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La vie très privée de Mr Sim

Publié le 11 avril 2011 par Urobepi

La vie très privée de Mr SimBon, aujourd’hui, j’ai décidé de vous faire épargner du temps. Laissez tomber la lecture de ce billet soporifique et allez directement à votre bibliothèque ou chez votre libraire vous procurer le dernier roman de Jonathan Coe.

Comment? vous êtes encore là? Vous ne voulez pas partir comme ça à l’aveuglette sur un simple avis de ma part? Et d’abord, de quoi parle-t-il ce livre me demandez-vous? Eh bien, si je vous dit qu’il parle de la solitude, de cette maladie qui est sans doute la plus importante de notre siècle mais qu’il en parle d’une manière brillante, avec une touche de cet humour anglais qui a la particularité de dédramatiser les situations même les plus sombres, est-ce que ce sera suffisant? Non? Vous voulez que je sois plus précis? Alors, allons-y.

Voici donc l’histoire somme toute assez banale de Maxwell Sim, un homme dans la quarantaine que le départ récent de sa femme et de sa jeune fille a plongé dans une profonde dépression. Maxwell, ébranlé par cette perte, considère à présent sa vie comme une longue suite d’échecs. Et, entre nous, il n’a pas tout à fait tort. Une seule idée l’obsède désormais: Créer de véritables liens avec ses semblables, une réelle intimité, comme celle qu’il a observée entre une mère et sa fille lors d’un repas au restaurant et dont le souvenir ne cessera de l’obséder. L’entreprise n’est pas aisée. On commence avec ce père qui ne l’a jamais vraiment apprécié ni soutenu durant son enfance et qui vit à présent en Australie. Premier essai, premier échec. Lors de son retour à Londres, la conversation en forme de monologue qu’il noue maladroitement avec son voisin de siège tourne à son insu au tragique lorsque ce dernier est victime d’une crise cardiaque. Maxwell, trop heureux de trouver une oreille accueillante, continue seul la discussion, loin de se douter des véritables raisons qui expliquent la complaisante écoute de son voisin. On ira ainsi, d’échecs en échecs, dans une spirale vertigineuse qui conduit vers la déchéance totale. Ça pourrait être lourd mais, étonnamment, les scènes que décrit Jonathan Coe sont par moments désopilantes.

Au total, le roman propose une lecture assez grinçante de la culture technologique dans laquelle baigne notre civilisation; celle qui sous prétexte de favoriser les contacts sociaux, agit plutôt comme un écran faisant obstacle à l’établissement liens réels entre humains. Ce ne sont pas les ‘amis’ Facebook de Maxwell qui viendront à son secours. La tonne de courriels qui l’attend à son retour de voyage ne provient pas non plus de proches ou de parents qui s’inquiètent. On dirait plutôt un filtre anti-spam qui déconne. Quelques exemples de titres de messages ont tôt fait de nous renseigner sur leur contenu:

Votre virilité est encore en chantier? Essayez la pilule bleue magique
Vigueur béton dans le pantalon
(…)
Votre fusée mérite du super (p.114)

Autre scène typique, le père qui amène sa fille au restaurant et dont la conversation est constamment interrompue par les textos que reçoit l’adolescente durant le repas. Aussi, à défaut d’établir des contacts humains satisfaisants, Maxwell devenu représentant sur la route pour une compagnie de brosses à dents, s’entichera de la voix féminine de son GPS qu’il surnomme affectueusement Emma et en qui il croira reconnaître la compagne idéale, au point de vouloir l’épouser. La démonstration est poussée ici à l’absurde mais elle illustre bien la détresse qui couve sous l’apparente innocuité de notre interconnexion permanente.

Dis-moi, Emma, ça fait combien de temps qu’on se connaît nous deux?
Continuez tout droit sur cette route.
Tu t’en souviens pas? Eh bien, aussi étonnant que ça puisse paraître, moins de 3 jours.
Dans deux cents mètres, tournez à gauche.
Je sais, on croirait que ça fait beaucoup plus longtemps, hein? J’ai l’impression de te connaître depuis des années, à présent. Ce qui explique que je me permette de te dire un petit quelque chose. De te faire un petit commentaire, si tu veux bien. Parce que je ne voudrais en aucun cas t’embarrasser, surtout pas.
Dans cent mètres, tournez à gauche.
Mais voilà, je tenais à te le dire, je voulais juste te dire qu’il y a une chose que j’aime vraiment chez toi, une chose que je n’ai jamais rencontrée chez une femme. Tu devines laquelle?
Prenez la première sortie à gauche.
C’est cette façon… enfin, cette façon que tu as de ne jamais juger les gens. C’est une qualité très rare, chez une femme, tu sais. Ou chez un homme, d’ailleurs. Tu n’a pas tendance à juger les gens, jamais.
Continuez tout droit pendant cinq kilomètres. (p.370)

Une collègue m’expliquait récemment que la nouvelle tendance en management est de privilégier les échanges directs, de personne à personne, comme moyen le plus efficace pour faire progresser des dossiers. Eh bien! Il est heureux de constater que l’ensemble des rapports humains ne puisse pas encore être résumé à une suite de textos…

Ce roman est un petit bijou d’inventivité. Le récit est émaillé d’extraits de lettres et d’essais qui, chacun à leur façon, apportent un éclairage supplémentaire aux confidences du narrateur. Tout cela forme un gracieux ballet où les scènes-clé du livre se font écho. Puissant. J’ai personnellement quelques réserves concernant la chute du roman mais c’est juste pour chipoter un petit peu. Pour la forme disons…

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COE, Jonathan. La vie très privée de Jonathan Coe. Paris, Gallimard, 2011, 449 p. ISBN: 9782070129744 (traduit de l’anglais par Josée Kamoun).

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