Je suis en train de lire le Journal d’Hélène Berr, et un passage vient de retenir mon attention, car il stygmatise bien une difficulté importante de la communication émotionnelle. Hélène Berr exprime ici qu’elle désire expliquer la situation des juifs déportés aux gens qu’elle rencontre dans le Paris de 1943 où elle est toujours vivante. Elle désire parler non pas pour générer de la pitié à son égard, mais bien pour que les gens “comprennent” ce qui se passe. Elle se trouve alors confrontée à ce dilemme:
“La nature humaine est ainsi faite que votre interlocuteur ne comprendra que si vous lui donnez des preuves immédiates, des preuves dont vous êtes le centre; il ne s’émouvra pas de vos récits concernant les autres, mais de votre sort à vous. Ce n’est qu’en lui disant les malheurs qui vous frappent vous, que vous lui arracherez un peu de compréhension.”
La question que je me pose est de savoir dans quelle mesure compréhension et émotion sont ou non indissociable. Et plus j’y pense, plus il me semble que la première n’est guère possible sans la seconde. Même dans le monde du rationnel, je me souviens de ces moments où une démonstration mathématique quittait le domaine de l’apprentissage “par coeur” pour devenir un phénomène “compris”. Il y avait là un sentiment de plénitude et d’accomplissement qui “prenait par les tripes” et donnait cette certitude que cette fois, j’avais “compris”, ce niveau logique qui regroupe les “savoirs”.
Lorsque des personnes essaient d’exprimer entre elles leur vécu personnel, et que celui-ci s’inscrit dans un conflit avec l’autre, cette même difficulté se présente: comment faire “comprendre” à l’autre ce que nous ressentons, sans nécéssairement nous appitoyer sur nous-même?
Le verbe comprendre est intéressant, car il donne bien cette double dimension de l’appropriation du savoir (j’ai “compris” le théorème de Pythagore) et de l’intégration du savoir et de l’empathie (”comme je comprends votre chagrin!”)
C’est sans doute une des raisons pour lesquelles il est tellement important, lors d’une discussion ou d’une négociation difficile, de donner toute sa place à l’émotion, de la reconnaître et de la faire reconnaître. Il n’est pas possible de “comprendre” une situation si l’on ne peut en partie partager les émotions qu’elle fait naître. Lorsque nous sommes confrontés à un “adversaire”, si nous désirons parvenir à un accord mutuellement bénéfique (c’est à dire bénéfique pour nous… et pourquoi pas pour l’autre), il est donc important de pouvoir nous dire que si nous étions à sa place, avec ses intérêts, ses valeurs, et son histoire, nous pourrions désirer ce qu’il désire. Une fois cela bien compris, il faut le vérifier en reformulant cette “compréhension” avec nos propres mots, à l’autre.
Vous serez souvent surpris du résultat d’une telle démarche. Elle crée nécessairement un espace de dialogue presque inévitable pour l’autre. Et la possibilité de faire passer à votre tour vos émotions et votre besoin de compréhension…