé « huit-reflets ». Saint Pierre se révèle ici comme un précieux intercesseur auprès du Grand Chapelier. C’est la démonstration par Pérochon que le chapeau est la marque du divin en l’homme, créature ainsi parachevée par son créateur. Le moins qu’on puisse dire en effet, c’est que Dieu ne prend pas à la légère les suppliques des Bretons relayées par le bon Saint-Pierre et encore moins la fabrication du chapeau demandé…

Ayant mis sa bourrique à son vieux tapecu,

Un beau matin, Saint Pierre, ineffable concierge,

Espoir de l’innocent, revanche du cocu,

Appointucha le bout d’une solide verge

Et s’en fut trouver Dieu dans son grand paradis.

Il en était ainsi d’ailleurs chaque lundi

Saint Pierre était bavard et contait les nouvelles :

Les crânes des damnés comme des fruits trop mûrs

Pétant ; et les bienheureuses, laides ou belles,

Accourant regarder par les fentes des murs ;

Il disait les amours et es souhaits qu’engendrent

La hâte des neveux et la haine des gendres.

Donc Pierre en sa bagnole et son âne devant,

Arrivèrent aux lieux interdits à l’indigne.

Le Bon Dieu ce jour-là fricotait en plain vent,

Ayant dès le réveil labouré dans sa vigne.

-   Bon appétit, Seigneur ! - A toi, mon petit gars !

Je t’invite et pendant que cuira le repas

Tu vas me raconter les choses de la terre.(…)

(Dieu est en train de préparer le frichti sur une cuisinière de fonte et à tuyaux inventée par un Gascon mais que Lui-même a bien du mal à faire fonctionner… Vexé, le divin Cuistot laisse éclater son courroux :)

-   « Oui, mais je peux du ciel déchirer la calotte

Et rebâtir un paradis de camelote

Si tous ces youpins-là me donnent sur les nerfs ;

A tant manigancer ils sont devenus rosses ;

Ils se croient si malis que tout va de travers.

Jadis, t’en souvient-il, on grillait pour les noces

Les cuissots de mouton sans marmite ni grès.

Vois aujourd’hui ! »- « Ca, dit Pierre, c’est le progrès. »(…)

(Saint-Pierre est bavard, je ne donne que la fin qui seule nous intéresse)

-   En Bretagne, Seigneur,

Les hommes fatigués des changements de mode,

Veulent nous demander un couvre-chef commode

Qui soit inamovible et demeure cossu ;

Ils rêvent un chapeau de tournure ordinaire,

Honnête et régulier autour comme dessus. (…)

On veut instituer de graves chapeaux brusques

Pour les crânes plumés des bourgeois longifrusques.

-   Parfaitement ! En vérité, je la connais !

Ce serait , mon petit, un immense blasphème,

Si, pendant douze mois seulement, je venais

Obliger tes lascars à se coiffer du même

Galurin.– On pourrait, dit Saint-Pierre vexé,

Regarder de plus près avant d’être fixé.

-   Tu deviens, mon enfant, plus têtu qu’une mule ;

Il me faudra céder ; allons-y donc, parbleu !

Précise ton idée et cherche ta formule :

Le rouge te va-t-il ? aimerais-tu le bleu ?

Sera-ce un chaperon, un bonnet de cosaque ?

Un capuce aplati comme un toit de baraque ?

Dis ! quels matériaux, quelle forme veux-tu ?

De la mousse ?du crin ? du velours ? de la toile ?

Te le faut-il bombé ? te le faut-il pointu ?

Sera-ce un champignon ou sera-ce une étoile ? »

Pierre écoutait et Dieu parlait avec bonté ;

Mais comme il se penchait, tout à coup : « Saleté !

Ce maudit instrument a brûlé ma farine

Et durci comme un roc mon croupion d’agneau ! »

Puis, à grands coups de pieds dispersant la machine,

Dieu s’écria : « Flûte ! coiffe-les donc d’un tuyau ! »

Coiffe-les d’un tuyau ! s’écria Dieu le père.

Alors le huit-reflets naquit en Angleterre.

Ernest Pérochon (Courlay,1885 –  Niort,1942), Vieilles filles, in Flûtes et Bourdons, Niort 1908, Clouzot éditeur.


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